D’où viennent votre chauffage et votre eau chaude ? La réponse se trouve sous vos pieds, si vous faites partie des 110 000 métropolitains raccordés à un des réseaux de chaleur urbain. Ce labyrinthe de tuyaux souterrains, remplis d’eau brûlante, alimente des immeubles d’habitation comme des bâtiments publics. C’est l’un des plus vastes de France.
Le Mensuel de Rennes
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Ce qui fait bouillir cette grosse marmite ? Du bois, en partie. En 2023, les réseaux de chaleur métropolitains étaient alimentés à 35 % par la combustion de bois. Ce sera 70-85 % en 2030 (voire près de 100 % pour Rennes sud). Deux nouvelles chaufferies biomasse1 sortiront de terre d’ici à 2027, à Saint-Jacques-de-la-Lande et Noyal-Châtillon-sur-Seiche. En avril, l’usine Stellantis de la Janais a inauguré une chaudière bois sur son site. D’autres sont en projet.
En termes de pollution, oui, selon Air Breizh. Par rapport aux chauffages individuels comme les cheminées, les chaufferies collectives et industrielles émettent moins de 7 % des fines et dangereuses particules PM2.5, alors qu’elles consomment plus de 70 % du bois. Avec 50 chaufferies, le Pays de Rennes est le premier territoire breton en termes de consommation de bois-énergie : 139 000 t par an, soit l’équivalent du poids de 14 Tours Eiffel. À elle seule, la grande centrale de Dalkia Rennes-Sud en engloutit la majorité, soit 116 500 t.
Gaz à effet de serre
Même si vous n’avez jamais remarqué ce gros cube blanc, non loin de l’échangeur de Nantes, vous avez déjà senti sa chaleur. Depuis 2013, il fournit électricité et chauffage aux quartiers sud de Rennes, mais aussi à l’hôtel de Métropole, aux Champs libres, à la piscine de Bréquigny, au Liberté… La biomasse utilisée provient à 80 % de forêts, le reste étant des déchets de scieries ou des résidus d’entretiens d’espaces verts.
Si l’on en croit ses défenseurs, le bois-énergie libère en brûlant du dioxyde de carbone qui sera ensuite absorbé par un autre arbre en une sorte d’opération blanche. La biomasse est donc considérée comme une source d’énergie renouvelable et bénéficie de subventions. Le chauffage urbain à Rennes serait ainsi « susceptible de contribuer à l’atteinte de l’objectif de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % entre 1990 et 2030 », selon la chambre régionale des comptes.
Le bilan carbone du bois-énergie est très mauvais
Bruno Doucet, de l’association Canopée dédiée à la « défense des forêts », est sceptique. « Le bilan carbone du bois-énergie est très mauvais, car un arbre va absorber du carbone au fil de sa croissance, sur cent ans. C’est très long vu l’urgence climatique. » Un « détail » qui n’est pas pris en compte dans les calculs des quantités de gaz à effet de serre que le bois-énergie permettrait d’économiser. Cette inquiétude est partagée par la communauté scientifique. En février 2021, 500 blouses blanches et économistes ont cosigné une lettre adressée à plusieurs dirigeants mondiaux, les mettant en garde contre l’utilisation de la biomasse forestière.
En attendant, les acteurs publics comme privés lui trouvent un autre avantage : se libérer du gaz, dont le prix a flambé avec la guerre en Ukraine. Pour que son usage se justifie politiquement, le bois doit a minima être récolté à proximité de Rennes et répondre à des exigences d’exploitation durable. À titre d’exemple, la centrale biomasse de Gardanne, près de Marseille, importe 30 % de son bois de l’étranger, dont le Brésil.
