Cette blessure-là ne s’effacera jamais. Les os se ressoudent, les chairs se referment, les cicatrices s’estompent, mais il faudrait une amnésie générale pour effacer ce genre de bleus à l’âme. Ni la marche du temps, ni les galops des futurs exploits n’adouciront l’empreinte douloureuse laissée par ce crève-cœur qui a glacé les esprits.
Deux ans ont passé déjà, mais la venue des Springboks, ce samedi 8 novembre au Stade de France, lors du premier test-match de la tournée d’automne (avant la réception des Fidji, le 15 novembre et de l’Australie le 22), agit comme un amer retour en arrière.
Le 15 octobre 2023 ― c’était hier ―, l’Afrique du Sud a privé le XV de France de son rêve. D’un sacre sur ses terres, d’une liesse infinie. Au lieu de ça, Saint-Denis s’est figée en triste nécropole de princes sans couronne. Pour un petit point (29-28) donc, les Tricolores ont été renvoyés à leurs tourments dès les quarts de finale par une équipe titrée deux semaines plus tard face aux All Blacks.
On se souvient des pleurs d’Antoine Dupont, capitaine anéanti, à peine remis d’une fracture maxillo-zygomatique opérée trois semaines plus tôt, de l’abattement collectif. On se souvient aussi des occasions perdues, de la révolte brouillonne, de l’arbitrage parfois contestable. On se souvient surtout de cette fin d’aventure sifflée trop tôt, de ce rendez-vous manqué à jamais évanoui.
Les Springboks, meilleure équipe du monde ou inconstants ?
Le retour des doubles champions du monde sur les traces de leurs glorieux succès sonnerait-il comme une revanche à l’oreille des Bleus ? « Non », affirment-ils en chœur. Les contextes n’ont rien à voir. Un test-match, à mi-chemin entre deux Coupe du monde (la prochaine aura lieu en Australie en 2027) sert surtout de baromètre.
Mais à entendre le sélectionneur Fabien Galthié vanter exagérément les talents et les prouesses de ses adversaires, on se doute de l’enjeu psychologique d’une telle rencontre pour ses joueurs et des bienfaits d’une victoire pour eux.
« C’est la meilleure équipe au monde, peut-être la meilleure équipe au monde qui ait jamais existé, a entonné Galthié, toujours prompt à l’emphase pour rehausser son propre mérite. Ils viennent de gagner deux Rugby Championship (tournoi de l’hémisphère Sud). » Ces propos n’engagent que lui car les Springboks sont apparus particulièrement inconstants l’été dernier.

Capables d’un impressionnant sursaut pour infliger aux All Blacks la pire défaite de leur histoire (10-43) à domicile à Wellington en septembre mais aussi de s’effondrer spectaculairement quelques semaines plus tôt sur leur pelouse de Johannesburg contre l’Australie (22-38), avec de vieux grognards totalement dépassés.
Kolisi, Etzebeth, Du Toit, entre autres, seront encore titulaires au Stade de France ce samedi mais c’est surtout de l’imagination de leur sélectionneur Rassie Erasmus, qui avait déjà remporté la bataille tactique contre Fabien Galthié il y a deux ans, dont on attend des innovations.
Les Bleus, eux, lancent simplement leur saison. Mélange de références (Fickou, Ramos, Penaud, Ntamack, Bielle-Biarrey, Flament, Marchand…) et de novices ou presque comme les piliers Montagne et Erdocio, ce XV de France compte suffisamment de forces et de talents pour malmener ses bourreaux de 2023. Même sans Dupont. Le capitaine, encore convalescent de son opération du genou droit en mars dernier, prendra place en tribunes. Avec, peut-être, un petit goût amer au fond de la gorge.