« Salut jeune homme, tu es comme moi, tu n’as pas changé ». Il est 10 h 30, ce vendredi 7 novembre 2025. Une petite troupe d’une vingtaine d’octogénaires se réunit sur le parking de l’hôtel-restaurant La Peinière, à Saint-Didier, à une quarantaine de kilomètres à l’est de Rennes. L’émotion est palpable dans les rangs. Car ce petit groupe se connaît depuis 70 ans ! D’ailleurs, plus qu’un groupe, c’est une classe qui se réunit ce vendredi-là. La classe de Troisième commerciale du Collège technique du boulevard Laennec (aujourd’hui lycée Charles Tillon), à Rennes… en 1954 ! « C’est toujours une grande émotion de nous retrouver ».
Réunis pour la première fois en 1994, 40 ans après, ils organisent ce jour-là leur 25e réunion. Une réunion rendue possible par Pierre Bigot, à l’initiative en 1994. « J’avais réussi à réunir tout le monde grâce au Minitel, se souvient-il. Pour retrouver la trace de certains, j’ai dû faire appel à un copain au rectorat ou à l’état civil. Je pensais faire deux ou trois réunions, mais tout le monde était tellement content de se retrouver qu’on ne s’est plus quittés ». « La première fois, je n’en ai pas reconnu certains, notamment un de mes meilleurs copains de l’époque qui avait beaucoup de cheveux et s’est pointé avec plus rien sur le caillou », rigole Jacques Gaudin.
La première classe mixte de Rennes
Plus de 30 ans après ses premières retrouvailles, certains ne sont plus là, décédés ou trop affaiblis pour se déplacer. « On était 57 en 1994 avec les valeurs ajoutées, en 29 ans, 29 ont quitté ce monde », rappelle Robert Legavre. Mais ils sont encore 23 à se présenter à Saint-Didier. Et l’ambiance chahuteuse caractéristique des salles de classe revient tellement vite que Pierre Bigot doit se transformer en proviseur pour ramener un peu de calme. « On était une classe très soudée, il n’y a jamais eu d’histoire entre nous », raconte Robert Legavre. Surtout, cette Troisième commerciale est la première classe mixte de Rennes. « On a été jalousé par les autres classes du collège. Moi, je ne devais pas être en commercial, mais en technique, mais quand j’ai su qu’il y avait des nénettes, j’ai demandé au proviseur de me mettre en commercial », rigole encore Pierre Bigot.
Pour les filles, la perspective de se retrouver dans la même classe que des garçons les laissait en revanche de marbre. « On était 12 filles, mais ça nous émoustillait beaucoup moins que les garçons, raconte l’une d’elles. On était plus studieuses ». Les premiers émois de l’adolescence n’ont pourtant pas permis la formation de petits couples dans la classe. « Je me souviens que j’étais tombé amoureux de Pascaline, mais je ne lui ai jamais dit, j’avais 15 ans, j’étais trop timide ».
La classe de Troisième commerciale de 1954 au Collège Laennec. (Photo archives Collège technique Laennec)19 fois collé !
Pas de couple, donc, mais des amitiés solides. « Comme dans toute classe, il y avait les bûcheurs, et surtout les bûcheuses, et les animateurs, dont je faisais partie », se souvient Maurice Pilard. Lui se souvient de 400 coups qu’il a pu faire avec son « duettiste », Henri, aujourd’hui décédé.
« Une fois, on a gagné une bouteille de vin blanc à la foire-exposition, et on l’a tous bue en classe. On avait plus étudié les vignobles que les maths ce jour-là ! Henri était toujours celui qui était collé, 19 fois dans l’année, je ne sais pas comment il faisait parce qu’on chahutait toujours ensemble. Une fois, je suis allé avec lui, juste pour l’accompagner. Une osmose pareille dans une classe, je ne l’ai jamais retrouvée. On allait tous à La cale de la Barbotière après les cours, on refaisait le monde en s’asseyant sur les parpaings le long de la rivière ».
Un bon vieux temps que tous perpétuent le temps d’une journée, une fois par an, dans un lieu chaque année différent. « Certains sont devenus mes frères », clame Pierre Bigot. Alors, pour lui comme pour les autres, pas question de s’arrêter là, même à 87 ou 88 ans. « On viendra là tant qu’on pourra. Chaque année, on se dit que ce sera dur l’année suivante, mais on revient. On ne s’arrêtera que lorsqu’on n’aura plus de combattant ».