Évolution des consommations de bois des chaufferies de Rennes Métropole (Source : AILE (Base de données chaufferie bois) /Le Mensuel de Rennes)
À Rennes, le Schéma régional biomasse recommande de favoriser les filières locales dans le but de limiter les distances de transports. La Métropole impose à ses gestionnaires de chaufferies de se fournir dans un rayon de 130 km maximum. Mais elle n’opère pas de contrôles sur sa principale centrale de Rennes sud car celle-ci « est le résultat d’un appel d’offres d’État », explique Olivier Dehaese, vice-président chargé du Climat et de l’énergie à la Métropole. « C’est donc à la Dreal2 d’effectuer le contrôle du plan d’approvisionnement en bois. Quand je les ai interrogés il y a plusieurs années, ils m’ont répondu qu’il était conforme à 97 %. » Matthieu Theurier, chef de file des écologistes au sein de la Métropole, note que « la chaufferie deviendra métropolitaine à l’horizon 2030, ce qui permettra de mieux maîtriser son approvisionnement ».
Si le bois est local, est-il abattu dans les règles de l’art ? Impossible d’obtenir une liste des propriétaires forestiers fournissant la centrale de Rennes sud. Le Mensuel s’est donc rendu à proximité de la chaufferie pour regarder les camions de livraison et noter les sociétés de transport qui l’alimentent. Selon nos observations, les sources d’approvisionnement semblent multiples et comportent des grossistes de départements limitrophes, qui stockent des plaquettes de bois tout au long de l’année. Là encore, difficile de remonter à la source.
Nous avons la traçabilité jusqu’aux parcelles où le bois a été coupé
« Traçabilité »
« Nous avons la traçabilité jusqu’aux parcelles où le bois a été coupé, assure Pierre de Montlivault, directeur régional de Dalkia. Ils sont à une distance moyenne de 57 km de la chaudière. Chaque année, nous devons faire un compte-rendu, avec une possibilité de contrôles de la part des autorités. »
Ce bois provient, poursuit-il, « de houppiers dont on ne peut pas faire autre chose que du bois-énergie. Il y a quelques décennies, cette partie-là était juste brûlée sur place… » Le bois est acheté par une filiale de Dalkia dédiée, « des spécialistes qui connaissent le monde de la forêt. Ils contractualisent avec des propriétaires forestiers ou des coopératives. Une équipe effectue des contrôles sur le terrain. »
Ces précautions n’ont pas empêché une polémique en avril 2025, quand la chaufferie Dalkia de Tours a acheté du bois provenant d’une « coupe rase » de 4,5 ha. La pratique n’est pas illégale tant qu’elle respecte les dispositions du code forestier, mais les images de troncs empilés sur un sol à nu avaient suscité l’émotion. Pierre de Montlivault reconnaît que « les coupes rases qui partent en bois-énergie, ça peut arriver ponctuellement. Par exemple lorsque les arbres sont touchés par la sécheresse ou les insectes, qui peuvent menacer des parcelles entières si on n’intervient pas à temps. »
Les associations craignent que les coupes rases d’arbres jugés « de faible qualité » s’intensifient avec l’essor de la biomasse. Bruno Cochet, responsable du service Bois Bretagne-Pays de la Loire à l’Office national des forêts (ONF), n’imagine pas une telle ruée vers l’or vert : « Le bois énergie est le plus faible en valeur. Un exploitant a tout intérêt à s’orienter d’abord vers un bois plus noble, plus rémunérateur », destiné à la construction.
En France, le Syndicat des énergies renouvelables (SER) souligne que la forêt s accroît naturellement plus vite que les prélèvements de bois, tous usages confondus. De son côté, la Préfecture indique que dans le rayon d’approvisionnement de la centrale biomasse Dalkia, « le prélèvement de bois de forêt destiné à l’énergie est estimé à 480 000 t brutes par an ». Comprendre : il y a de la marge.
Pour combien de temps ? En raison du changement climatique, l’IGN3 estime qu’environ 15 % du couvert forestier national est susceptible de dépérir, voire de disparaître, dans les prochaines années.
1. La biomasse désigne tout type de matière organique, dont le bois, utilisé pour produire de l’énergie
2. Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Bretagne
3. Institut national de l’information géographique et forestière
