Quelle situation sur le terrain ?
Depuis plusieurs semaines, les djihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), affilié à Al-Qaïda, imposent jusqu’à Bamako un blocus sur les importations de carburant, paralysant l’économie du pays sahélien enclavé. Cette stratégie d’étranglement a poussé l’État à fermer les écoles, empêche les récoltes agricoles dans plusieurs régions et mine l’accès à l’électricité.
Jeudi, la France, ancienne puissance coloniale, a indiqué suivre « avec une véritable préoccupation » la dégradation de la situation sécuritaire au Mali. Lors d’un déplacement lundi à 150 kilomètres au sud de Bamako, le chef de la junte malienne, le président Assimi Goïta, a appelé ses compatriotes à faire des « efforts », notamment en réduisant les « déplacements inutiles », et promis de « tout faire pour acheminer le carburant ».
Alioune Tine, ancien expert indépendant des Nations unies sur le Mali, voit dans ces déclarations « un aveu d’échec terrible ». Les militaires au pouvoir depuis deux coups d’État en 2020 et 2021 avaient promis d’endiguer l’expansion djihadiste qui secoue le pays depuis plus d’une décennie.
Ils ont rompu avec leurs anciens alliés militaires et politiques occidentaux, dont la France, et fait appel à des paramilitaires russes pour lutter contre les djihadistes.
Mais aujourd’hui, « l’État malien ne contrôle plus rien » sur son territoire et « concentre ses forces autour de Bamako pour sécuriser le régime », souligne Bakary Sambe, du groupe d’études Timbuktu Institute, basé à Dakar, au Sénégal. Selon lui, « l’adhésion de départ (de la population) commence à s’éroder face à l’impossibilité du régime militaire de tenir sa promesse de sécurité ». Face à la dégradation de la situation, les États-Unis et le Royaume-Uni ont annoncé la semaine dernière le retrait de leur personnel non essentiel du Mali, et plusieurs ambassades ont demandé à leurs ressortissants de quitter le territoire.
Bamako peut-elle tomber ?
Cette hypothèse semble peu probable à ce stade, selon les observateurs, le JNIM n’en ayant pas les capacités militaires ou de gouvernance. « Je ne pense pas que le JNIM ait la capacité ou l’intention de prendre Bamako, mais la menace qu’ils font planer sur la ville est sans précédent », estime l’analyste Charlie Werb, du cabinet de conseil Aldebaran Threat Consultants (ATC).
Selon une source diplomatique africaine à Bamako, les djihadistes « peuvent dans un premier temps lancer une opération de harcèlement », mais ne peuvent prendre Bamako seuls.
Quel est l’objectif du JNIM ?
Groupe djihadiste le plus influent et « menace la plus importante dans le Sahel », selon l’ONU, le JNIM demande l’application de la charia et agit, militairement ou politiquement, pour délégitimer les États sahéliens afin de se positionner comme une alternative plus crédible. Il gouverne indirectement des villages, grâce à des accords locaux adaptés en fonction des zones, et fait de la propagande sur la défense des populations locales.
Le JNIM a étendu ces derniers mois son influence sur une large partie du territoire, qu’aucune étude solide n’a à ce stade quantifiée précisément, et se finance grâce à la collecte de taxes et par les rançons d’enlèvements. La semaine dernière, le JNIM a obtenu « au moins 50 millions de dollars » pour la libération de deux otages émiratis et de leur employé iranien, a appris l’AFP de sources proches des négociations.
Pour Bakary Sambe, en menant ce blocus, « l’objectif stratégique » est de « faire tomber le régime ». Le JNIM « voudra faire tomber la junte et installer aux manettes un gouvernement avec lequel il pourrait négocier, qu’il pourrait contraindre à appliquer son agenda », abonde une source sécuritaire européenne consultée par l’AFP.
Dialoguer avec les djihadistes ?
Une option pour le gouvernement serait de négocier avec les djihadistes. « Le gouvernement cherche actuellement à obtenir une trêve du blocus auprès des djihadistes », affirme à l’AFP un élu local sous couvert d’anonymat.
Selon un autre élu, la nomination il y a deux semaines du général Toumani Koné comme chef d’état-major de l’armée de terre pourrait signaler un mouvement en ce sens. « Il connaît les milieux djihadistes. Dans le passé, il a tenté de négocier avec eux. Il est actuellement en train de relancer des négociations avec eux pour obtenir au moins une trêve », dit-il à l’AFP. Toutefois, Baba Adou, chercheur à l’université de Floride (États-Unis), rappelle que « si elle engage le dialogue, la junte sape tout le narratif (de lutte antidjihadiste) sur lequel elle repose ».
Quelles conséquences pour la région si Bamako tombe ?