Pour les Occidentaux, le libre-échange, c’était bien… jusqu’à ce que ça ne les arrange plus. Bosch, le « travail de pro » pour les bricoleurs, va supprimer 13 000 emplois, soit 10 % de ses effectifs. Et ce n’est pas un cas isolé : toute l’industrie allemande – chimie, machines-outils, automobile – souffre et licencie. Face à cette désindustrialisation qu’on n’aurait jamais imaginé il y a 4 ou 5 ans, une partie du patronat allemand tente une véritable révolution industrielle. Dans cette chronique Fil éco de France Culture, Arnaud Orain explique comment la concurrence chinoise grignote les marchés industriels allemands et oblige à repenser le libre-échange. Faut-il alors changer les règles pour protéger l’industrie nationale ?
Le choc énergétique et ses limites
Bien sûr, il y a le choc énergétique. L’Allemagne ne peut plus produire à aussi bon marché qu’avant avec les hydrocarbures russes, en raison de la guerre en Ukraine et des sanctions. Mais le fond du problème est ailleurs.
Le choc chinois et la désillusion allemande
Dans les années 1990, puis surtout après l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce en 2001, de nombreux pays occidentaux ont connu leur « choc chinois ».
Les pays qui fabriquaient des produits de moyenne gamme ont perdu des millions d’emplois, comme aux États-Unis ou en France. Longtemps, l’Allemagne s’est crue à l’abri. Elle a investi en Chine, souvent en livrant son savoir-faire, tout en maintenant un excédent commercial conséquent.
Mais désormais, la Chine sait tout faire, mieux et moins cher : machines de pointe, chimie, automobiles, panneaux solaires, acier… Les exportations allemandes souffrent et la croissance stagne. C’est l’heure du « choc chinois » outre-Rhin.
Les réactions politiques et patronales
Le Chancelier Merz défend le discours du monde d’avant, celui du néolibéralisme : plus d’accords de libre-échange, moins de réglementations, des réformes du marché européen.
Mais de plus en plus d’entrepreneurs et de politiques allemands plaident pour une autre approche. Les mots « souveraineté », « commandes militaires géantes », « lutte contre la concurrence chinoise » se multiplient. La Fédération allemande des constructeurs de machines, au cœur du Mittelstand, réclame des droits de douane pour freiner les importations chinoises.
L’histoire comme miroir du présent
Pour comprendre ce qui se joue, il faut remonter au XIXe siècle. Après l’union douanière allemande sous l’égide de la Prusse, les années 1850-1870 voient le triomphe du libre-échange. Mais en 1879, confrontée à des importations bon marché de céréales, de fer et de textiles venues de Russie, des États-Unis, de Belgique et d’Angleterre, l’Allemagne revient au protectionnisme assez agressif sous Bismarck.
En 1860 comme en 1990, la science économique croyait à la mondialisation heureuse par le libre-échange. Mais les leçons de l’histoire sont différentes : dès qu’un pays neuf développe des avantages à l’exportation, les gagnants d’hier deviennent les perdants d’aujourd’hui, et cherchent à changer les règles.
Aujourd’hui, la Chine, pays officiellement socialiste, défend le libre-échange auprès des instances internationales contre les capitalistes occidentaux. Le monde à l’envers ? Non, l’économie, c’est tout simplement politique.
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