De profundis – Orchestre national du Capitole




Voilà une dizaine d’années que l’Orchestre national du Capitole invite régulièrement la mezzo-soprano occitane Maria Crebassa, avec qui il a enregistré un album espagnol intitulé Séguedilles. Changement radical de registre pour cette nouvelle rencontre autour des Kindertotenlieder (Chants des enfants morts) de Mahler, composés sur des poèmes de Rückert en deuil d’un fils et une fille. La chanteuse aborde ce cycle poignant enrichie de son expérience de musicienne autant que celle de la maternité.

Entretien avec Marianne crebassa

Votre première interprétation des Kindertotenlieder date de 2024 : souhaitiez-vous atteindre une certaine maturité pour vous lancer dans cette œuvre ?

En effet, j’ai un peu attendu. Je me suis toujours dit qu’il fallait avoir vécu, vocalement et personnellement, pour aborder au mieux l’œuvre de Mahler, un de mes compositeurs préférés. J’avais vraiment envie de me sentir au meilleur de ma forme et de mes capacités. Il faut aussi une certaine forme de maturité vocale, en raison de la projection nécessaire, et aussi car il s’agit plutôt d’une tessiture de contralto. Mieux vaut aussi avoir déjà expérimenté la scène, car il n’est pas facile de garder une émotion sans pour autant tomber dans le pathos. J’ai chanté les Kindertotenlieder pour la première fois au Festival Radio France Montpellier. Il y avait quelque chose de très réconfortant à aborder cette œuvre dans ce cadre, car j’ai des liens d’amitié forts au sein de ce festival, et il a lieu juste à côté de chez moi !

Avec l’Orchestre du Capitole, vous êtes aussi un peu chez vous !

Oui, nous nous connaissons bien ! C’est avec cet Orchestre que j’ai chanté ma première Shéhérazade de Ravel : je n’oublierai jamais ce concert à la Halle aux grains. Et quel luxe d’enregistrer avec de tels musiciens ! Lorsque l’on grave un disque, on sent tout de suite si l’ensemble est à l’écoute, s’il a envie, s’il est heureux… Pas de doute possible en la matière avec le Capitole !

Parmi ces cinq Lieder, y en a-t-il un qui vous touche plus que les autres ?

Tout dépend de quand je les chante ! Il est très difficile d’en choisir un en particulier. Peut-être irai-je plus naturellement vers le premier, pour son côté extrêmement honnête dans l’émotion, qui est celle de la simplicité. Je trouve son écriture vocale particulièrement agréable, et il donne le ton au reste. C’est une œuvre au sujet profond et délicat, dans laquelle on évolue. Chaque poème est différent, il faut essayer de se renouveler dans la façon de traduire l’émotion et de raconter l’histoire. Cela implique parfois de savoir lire entre les lignes.

Avez-vous un modèle parmi les interprètes des Kindertotenlieder ?

Kathleen Ferrier ! Quand on est mezzo et qu’on chante ce répertoire là, on ne peut pas passer à côté d’elle : tout est exceptionnel dans ce qu’elle propose. Sa courte vie laisse un héritage pour les chanteurs et les interprètes en général. Comme Dame Janet Baker, elle parvient à rendre compréhensibles les textes les plus fins, sans chichis, simplement grâce à son timbre et sa diction. Le talent d’atteindre cette émotion juste, universelle, représente un Graal pour moi.

Vous avez récemment chanté le rôle principal de Picture a Day Like This, un opéra de George Benjamin qui met en scène une mère qui a perdu son enfant.

Quand j’ai accepté ce projet, beaucoup d’éléments étaient tenus au secret. George Benjamin m’avait simplement parlé d’une femme partant dans une quête après avoir vécu quelque chose de traumatique. Et puis, je suis tombée enceinte… Au lieu de renoncer à ce rôle, je me suis dit que devenir mère avant de le donner sur scène était une chance, car cela allait m’aider à imaginer cette douleur. Ma façon de chanter y a trouvé une dimension supplémentaire, et cela a certainement nourri mon interprétation des Kindertotenlieder que j’ai donnés pour la première fois juste après cet opéra.

Les trois œuvres au programme de ce concert évoquent de grands drames : changement climatique, deuil, conflits. Pensez-vous que la musique aide à se préparer aux pires épreuves ?

Non pas s’y préparer : les traverser. J’ai chanté le « Duo des fleurs » de Lakmé avec Sabine Devieilhe sur une vidéo vue des millions de fois sur YouTube, dépassant ainsi les frontières du milieu classique. Depuis, de nombreuses personnes m’écrivent pour m’expliquer qu’écouter cet enregistrement les a aidées à traverser la perte d’un proche, ou à dépasser des addictions. La musique a un rôle de guérisseur, elle nous accompagne à travers la douleur et peut véritablement changer des vies.

Propos recueillis par Mathilde Serraille

Concert

Roberto Forés Veses / Marianne Crebassa

11 décembre 2025

20H

La création française Mosaïcs de la Finlandaise Outi Tarkiainen émane d’un projet collaboratif inspiré par le changement climatique, ouverture très actuelle avant l’écoute de chefs-d’œuvre ayant fleuri sur d’intenses tragédies. Les Kindertotenlieder ont été composés par Mahler sur des poèmes de Rückert inspirés par la mort de deux de ses…

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Crédits photos :

  1. Marianne Crebassa et Tugan Sookhiev, Halle aux grains, 2019 © Patrice Nin
  2. Marianne Crebassa (Woman) dans Picture a Day Like This de George Benjamin. Festival d’Aix-en-Provence, 2023 © Jean-Louis Fernandez