10 septembre 2025, le « All-In Summit » accueille de nouveau Elon Musk, en visio. Ce sommet est animé par un quatuor de grands pontes de la Tech et de l’investissement américain, proches de la mouvance « MAGA », base de l’électorat de Donald Trump. Avec Elon Musk, ils discutent de l’avenir de l’humanité. C’est une tribune parfaite pour le fondateur de SpaceX, qui une fois de plus s’épanche sur la colonisation martienne.

Favorisant les rendez-vous avec des influenceurs aux conférences de presse, Elon Musk peut depuis plusieurs années faire de grands effets d’annonce sur ses rêves martiens et les progrès de son principal atout, le Starship. La recette : effets d’images, promesses intenables… et aucune contradiction en face. Mais derrière ce modèle de communication publique ultra-contrôlée, on retrouve la réalité de SpaceX.


Atterrissage d’un booster de Falcon 9. © SpaceX

Starship : retards, fausses promesses

The « All-In Summit » a été une occasion pour Musk de présenter les derniers progrès du Starship, c’est-à-dire finalement pas grand-chose d’accompli en comparaison de leur calendrier initial. Il y a un an, SpaceX annonçait réaliser 400 vols du Starship en quatre ans. Il n’y en a eu que… six.

On aurait tort de blâmer les équipes de SpaceX vu tout le travail accompli, car après tout cela reste un projet titanesque aux proportions inédites dans l’histoire du spatial. Mais on demeure sur une cadence de tirs à des années-lumière des promesses. S’il est permis de croire aux États-Unis que tout peut arriver, toujours plus de monde s’exaspère de cette communication complètement déconnectée de la réalité par Elon Musk, à commencer par la Nasa.

Faute de budget suffisant, la Nasa avait parié sur le Starship comme solution low-cost pour poser ses astronautes sur la Lune, lors de la mission du grand retour Artemis III. Mais les retards du Starship – qui n’a toujours pas réalisé de vol orbital ni testé de transfert de carburant – risquent de rendre cet objectif infaisable avant 2030, date limite visée par la Chine pour sa première mission habitée sur le sol sélène.

Communication de crise et insultes

Cette fatalité fait enrager les élus et le gouvernement américain qui réfléchit à abandonner le Starship pour Artemis III, et pourrait le remplacer par un atterrisseur moins grand, comme le Blue Moon en cours de développement chez le concurrent Blue Origin. En réaction, SpaceX opère une communication en panique en larguant de nombreuses vues d’artiste de l’intérieur de la version lunaire du vaisseau (à savoir un grand espace pressurisé… vide, bien trop grand pour seulement quatre astronautes).

À ces slides PowerPoint largement partagées, SpaceX couple une communication agressive envers tous ceux qui critiquent le Starship, à commencer par l’ancien directeur de la Nasa Jim Bridenstine, aujourd’hui lobbyiste pour le compte de nombreuses entreprises du spatial.

De son côté, Elon Musk ne mâche pas ses mots. La version 3 du Starship qu’il a présentée au « All-in Summit », et qui sera testée pour la première fois lors du prochain vol, est bien en deçà des promesses. Quand le journaliste spécialisé français Stefan Barensky s’est permis d’en faire la remarque sur X, Musk lui a répondu en le traitant « d’abruti ».

Pour garantir le Starship dans l’équation du programme lunaire américain, SpaceX n’a désormais plus trop de choix. L’urgence est désormais à la réconciliation entre Elon Musk et Donald Trump, anciens amis et aujourd’hui fâchés depuis le départ de Musk du gouvernement au printemps dernier. En réponse, Trump avait promis de réexaminer tous les contrats qui lient SpaceX à l’État.

L’empire SpaceX

Cela doit être difficile à admettre pour Trump dans son souhait d’évincer Musk, mais on ne se débarrasse pas de l’empire SpaceX comme ça. Si l’entreprise souffre des retards du Starship, cela ne l’empêche pas d’être le plus puissant acteur du spatial du monde aujourd’hui, qui vaut plus de 400 milliards de dollars.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, SpaceX représente un nouvel âge du spatial ancré dans la démesure : 140 vols de la fusée réutilisable Falcon 9, plus de 3 000 satellites mis en orbite, dont plus de 140 pour le Pentagone et surtout plus de 2 500 Starlink. Depuis 2020, SpaceX a déployé plus de 10 000 satellites pour sa constellation de télécommunications en orbite basse. La compagnie a d’ailleurs récemment acquis de précieuses bandes de fréquence qui permettront un accès directement depuis votre téléphone.

