Comment parler au théâtre du 65 rue d’Aubagne, cet immeuble vétuste du centre-ville de Marseille dont l’effondrement causa la mort de huit de ses habitants le 5 novembre 2018, sans sombrer dans le pathos, ni se perdre dans l’immensité et la gravité du sujet ? L’autrice et metteuse en scène Mathilde Aurier, 29 ans, et la Jeune troupe de La Criée mêlent la petite et la grande Histoire en donnant corps au personnage de Nina (*), une survivante du 65 magnifiquement interprétée par Camille Dordoigne.

Nina, survivante de l'effondrement des immeubles, est formidablement incarnée par Camille Dordoigne. Un appel à la prise de conscience sur le mal-logement.Nina, survivante de l’effondrement des immeubles, est formidablement incarnée par Camille Dordoigne. Un appel à la prise de conscience sur le mal-logement. Photo Clément Vial

Au lendemain du 7e anniversaire du drame et non loin des lieux où il est advenu, la première de la pièce jeudi 6 novembre au théâtre de l’Œuvre nous a laissés K.-O. debout.

L’homme crocodile, symbole des profiteurs du mal-logement
Dans "65 rue d'Aubagne", le crocodile représente les profiteurs du mal-logement.Dans « 65 rue d’Aubagne », le crocodile représente les profiteurs du mal-logement. Photo Clément Vial

Dans son meublé où elle est temporairement relogée, Nina/Camille raconte comment elle doit composer avec son traumatisme : le fantôme de son amie Chiara morte dans l’effondrement lui apparaît d’une scène à l’autre. Chiara n’a pas eu la chance de Nina qui, cette nuit-là, était partie dormir chez des amis car sa douche ne fonctionnait plus. Le décor est sobre : un lit et une maquette miniature de l’immeuble du 65. Elle raconte son combat psychologique et juridique, non sans humour comme dans la scène où elle contacte les services client d’EDF et de sa Freebox pour résilier ses abonnements et qu’un opérateur lui répond que la case « effondrement » n’existe pas.

Avec les moyens du théâtre, Mathilde Aurier fait surgir des images fortes. Un personnage masqué à la tête de crocodile représente l’ensemble des acteurs qui profitent et participent – à des degrés divers – au mal-logement : propriétaires sans scrupule, syndics et experts véreux, hommes politiques. L’une des scènes rappelle ainsi que les habitants du 65 avaient été évacués trois semaines avant le drame et ont réintégré leur appartement après le blanc-seing d’un expert. Les archives sonores de l’événement et des marches de la colère rappellent la mobilisation des Marseillais suite au drame.

« Le mal-logement, ça continue ! »
La Jeune troupe de La Criée, composée des comédiens apprentis issus de l'Ecole régionale d'acteurs de Marseille et de Cannes (Eracm), porte la pièce.La Jeune troupe de La Criée, composée des comédiens apprentis issus de l’Ecole régionale d’acteurs de Marseille et de Cannes (Eracm), porte la pièce. Photo Clément Vial

Autour de Nina gravite une galerie de personnages, son petit ami, le syndic véreux de l’immeuble, des politiques, une psychologue qui accompagne les victimes, un militant contre le mal-logement du collectif du 5 novembre. La pièce est un kaléidoscope qui aborde aussi les micro drames consécutifs à celui de la rue d’Aubagne, puisque de nombreux arrêtés de péril ont frappé par la suite d’autres immeubles provoquant l’évacuation de 4 000 personnes. Au salut, Mathilde Aurier a remercié le public : « Merci d’être là et de participer à votre manière à cette mémoire collective », rappelant que « le mal-logement, ça continue ».

(*) les prénoms ont été changés.

Les réactions

À la sortie de la pièce, on a croisé Marie, Aurore et Camille, trois trentenaires installées à Marseille depuis trois ans. « Nous discutions des stigmates du mal-logement dans la ville, réagit Marie. Au croisement de ma rue, un immeuble frappé de péril est cadenassé depuis plusieurs années et rien ne bouge ! Les évacuations concernent de nombreuses personnes qui ne sont toujours pas relogées. Quand je pense que la municipalité de gauche a baptisé le parc du 26e Centenaire « Jean-Claude Gaudin », cela me scandalise ! Son mandat est entaché par ce drame de l’habitat indigne. » Camille, qui sort rarement au théâtre, est heureuse d’avoir vu cette représentation. « J’aime les pièces qui ne sont pas forcément divertissantes mais qui nous font réfléchir sur le monde dans lequel on vit ! On devrait aller plus souvent au théâtre ! »

« 65 rue d’Aubagne », à partir de 15 ans. Jusqu’au dimanche 9 novembre au Théâtre de l’Œuvre (complet), les 20 et 21 novembre au Théâtre Antoine Vitez à Aix-en-Provence (6 à 18€), puis du 14 au 18 janvier à La Criée – Théâtre National de Marseille (complet). 6/18€. theatre-lacriee.com