Il est 9h15, ce mardi 11 novembre. Devant l’entrée du cimetière de Fleury-Mérogis (Essonne), porte-drapeaux, élus, représentants d’anciens combattants et anonymes avancent d’un même pas. Tous se sont réunis, sous une pluie fine, pour commémorer l’Armistice signé il y a tout juste 107 ans. Ce texte acte la défaite de l’Allemagne et la fin de la Première Guerre mondiale.

Au micro, Bob* prend la parole pour lire un texte écrit par un poilu à son fils. François*, lui, a décidé de parler de pépé Gustave, son arrière-grand-père qu’il a connu enfant. Dans un texte poétique, il y parle des souffrances endurées, de cette Légion d’honneur reçue, « aussi nécessaire que mérité », mais aussi de ce message de paix qu’il a voulu laisser, pour « ne plus jamais commettre les mêmes erreurs ».

« Je pense que la justice doit aussi être réparatrice »

Au milieu de la foule, ces deux hommes ont un statut à part. Ils sont surveillés de près. Quelques heures auparavant, ils étaient encore dans leur cellule, au sein de la maison d’arrêt de Fleury. C’est par le biais de leur professeure d’histoire, Nathalie de Spirt, qu’ils ont pu participer à cette cérémonie.

« J’avais pris l’habitude de proposer au maire de venir assister à la commémoration organisée au sein de la prison, raconte-t-elle. Jusqu’en 2022, où il nous a invités à celle de la commune avec des détenus. Depuis, c’est la troisième fois que nous partageons ce moment. » Une participation inédite : « Nous sommes la seule commune de France où cela se passe ainsi », assure Olivier Corzani, le maire.

« Avec cette proposition, nous voulions donner encore plus d’ampleur au travail réalisé en prison, poursuit l’élu. On souhaitait qu’ils vivent cette cérémonie avec tous les officiels. Cela n’a pu voir le jour que grâce à un partenariat de confiance qui s’est créé avec le ministère de la Justice. Je pense que la justice doit aussi être réparatrice et pas que punitive. En donnant l’occasion à ces détenus de venir ce matin, c’est aussi un moyen de valoriser leur future réinsertion. »

« J’ai eu les larmes aux yeux »

Tous les deux se sont portés volontaires pour participer à cette journée. « Parce que c’était une occasion de sortir », reconnaît Bob, mais pas seulement. « Je suis quelqu’un de très curieux, j’ai envie d’apprendre de nouvelles choses, c’est pourquoi j’ai souhaité faire cette activité. J’ai voulu lire le texte de ce poilu parce qu’il m’a touché. Il y parle du choix qu’on a entre nos mains, entre être sur le droit chemin ou non. C’est une question qui se pose forcément quand on est en prison. »

C’est par le biais de cet atelier et l’aide de sa professeure que François a pu retrouver des archives sur son arrière-grand-père. « J’étais tout petit quand il est mort mais j’ai encore une image très vivace de lui. Avec ce qu’il a vécu, il fait aussi partie de l’histoire de mon pays. Lorsque le député (Antoine Léaument, LFI) est venu me féliciter pour mon texte, j’ai eu les larmes aux yeux. On peut être en prison et avoir des capacités dans un domaine comme l’écriture ».

Fleury-Mérogis, mardi 11 novembre 2025. Un agent pénitencier était présent pour veiller sur les deux détenus.Fleury-Mérogis, mardi 11 novembre 2025. Un agent pénitencier était présent pour veiller sur les deux détenus.

Un autre détenu était présent à la cérémonie. Ou plutôt un ancien détenu. Brice* a été libéré il y a une semaine. « Je tenais à être présent, c’est un projet que l’on évoque depuis des semaines, indique-t-il. J’ai été surpris de voir toutes ces personnes en uniforme émues, alors que ce n’est pas un fait de leur époque. Peut-être qu’ils s’identifient à ce qu’ont vécu les soldats. J’avais pensé m’engager dans l’armée mais la menace de devoir faire la guerre, de laisser sa famille ici, m’a fait peur. C’est pourquoi j’avais choisi un texte d’un homme qui voyait tous les autres mourir autour de lui et qui se demandait quand viendrait son tour. »

Ce travail dans et hors la prison, Olivier Corzani espère pouvoir le faire perdurer. « Les détenus se sentent valorisés par leur travail, conclut l’élu. Je suis favorable à tout ce qui est réparateur, pour qu’après la détention, la réinsertion soit réussie. »

*Les prénoms ont été modifiés.