Par
Gilles Queffélec
Publié le
6 nov. 2025 à 16h39
On vit et on vivra de plus en plus vieux. Et on ne mourra pas forcément d’une maladie incurable ou d’un accident. La souffrance psychologique due au grand âge est un tout autre facteur qui n’est quasiment jamais abordé dans les débats autour de la fin de vie.
Et pourtant, de nombreux séniors, encore en bonne santé mais fatigués par la vie, appellent à l’aide et réclament le droit de mourir dignement. Face à une telle situation, leurs proches se trouvent bien souvent désarmés.
« Il se disait fatigué par la vie »
L’histoire de Cathy Bes, qui réside sur la commune de Pluméliau-Bieuzy dans le Morbihan en est un parfait exemple. En février 2022, elle a accueilli son père chez elle, alors qu’elle habitait à La Chapelle-Neuve. À 95 ans, le vieil homme, qui était atteint de cécité, se disait usé par la vie. « Si je viens chez toi, c’est pour mourir », lui avait-il dit. Un mois plus tard, Pierre Bes s’est éteint. Il n’a trouvé d’autres solutions que… de s’arrêter de se nourrir.
Avant de venir dans le Morbihan, cet ancien ingénieur de l’aviation civile résidait en région parisienne, à Clamart.
« Il vivait seul dans son appartement. Il avait juste une femme de ménage. Il ne voulait pas être placé en structure. Tout juste acceptait-il d’avoir une canne blanche ».
Cathy, sa fille.
Une chute le conduit à l’hôpital. C’est le moment où tout bascule. On appelle ça, le syndrome du glissement. « Il était très malheureux. Il se disait fatigué, usé et voulait mourir. Il demandait qu’on lui fasse une piqûre pour partir définitivement ».
Vidéos : en ce moment sur ActuIl a arrêté de se nourrir
Cathy qui vit à ce moment-là avec Steeve, lui propose de venir chez elle. « C’est la seule solution qu’il a acceptée. J’étais pleinement consciente de son état psychologique. Je lui ai simplement dit : c’est toi qui décides ; nous, on te soutiendra malgré tout ».
Votre région, votre actu !
Recevez chaque jour les infos qui comptent pour vous.
D’ailleurs, l’installation se passe très bien les premiers jours. Le vieil homme retrouve un certain entrain. « Et puis, un jour, je l’ai vu prendre plusieurs Doliprane. Il a été malade, vomissait du sang. Papa avait déjà réfléchi à sa mort avant de venir chez nous. Il avait parlé d’hélium, de médicaments et même d’aller en Suisse. »
Le syndrome du glissement, apparenté à une forte dépression, est de retour. « Il me dit alors qu’il veut arrêter de boire et de manger ».
« C’est toi qui décides ; on te soutiendra »
Une seule fois, il ira jusqu’à boire un verre de sirop pour trinquer avec sa fille. Dix jours plus tard, Pierre Bes tombe dans le coma. Il survivra encore deux jours avant de s’éteindre définitivement. « Le médecin l’a suivi jusqu’à la fin pour qu’il ne souffre pas trop ». Mais ce dernier est aussi très inquiet pour Cathy qui assiste impuissante au calvaire de son papa.
« Oui, ça a été très dur à la fin. Cela a quand même été une mort lente ».
Cathy, sa fille.
Mais cette professeure d’anglais (elle a vécu 36 ans Outre-Manche) et examinatrice, dit n’avoir absolument « aucun regret ». Car durant tout le temps qu’elle est restée à son chevet, Cathy a vécu une parenthèse « extraordinaire » avec un papa qui ne lui avait pas autant montré d’affection tout le reste de sa vie.

Nous sommes le 23 février 2022 et Cathy accueille son père à la maison. Il a quitté son appartement de Clamart pour finir ses jours chez elle. ©La Gazette du Centre Morbihan.« J’ai été celle qui lui a tenu la main jusqu’à la fin »
« S’il voulait mourir, mon père avait peur de la mort. Je pense qu’il avait simplement besoin d’être soutenu dans sa démarche. J’ai été celle qui lui a tenu la main jusqu’à la fin. »
Pierre Bes avait une maison secondaire au Cap Sizun. Il adorait la mer. « On est allé plusieurs fois se balader. Les membres de la famille sont venus le voir. »
« On a préparé ensemble ses obsèques. C’est lui qui a choisi les musiques. On a regardé les photos de famille pour en sélectionner quelques-unes pour la cérémonie et cela a été l’occasion de nous replonger dans nos souvenirs. »
Cathy, sa fille.
Cathy a, elle, le sentiment « d’avoir fait ce que j’avais à faire ». Mais elle s’est tout de même sentie bien souvent seule face à l’inéluctable. « Heureusement encore que Steeve était là. Je ne pense pas que j’aurais tenu le coup autrement. »
« Pourquoi garde-t-on en vie une personne qui ne le souhaite plus ? »
Car face à une telle situation, les proches peuvent, bien évidemment, se sentir désemparés. C’est bien pour cela que, bien souvent, la solution qui s’impose est de placer la personne en structure (Ehpad). Mais les places y sont chères… dans tous les sens du terme.
« Moi, explique Cathy qui a décidé d’adhérer à l’association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), je continue de m’interroger. Pourquoi garde-t-on en vie une personne qui ne le souhaite plus ? Ce sujet est encore tabou. Les débats sur la fin de vie n’intègrent pas ce que bon nombre de proches vont vivre dans les années à venir ».
Alors, elle témoigne en espérant que sa voix portera. Pour que celles et ceux qui expriment, en toute conscience, vouloir partir puissent, un jour, être entendus.
Où en sont les débats sur la fin de vie ?
Si deux textes ont été validés par l’Assemblée nationale concernant la loi sur la fin de vie en mai 2025, les débats qui ont repris en octobre, ont malheureusement été perturbés par la crise politique.
Normalement elle devrait être redébattue en février prochain.
Sur le texte concernant l’aide à mourir, les conditions restent encore très encadrées. Il faut ainsi que la personne soit atteinte d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée, caractérisée par l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie, ou en phase terminale. »
Elle doit « représenter une souffrance physique ou psychologique constante liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle-ci a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement. Une souffrance psychologique seule ne peut en aucun cas permettre de bénéficier de l’aide à mourir ».
Cela veut donc dire clairement que l’aide à mourir en France n’est possible que dans des cas extrêmement graves.
En Europe, les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne ou encore le Portugal ont légalisé ce que l’on appelle l’euthanasie active, mais là aussi, cela concerne les patients qui font face à une maladie incurable.
En Suisse, l’assistance au suicide est quant à elle pleinement autorisée. Trois conditions sont posées pour pouvoir y recourir : le patient doit être doté de la capacité de discernement, il doit s’administrer lui-même la dose létale et, enfin, le médecin ne doit pas être poussé par un mobile égoïste.
Personnalisez votre actualité en ajoutant vos villes et médias en favori avec Mon Actu.