Les Sentinelles ? La nouvelle série de Canal+, adaptée d’une bande dessinée française, fait l’événement. De quoi s’agit-il ? De super-héros. De quoi, peut-être, agacer nos lecteurs qui se diront : « Encore une concession à l’air du temps, une nouvelle compromission avec les diktats hollywoodiens. » Pas du tout. Car ces super-héros sont éminemment français et déploient leurs talents durant la Grande Guerre. Résumons.
Le Kaiser fourbit ses armes secrètes ; mais nous aussi. Soit de braves guerriers esquintés au combat et qui n’ont plus rien à perdre. De chaque côté des tranchées, des savants sont donc prêts à tout pour en faire des guerriers « augmentés », des ancêtres de ce que certains nommeront plus tard des cyborgs, moitié homme et moitié machine. Un concept qu’Hollywood s’est vite approprié, avec des films tels que le Terminator (1984), de James Cameron, ou le Robocop (1987), de Paul Verhoeven. Certes, la bande dessinée éponyme, signée Enrique Breccia au pinceau et Xavier Dorison au scénario, se raccroche à ces illustres wagons, mais peut néanmoins exciper du fait que le concept même du super-héros fut historiquement français.
Et oui, nous fûmes les premiers à inventer ces étranges personnages, parfois dotés de pouvoirs surnaturels, mais qui étaient manifestement incapables de mettre leur slip ailleurs que sur leurs pantalons – grossière faute de goût vestimentaire s’il en est. Pour s’en convaincre, le mieux consiste à se reporter au savant ouvrage de Xavier Fournier, Super-héros, une histoire française.
Alexandre Dumas, précurseur en la matière…
Au fait, qu’est-ce qu’un super-héros ? Un homme, ou une femme, généralement masqué, œuvrant dans l’ombre afin de faire respecter le bon droit. À ce titre, Le Comte de Monte-Cristo, d’Alexandre Dumas, est l’un des premiers du genre, car multipliant les identités afin de mieux confondre ses ennemis. Mais ce héros, super ou non, ne serait rien sans sa némésis diabolique ; d’où le Fantômas de Pierre Souvestre et Marcel Allain. Dans la foulée, les vengeurs masqués se suivent et se succèdent : Robur le Conquérant, de Jules Verne, Le Masque rouge, une fille cette fois, créée par Georges Le Faure, feuilletoniste un brin tombé dans l’oubli, sans négliger le Rocambole, de Pierre Ponson du Terrail, d’où l’on tient l’adjectif de « rocambolesque ». Comme c’est tous les jours dimanche, toutes les opinions politiques sont mises à l’honneur. Fantomas est vaguement anarchiste, tandis que Le Chevalier de Maison-Rouge, autre création d’Alexandre Dumas, est un royaliste pur jus. Puis, honneur aux dames, une fois encore, avec Véga la magicienne, créée par René d’Anjou, qui sait voler, et pas que dans les plumes de ses innombrables soupirants. Autre héros qui marque son temps, nous sommes en 1911 : Le Nyctalope, héros surdoué, né de l’imagination débordante de Jean de la Hire.
Judex, le premier super-héros de cinéma…
Du papier à la pellicule, il n’y a ensuite plus qu’un pas à franchir. Ce qui est chose faite avec le Judex de Louis Feuillade, dès 1917. Puis la bande dessinée, pas encore surnommée neuvième art, mais qui commence déjà à prendre toute sa place. Certes, le Superman américain est né en 1938. Mais ce serait oublier qu’en 1935, un certain Robert Collard – Lortac, de son nom de pinceau – donnait le jour à Démonax. La Libération venue, les aventures des super-héros tricolores repartent de plus belle avec Fantax, aventurier costumé issu des fantasques cerveaux de Marcel Navarro et Pierre Mouchot. N’en jetez plus. Puis les années 60. Hollywood ne se préoccupe guère de ses super-héros. Bien sûr, il y a la série Batman, difficilement regardable aujourd’hui, si ce n’est pour les amateurs d’art déviant. Et c’est Cinecittà qui relève le gant, avec des films tels que Satanik (1968), de Piero Vivarelli, et surtout, la même année, le chef-d’œuvre de Mario Bava, Danger : Diabolik ! On notera encore le remarquable diptyque, Kriminal (1966), d’Umberto Lenzi, et Le Retour de Kriminal (1967), de Fernando Cerchio, réjouissante relecture transalpine de notre cher Fantomas bien de chez nous. Pour la petite histoire, la musique du premier est signée d’un jazzman de renom, grand ami de Duke Ellington et quatrième enfant du Duce : un certain Romano Mussolini.
Patriote et pacifiste à la fois…
En la matière, le Nouveau Monde n’a finalement rien fait que d’imiter le Vieux Continent. En ce sens, ces Sentinelles ne sont qu’un juste retour des choses. De la bande dessinée d’origine, elle conserve l’essentiel : un patriotisme de bon aloi, mâtiné d’une sainte horreur de la guerre, surtout celle de 14-18, innommable boucherie fratricide. Pour une fois, la presse est presque unanime en matière d’éloges, à l’exception de Libération et de Télérama ; ce qui est toujours bon signe. Et puis, à l’approche des commémorations du 11 Novembre, voilà une fiction inspirée qui tombe à point nommé.
Rappelons que ce sont les mêmes mauvais coucheurs qui avaient prédit la fin de Canal+, premier argentier du cinéma français, lorsque passé sous la coupe de Vincent Bolloré. La preuve que non.
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