Elle appelle ça « la goutte d’eau », celle qui a fait déborder le vase et qui l’a poussée à décrocher son téléphone pour alerter le bailleur. Une grosse goutte, quand même : un rat, chez elle. Pas dans la cave, ni dans les parties communes de cet immeuble de quinze étages de l’avenue de Boufflers à Nancy, non, un rat qui s’est engouffré par la porte d’entrée, filant vers la salle de bains.
C‘était le 24 octobre. Dans son T4 du premier étage, Fatima, 38 ans, vit avec ses quatre enfants de 13, 11, 10 et 7 ans. « J’ai crié et reculé », se souvient-elle. Le rongeur s‘échappe alors dans le salon, se faufile sous le meuble télé et disparaît dans les bacs de rangement.
Des rats sous sa fenêtre
La scène, Fatima l’a filmée en partie. Sur les images, on voit ses frères traquer le rat dans un meuble près de la douche. L’animal parvient à s‘échapper. « Ils m’ont dit qu’ils s’en étaient débarrassés », raconte-t-elle, sans avoir l’air d’y croire.
Plus d’une semaine après, Fatima est encore sous le choc. Des rats, elle a l’habitude d’en voir sur l’auvent, situé juste sous la fenêtre de la cuisine, à un mètre. Des voisins des étages supérieurs y balanceraient des déchets. Les détritus s’accumulent, les rats en font leur festin.
Mais chez elle, dans son salon, sa salle de bains ? C’était une première.
Fatima a appelé le bailleur social, l’Office métropolitain de l’habitat. Encore et encore. « Ils m’ont dit d’attendre et d’arrêter d’appeler, mais personne n’est encore passé ! » regrette-t-elle.
Sollicité, l’OMh assure que deux opérations de dératisation ont été menées en un mois. « La dernière a eu lieu cette semaine », précise Justinien Picard, responsable par intérim de la direction relation clients et territoires.
« Je n’arrive plus à dormir »
Pour la locataire, cet épisode n’est que le dernier d’une série de problèmes.
Il y a quelques semaines, un autre nuisible avait pourri sa vie : des cafards , partout dans l’appartement. Ces insectes se nourrissent de miettes, de colle, de cheveux. Ils sont porteurs de bactéries et dégagent une odeur nauséabonde. « Je n’arrive plus à dormir, c’est infernal, je surveille toute la nuit », déplore Fatima.
Elle s’est mise à décoller le papier peint pour voir s’ils ne s’y cachaient pas. À démonter des prises électriques. « Cela me rend folle. » Les cafards passent d’un appartement à l’autre par les canalisations. Ils ne sont pas le symptôme d’un défaut d’entretien individuel, mais d’un problème structurel.
L’OMh assure que les opérations de dératisation concernent aussi les blattes.
On sonne à la porte. C’est une voisine. « Moi aussi j’ai eu des cafards chez moi », lance-t-elle d’emblée. Jacqueline habite l’immeuble depuis trente ans, au premier étage. Elle a 73 ans, des cheveux roux, des lunettes bleues. Elle parle fort et veut aborder un autre problème : le chauffage collectif. « Il est beaucoup trop bas. On se caille tout le temps, on est obligé de faire du ménage pour ne pas avoir froid », dit-elle.
« On est des cas sociaux »
Elle a beau avoir alerté l’OMh plusieurs fois, rien n’aurait été fait. « On va aller faire des relevés, mais on fait attention : un degré de plus, c’est 7 % de charge en plus pour les locataires », répond Justinien Picard.
L’aide soignante à la retraite y voit du mépris de classe. « On est des cas sociaux, des ouvriers, ils s’en foutent de nous. » « C’est faux, on est très présents », conteste l’OMh. Chez elle, elle a dû installer deux radiateurs électriques. « Ça me coûte 20 euros par mois. »
Fatima s’assoit sur le lit de sa fille. « Moi, j’allume le four. » Une autre : « Moi, je mettais le sèche-linge. » Dans le huis clos de la chambre, la liste des doléances s’allonge : l’ascenseur en panne, les infiltrations d’eau. Fatima fait un tour de l’appartement : plinthes défoncées, prises électriques arrachées, fissures. « Est-ce qu’on paie pour cette insalubrité ? »
Son fiston sort une tête. « J’ai oublié de ranger ma chambre », s’excuse-t-il, avant de reprendre sa partie de Fortnite. Fatima hésite à le gronder puis montre les énormes taches noires au plafond. « Bon, ce n’est pas très grave ».