Emprisonné en Algérie depuis novembre 2024, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été libéré ce mercredi «pour motifs humanitaires», a fait savoir la présidence algérienne par voie de communiqué. Le 10 novembre, le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, avait appelé son homologue, Abdelmadjid Tebboune, à gracier l’homme de lettres, proposant de l’accueillir outre-Rhin. Boualem Sansal avait été condamné en mars 2025 à cinq ans de prison ferme pour «atteinte à l’unité nationale». Pour l’historien Benjamin Stora, qui publie avec Thomas Snégaroff France/Algérie : anatomie d’une déchirure (les Arènes), si cette libération marque le début d’un réchauffement entre Paris et Alger, les deux pays ne pourront pas faire l’économie d’un travail de fond, pour régler tous leurs différends.

La libération de Boualem Sansal est-elle à mettre au crédit du changement de locataire de la place Beauvau ?

L’arrivée de Laurent Nuñez au ministère de l’Intérieur a sans aucun doute été un facteur déterminant. Il a une autre façon de faire, beaucoup moins directe, moins frontale que celle de son prédécesseur, Bruno Retailleau. Ce dernier avait une approche très accusatrice. Ensuite, il y a aussi eu les efforts menés en coulisses par la diplomatie française, notamment sur la question de la «piste allemande».

L’intervention de Berlin sur ce dossier peut paraître contre intuitive…

Cette piste n’est pas nouvelle, en réalité. Elle était sur la table depuis plusieurs mois et avait déjà été discutée entre les diplomaties allemande et française. L’Allemagne joue un rôle très important dans les négociations qui se jouent en ce moment à Bruxelles entre l’Algérie et l’Union européenne, sur des questions économiques, autour des droits de douane et des importations de gaz. Les relations entre la France et l’Algérie étant mauvaises, il n’était pas illogique de passer par l’Allemagne. La France et l’Algérie ne pouvaient pas rester dans cette situation, cela n’était dans l’intérêt d’aucune des deux. Il y a des questions trop importantes qui se jouent.

Avec cette libération, faut-il s’attendre à une normalisation des relations diplomatiques ?

La crise entre l’Algérie et la France a été très dure et très profonde. D’un côté comme de l’autre, elle va laisser des traces. On ne peut pas faire comme si rien ne s’était passé, et je pense donc qu’il faudra reprendre pas à pas. Il va y avoir les questions économiques dans un premier temps, qui sont très importantes. Beaucoup d’entreprises françaises sont concernées.

Mais beaucoup d’écueils demeurent. A commencer par l’incarcération du journaliste Christophe Gleizes. Je regrette que la mobilisation, notamment de la part du monde du sport [le journaliste français a été arrêté en mai 2024 alors qu’il réalisait des reportages autour du football algérien, ndlr], n’ait pas été à la hauteur de celle du comité de soutien à Boualem Sansal. Ensuite, il y aura des questions qui ne pourront pas être réglées du jour au lendemain. La position de Paris sur le Sahara-Occidental, la question des OQTF [obligations de quitter le territoire français], les questions sécuritaires dans le Sahel, les questions migratoires. Et puis, il y a le travail mémoriel.

Sur ce point, vous rencontrez à Marseille ce mercredi des historiens algériens.

Après la remise de mon rapport au Président, il avait été décidé de donner des bourses à des chercheurs algériens, afin qu’ils puissent travailler sur les archives françaises. Cette rencontre se fait dans ce cadre, et elle avait été maintenue malgré la crise. Mais cette libération est un soulagement, car ma crainte était que cette crise diplomatique retarde, voire efface complètement le travail mémoriel très important qui a été accompli ces dernières années. L’extrême droite, qui pousse aux portes du pouvoir, a pour programme de détricoter ce travail. La reconnaissance par la France de la torture, du fait colonial et de ses conséquences, doit être sanctuarisée.