Par
Glenn Gillet
Publié le
12 nov. 2025 à 6h12
C’est une vaste étude qui pointe des pratiques discriminatoires chez un grand nombre de recruteurs en Île-de-France. L’APF France Handicap, association historique de défense des droits des personnes en situation de handicap, a fait part ce lundi 10 novembre 2025 des accablantes conclusions d’une campagne dite de « testing » : 1500 CV factices présentant le profil d’une jeune femme ont été envoyés à des entreprises et des organismes publics pour des offres d’emploi bien réelles. Pour chaque poste, deux CV étaient envoyés avec une seule différence : une indication, ou non, du fait que la candidate était porteuse d’un handicap, soit moteur avec fauteuil roulant, soit auditif avec appareillage dans l’oreille.
Jusqu’à 80% de rappels en moins
Les CV envoyés concernaient principalement de postes d’agents comptables ou des responsables d’accueil, « des professions avec des niveaux de qualification qui reviennent souvent dans le profil sociologique des personnes en situation de handicap », précise Carole Salères, conseillère nationale emploi à l’AFP France Handicap. Elle souligne par ailleurs que « ce sont des professions où on se dit que d’emblée, si l’entreprise est accessible, il ne devrait pas y avoir de problème. Ce n’est pas comme être conducteur ou pilote de ligne où on peut se dire que ça va compliquer les choses ».
Mais les conclusions sont rudes. D’une part, « on a beaucoup de moins de chances d’être recontactésquand on mentionne un handicap que quand on ne le mentionne pas » et d’autre part, « les personnes avec handicap moteur ou cumul de handicaps sont beaucoup plus pénalisées », particulièrement sur les postes d’agents réceptionnistes où le taux de rappel est diminué de 80 % par rapport aux CV qui ne font pas mention d’un handicap. « Il y a l’hypothèse d’un problème portant sur l’image auprès du public et l’image institutionnelle d’une personne en fauteuil qui est associée à des préjugés sur le niveau de compétence de cette personne », analyse Carole Salères.
Pourtant, le profil de la jeune femme présenté a tendance à plaire puisqu’elle bénéficie d’un taux de rappel de 75 % lorsque son handicap n’est pas mentionné dès le CV, « ce qui est gigantesque », souligne auprès de France Inter Marion Goussé, professeure d’économie à l’ENSAI, co-autrice de l’étude.
Demande de création d’une amende pour les recruteurs fautifs
Le comportement des recruteurs a même pu être disséqué grâce à l’envoi de CV vidéos reliés à un logiciel d’analyse : les rares personnes qui ouvraient effectivement cette vidéo mettaient systématiquement pause juste après la première apparition du fauteuil roulant, avant de revenir en arrière « pour vérifier qu’ils ont bien vu un fauteuil », relate Carole Salères. Une fois cet élément confirmé, ils fermaient alors quasi systématiquement l’encart vidéo. De manière générale, le fait de lier ce type de CV à une candidature donne lieu à « un taux de retour très très faible ».
L’étude globale a été menée auprès d’entreprises de tailles variées (grands groupes, PME…) principalement en Île-de-France (74 % des CV ont été envoyés à des entreprises franciliennes) et en région lyonnaise, par des chercheurs de l’École nationale de la statistique et de l’analyse de l’information (ENSAI) et de l’université Claude Bernard à Lyon.
Face aux conclusions de ces travaux, l’AFP France Handicap exige un renforcement de la formation des personnes chargées du recrutement pour permettre plus d’inclusivité sur le marché de l’emploi ainsi qu’un renforcement de l’arsenal légal. L’association réclame notamment la « création d’une amende civile pour les recruteurs » en cas de mise en évidence manifeste d’une discrimination à l’embauche sur la base d’un handicap, une sanction qui n’existe pas à ce stade. Elle travaille actuellement sur une proposition de loi qui sera transmise aux députés dans les prochains mois.
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