Derrière la démesure, une véritable révolution industrielle. Là où la coûteuse production de fusées Falcon 9 a baissé grâce à la réutilisation de l’étage principal à plusieurs dizaines de reprise, la production satellite n’est plus vraiment comparable à celle d’une usine du spatial, mais plutôt au domaine de l’automobile ou de la téléphonie. Tout est produit à la chaîne avec une grande efficacité, y compris des technologies qui étaient en cours de démonstration il y a seulement quelques années comme la transmission inter-satellite par laser.

Pour le gouvernement américain, SpaceX lance de nombreux satellites et vaisseaux de la Nasa, mais se positionne également bien pour les projets de constellations du Pentagone. La version militarisée de Starlink – Starshield – est déjà en cours de déploiement pour le Renseignement américain (le NRO), et SpaceX fait partie des favoris dans le développement du segment spatial du titanesque bouclier antimissile (Golden Dome) de Donald Trump. Des contrats qui apportent du chiffre et consolident la trésorerie de SpaceX.


Du 1er janvier au 2 novembre inclus, SpaceX a réalisé 140 décollages de Falcon 9, dont plus des deux tiers pour déployer la constellation Starlink ! © Daniel Chrétien

Le côté obscur de SpaceX

SpaceX est devenu indispensable au spatial américain grâce à une stratégie agressive, en cassant les codes du spatial auparavant ancré dans l’artisanat de pointe, et en matraquant le public de vidéos de leurs succès… et de leurs échecs. Car il n’y a pas de « bad buzz » dans leur politique de l’image. Mais cette occupation des écrans a occulté de tristes réalités désormais bien connues.

Derrière les vidéos de SpaceX et les interventions médiatisées d’Elon Musk se cachent plusieurs bombes à retardement : risques de cataclysmes en orbite avec la surpopulation satellitaire, dont 80 % sont des Starlink, pollution lumineuse qui gêne les astronomes et même le télescope Hubble, conditions de travail extrêmement éprouvantes, pollution terrestre et des airs, et risques pour la couche d’ozone liés à la combustion incomplète des satellites lors de leur rentrée atmosphérique.

Le pire, c’est que ce modèle de méthodologie est devenu une inspiration dans de nombreuses nouvelles entreprises du spatial, en particulier en Chine. Masqué par l’hyper-communication subliminale de SpaceX, ce bilan terrifiant reste aujourd’hui inconnu d’une grande partie de l’opinion publique, même quand Elon Musk s’est fait remarquer pendant plusieurs mois par son virage politique en soutien de Trump et des extrême-droites.


Du 1er janvier au 2 novembre inclus, SpaceX a mis en orbite 3 095 satellites, soit plus que l’entièreté de la population satellite il y a dix ans ! Cela inclus 2 544 satellites Starlink, 142 satellites pour le Pentagone, 72 satellites de la constellation concurrente Kuiper d’Amazon, 16 satellites pour la Nasa, 7 satellites en orbite géostationnaire (GEO), 5 sondes et atterrisseurs lunaires, et 309 autres satellites civils ou commerciaux en orbite basse (LEO). © Daniel Chrétien

Quelles conclusions en tirer ?

La communication de SpaceX à coup d’images et de visions martiennes a réussi à occulter des trahisons. C’est sur fond d’écologie qu’Elon Musk revendiquait le recyclage de ses fusées il y a 15 ans. Aujourd’hui, le business des télécommunications spatiales formaté par SpaceX repose sur le déploiement massif de satellites « jetables », c’est-à-dire ici prêts à être remplacés avant leur fin de mission initiale par une nouvelle génération plus efficiente.

L’autre trahison est politique, où Elon Musk s’est débarrassé de ses convictions en rejoignant Trump dans l’espoir de plus de contrats gouvernementaux, ou en discutant secrètement avec Vladimir Poutine contre les intérêts des Ukrainiens.

Mais la pire trahison est celle d’un espace plus accessible, basé sur un prix au kilo d’accès à l’orbite supposé bas, mais dont le calcul est aujourd’hui remis en cause. Certes, SpaceX reste moins cher que tout le monde, mais uniquement sur le prix initial, qui d’ailleurs augmente. C’est comme voyager en low-cost : prix bas, mais la moindre option ou flexibilité coûtera très cher. Pour tenir ses cadences de tirs, SpaceX ne fait pas de cadeaux à ses clients.

Aujourd’hui, SpaceX a tout en main pour perdurer, à condition que son offre Starlink fonctionne et qu’Elon Musk reste. Mais le plus grand défi est le temps. Le monde du spatial y est habitué depuis des décennies, tandis que le milliardaire ne connaît pas la patience. Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que tout effort de communication basé sur le clivage peut devenir vain du jour au lendemain. Le conte de fée peut vite laisser place à une réalité bien trop longtemps éclipsée.