Trônant sur trois siècles d’histoire, le château Bastor-Lamontagne, ancienne propriété royale située à Preignac, a cogné un grand coup dans le classicisme en déclinant différentes cuvées ces dernières années. Parmi elles, son « So Sauternes », un vin conçu à base de raisins aux « concentrations de sucre un peu moins hautes », davantage élevées dans des cuves inox et mêlant comme cépages le sémillon botrytisé, si cher à l’appellation, et du sauvignon blanc. Coiffé d’une capsule à vis, moins cher, il invite à la création de cocktails, façon spritz, avec des agrumes et un brin de menthe ou des fruits rouges et une feuille de basilic. Un Sauternes arrosé d’eau pétillante ? Certains y verront un sacrilège.

« Il ne faut pas mélanger les moelleux avec tout et n’importe quoi, il faut respecter le produit »

« Il y a eu une tendance dans les années 2010 de boire des cocktails avec des grands crus dans des bars branchés », livre Laetitia Fabris, responsable de l’œnotourisme au domaine. « On trouvait cela dommage… L’idée, c’était de proposer plutôt des cuvées spéciales dédiées à la mixologie. Dans un contexte de déconsommation de nos vins, il y a eu une volonté aussi de conquérir de nouveaux adeptes. »

L’avènement des blancs secs

Spécialiste des cocktails, à la tête du Symposium à Bordeaux, Clément Sargeni allie des moelleux avec du whisky ou du rhum brun, du bitter de pamplemousse ou de cacao. « Il ne faut pas les mélanger avec tout et n’importe quoi, il faut respecter le produit », estime le consultant pour l’Ecole du vin ou différents établissements de bouche. « Quand on ouvre une bouteille de Sauternes, il y a un vigneron et tout un travail qui viennent avec. Ce sont des produits déjà équilibrés avec leurs caractéristiques aromatiques propres. »

Si les belles propriétés continuent de se concentrer sur leur cuvée phare, celle à base de cette pourriture noble qui fait leur notoriété à travers le monde, elles jouent aussi la carte de la polyvalence. Pour gagner de nouveaux marchés, ou surtout ne plus en perdre, elles s’accordent aux envies de l’époque. Depuis quelques années, le Sauternais catapulte ainsi de grandes lettres en capitale : le Y d’Yquem, R de Rieussec, G de Guiraud ou le B chez Bastor-Lamontagne. C’est l’avènement des blancs secs, ou plutôt leur renaissance, sur une terre qui en a souvent cultivé.

« Changer de narratif »

Le renouveau économique passe aussi par ce qui se marie à l’assiette. Lors du dernier salon Vinitech-Sifel, qui s’était ouvert il y a un an par une conférence sur la déconsommation, le spécialiste du marché mondial du vin Martin Cubertafond, maître de conférences à Sciences Po Paris, avait invité les producteurs et négociants de vins à « changer de narratif ». « Il est essentiel de créer de nouveaux accords » afin d’apporter des propositions avec « les repas Uber » ou cette cuisine asiatique qui fait fureur à table.

« On peut consommer du Sauternes avec autre chose que du foie gras ou des plats très traditionnels », insiste Laetitia Fabris, de Bastor-Lamontagne. « Nous, ce qu’on dit c’est : ‘‘Amusez-vous avec nos vins !’’ Ils accompagnent parfaitement le poulet rôti du dimanche mais aussi un curry, la cuisine chinoise ou les sushis. » Clément Sargeni, qui donne également des cours en lycée hôtelier, invite à associer des liquoreux « sur des épices ou des plats d’Asie du sud-est » qui vont mettre en avant leur « fraîcheur, leur douceur, leurs notes de miel ou de fleurs », conseillant de les déguster notamment sur « des hot pot ou une viande blanche au gingembre. »