En Russie, quand on est un dirigeant politique, on ne disparaît pas pendant deux semaines sans alimenter les spéculations. A fortiori quand on est ministre des Affaires étrangères de Vladimir Poutine. Depuis plusieurs jours, de nombreux médias occidentaux s’interrogeaient sur le silence prolongé de Sergueï Lavrov, que certains observateurs n’avaient pas tardé à interpréter comme le signe d’une disgrâce présidentielle, motivée par l’échec de ses négociations avec les États-Unis.

Puis Lavrov est réapparu, comme si de rien n’était, sans plus d’explications. Le ministre a été filmé ce mardi lors d’une rencontre avec des médias russes retransmise sur les chaînes d’État. « Nous sommes prêts à discuter avec nos collègues américains de la reprise des travaux préparatoires au sommet proposé entre les dirigeants de la Russie et des États-Unis », a-t-il simplement expliqué.

Dimanche, déjà, l’agence de presse d’État RIA Novosti avait publié un entretien sur le même thème avec Lavrov, sans aborder les raisons de sa curieuse disparition. Interrogé sur les discussions avec Washington, il avait alors assuré que « des contacts sont en cours afin d’envisager la poursuite du dialogue ». « Le secrétaire d’État Marco Rubio et moi comprenons l’importance d’une communication régulière », avait-il ajouté, en assurant communiquer par téléphone avec son homologue.

Disgrâce ou besoin de repos ?

Cette opération de déminage ne devrait toutefois pas mettre un terme aux spéculations autour de Sergueï Lavrov. Pour plusieurs médias occidentaux et d’opposition, le fidèle poutinien, en charge de la diplomatie du Kremlin depuis 2004, serait tombé en disgrâce après son échec à se mettre d’accord avec son homologue américain Marco Rubio sur les modalités d’un deuxième sommet Poutine-Trump. Cette rencontre, initialement prévue à Budapest, devait permettre à Washington et Moscou de poursuivre les négociations sur l’issue du conflit ukrainien, mais, fin octobre, Donald Trump avait annoncé reporter sine die le sommet.

« Cette annulation a certainement suscité une bronca de ceux qui au Kremlin pensent que se réconcilier avec les États-Unis est plus important que de gagner quelques portions de territoire en Ukraine », estime Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur en Russie (2009-2013) et auteur de « Géopolitique de la Russie » (Éd. Eyrolles, 2025).

Mais pour le directeur de recherche à l’Iris, spécialiste des questions russes, l’imputation d’un échec diplomatique à Sergueï Lavrov n’est qu’une hypothèse parmi d’autres. « À plusieurs reprises, il avait été tenté de partir parce qu’il était fatigué », rappelle-t-il. Les suspicions autour de l’état de santé du chef de la diplomatie russe de 75 ans ne sont d’ailleurs pas nouvelles. Lors du G20 de Bali en 2022, les autorités indonésiennes avaient affirmé que Lavrov avait été hospitalisé pour une maladie cardiaque. Une rumeur très vite démentie par Moscou.

La disgrâce, un « dernier recours »

Alors besoin de repos ou disgrâce ? Ce qui est certain, c’est que Vladimir Poutine n’a pas pour habitude de se séparer de ses soutiens indéfectibles. « Il est réputé comme étant extrêmement fidèle, donc il éloigne les responsables qu’en tout dernier recours », indique Jean de Gliniasty.

Dernier exemple en date, la démission « de son propre gré » du chef de cabinet adjoint Dmitri Kozak. Cet ami de longue date de Vladimir Poutine aurait montré à plusieurs reprises une position critique sur la guerre en Ukraine, selon le New York Times. Une piste cependant remise en doute par la politologue russe exilée Tatiana Stanovaya, dans le Kyiv Independent, pour qui « personne dans l’entourage de Poutine ne peut le contredire ». « Le départ de Kozak montre surtout qu’il y a des tensions à l’intérieur du Kremlin entre ceux qui veulent continuer la guerre et ceux qui veulent prendre la main tendue par Trump », précise Jean de Gliniasty.

Autre membre du cercle des proches de Vladimir Poutine, Sergueï Choïgou a été démis de ses fonctions de ministre de la Défense en mai 2024 après 12 ans de loyaux services. Ce fidèle de Poutine a été écarté après des revers militaires essuyés par l’armée russe et des scandales de corruption autour de son numéro 2 Timour Ivanov. Mais « il n’a pas non plus été maltraité », souligne l’ancien ambassadeur français en Russie, évoquant sa nomination dans la foulée aux fonctions éminemment importantes du Comité national de sécurité.

Lavrov absent au G20

Si la plupart des hommes de confiance de Vladimir Poutine n’ont pas été totalement écartés après leur renvoi de leurs fonctions, une figure reste à part, celle d’Evgueni Prigojine. Le chef de Wagner, membre du cercle proche de Poutine, avait émis des critiques virulentes contre le commandement de l’armée russe, incarné par Choïgou. Mais, surtout, il était l’artisan d’une révolte de Wagner contre Moscou en juin 2023. Deux mois plus tard, il décédait dans un crash d’avion suspect, dont la cause n’a toujours pas été déterminée.

Sergueï Lavrov, lui, n’a rien d’un frondeur ou d’un rebelle. « Lorsqu’il y aura des événements publics, vous allez voir le ministre », a promis lundi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. Ce ne sera toutefois pas au sommet du G20 prévu les 22 et 23 novembre à Johannesburg. Pour l’occasion, la Russie a mandaté un diplomate plus jeune, Maxime Orechkine, chef de cabinet adjoint du bureau présidentiel.