La nouvelle adaptation du mythe de Frankenstein par le réalisateur mexicain divise les observateurs. Disponible depuis le 7 novembre sur Netflix, ce film-fleuve de 2h30 interroge autant sur l’ambition de l’auteur que sur les contraintes du streaming.

Son projet a mûri pendant près de vingt ans. Le Frankenstein de Guillermo del Toro, sorti ce 7 novembre sur Netflix, se veut une adaptation libre du roman de Mary Shelley, avec Oscar Isaac dans le rôle de Victor Frankenstein et Jacob Elordi dans celui de sa créature. Présenté à la Mostra de Venise fin août, le film arrive sur la plateforme après une sortie limitée en salles le 17 octobre dernier.

Le projet s’inscrit dans la continuité d’une collaboration entre Netflix et le réalisateur mexicain oscarisé, déjà à l’œuvre sur Pinocchio (2022) et la série Le Cabinet de curiosités (2022). Un partenariat de confiance qui a permis de sauver ce film. Abandonné en 2017, faute de studio intéressé, il renaît l’année d’après grâce au soutien du géant américain.

Ce Frankenstein à la gestation si longue et au budget substantiel (120 millions de dollars) était donc très attendu. Il divise cependant les critiques. Il n’est ainsi pas « à la hauteur des attentes follement élevées que les fans de del Toro avaient placé dans ce projet », pour Variety.

Parmi les partisans, Le Monde estime que « Guillermo del Toro insuffle énergie et beauté au mythe de Frankenstein ». Le quotidien souligne la capacité du réalisateur à « réanimer des images mortes » et loue un film qui « distille l’essence de son cinéma ». Pour le Guardian, Guillermo del Toro « réanime un classique en un mélodrame d’une beauté monstrueuse », regrettant seulement que le réalisateur « s’obstine à faire de son monstre une sorte de démon surnaturel, insensible aux balles ».

Libération voit dans les derniers plans du film un aboutissement, « un au-delà du vrai et du faux, de l’artificiel et du réel, du kitsch et du sublime ». Le journal reconnaît que le cœur du film « reste horrifique, concret », transformant le cinéma en « boucherie-laboratoire ».

« Tout va trop vite »

Télérama, a contrario, porte un jugement sévère sur « un blockbuster infernal, qui manque d’âme et de chair ». Le magazine évoque un « déluge d’images, cette avalanche d’épisodes, ce raz-de-marée musical », déplorant que « tout va trop vite ».

Sur la performance des acteurs, les avis sont aussi contrastés. Jacob Elordi fait l’unanimité dans le rôle de la créature. Le Monde décrit « une espèce de statue marmoréenne aux reflets bleutés », tandis qu’Olivier Lamm (critique de Libération, au micro de France Culture) le trouve « touchant, captivant », capable de créer « un désir, une sensualité de la créature qui traverse l’écran ».

Oscar Isaac fait moins l’unanimité. Télérama estime qu’il « en fait un peu beaucoup », tandis que Le Monde évoque des « traits hallucinés » au service d’un personnage dont « le désarroi est l’un des rares traits qui inspire un peu de sympathie ».

Un « effet Netflix »

La collaboration entre Netflix et les grands auteurs a produit des résultats contrastés ces dernières années. Si Uncut Gems des frères Safdie ou The Power of the Dog de Jane Campion ont été salués, la question de la mise en scène et de l’esthétique sur la plateforme demeure un sujet sensible.

Faut-il y voir un « effet Netflix »? C’est le sentiment de Murielle Joudet, critique du Monde, interrogée par France Culture: « Les auteurs semblent perdus sur cette plateforme: il n’y a ni abstraction, ni véritable mise en scène ». Sa critique est cinglante estimant que « Frankenstein est un film sans cinéma ».

De même pour Télérama qui, avec Frankenstein, voit s’ouvrir « un débat qu’on croyait révolu depuis la réussite incontestable de plusieurs films » sur la plateforme. Le magazine va jusqu’à se demander si Guillermo del Toro serait « un robot »: « Tout son talent visionnaire s’est évaporé (…). On a cru un moment être face à un Marvel. »

Le partenariat avec Netflix divise, donc. Et surtout, il a un prix – une diffusion principalement domestique comme le regrette Le Monde, « c’est le moment de verser quelques larmes sur le sort de ce Frankenstein fait pour l’obscurité des salles que l’on ne pourra voir que sur son canapé ». L’ambition de Guillermo del Toro était aussi celle de « l’obscurité des salles » – reste à savoir si cette vision survivra à l’épreuve du petit écran.