A l’Assemblée nationale,

Après des semaines et des semaines de tractations, l’Assemblée nationale se prononçait ce mercredi sur la « suspension » de la réforme des retraites. Cette promesse de Sébastien Lecornu, qui vise à suspendre jusqu’à janvier 2028 la marche en avant vers les 64 ans et le relèvement du nombre de trimestres à cotiser, est depuis la rentrée au cœur des négociations budgétaires entre le gouvernement et le Parti socialiste pour éviter la censure. Cette « pause » de la controversée réforme Borne a entraîné de vifs échanges au sein de la gauche, notamment entre socialistes et insoumis.

« Personne n’est dupe ! »

« On est tous, à gauche, pour l’abrogation de la réforme, mais il faut savoir prendre ce qu’il y a à prendre, maintenant, tout de suite, sur un sujet aussi emblématique du quinquennat Macron », défend en début d’après-midi Laurent Baumel, député socialiste d’Indre-et-Loire. L’élu PS hausse les épaules sur les fractures à venir au sein de la gauche. « Les insoumis vont s’organiser pour nous pourrir l’après-midi… Mais cette suspension est une victoire du PS, elle valide notre stratégie. Eux, qu’ont-ils obtenus ? » Un peu plus loin, l’insoumis Eric Coquerel, donne la réplique : « Le 1er janvier 2028, on repart avec la réforme Borne. Ce n’est donc pas une suspension, mais un simple décalage dans le temps… », soupire le président de la Commission des Finances, salle des Quatre colonnes. « Suspension » contre « décalage »… Au-delà du débat sémantique, le sujet expose les divergences stratégiques entre les ex-alliés du Nouveau Front populaire. Fallait-il censurer le gouvernement Lecornu ou tenter d’arracher quelques victoires politiques ?

« Voter pour le décalage de la réforme des retraites, c’est voter pour la retraite à 64 ans. Les insoumis ne valideront jamais par leur vote les deux années de vie volées au peuple de France ! », tonne Mathilde Panot, la cheffe de file des insoumis à l’ouverture des débats. « Personne n’est dupe ! Cette tromperie se fait au titre de la poursuite de la politique de malheur d’Emmanuel Macron par la non-censure des socialistes que vous avez achetés avec ce décalage ! Nous n’avons pas été élus pour obtenir des miettes de la Macronie en déroute », ajoute l’élue du Val-de-Marne. « Aucun Français ne profitera de ce décalage », abonde Manuel Bompard. « Car dans le même temps, vous faites 2 milliards d’économies en sous-indexant les pensions de retraite pendant quatre ans ou 2.3 milliards d’économie en doublant les franchises médicales, alors personne n’y gagnera, y compris ceux qui pourront partir trois mois plus tôt à la retraite », accuse le coordinateur de LFI. Un argumentaire défendu également par le groupe communiste. « Il y a une entourloupe, c’est un décalage de trois mois et rien d’autre, on ne trompera pas les Français, on ne votera pas un décalage qui entérine la réforme Borne », confirme à son tour le député PCF Stéphane Peu.

Le PS « abasourdi »

Sur leurs bancs, Olivier Faure et Boris Vallaud, pourtant au cœur des négociations avec le Premier ministre, se montrent étrangement silencieux. C’est finalement Jérôme Guedj qui répond aux attaques des insoumis. « Je suis abasourdi devant les circonvolutions de certains à gauche qui cherchent toutes les bonnes raisons pour ne pas voter ce qui va constituer une avancée pour des centaines de milliers de nos concitoyens. Jamais je n’aurais pensé voir quelqu’un a gauche invoquer des arguments sur le financement pour justifier un vote contre une avancée sociale ! », s’emporte l’élu socialiste de l’Essonne. « Dans quelques minutes, nous allons légiférer pour refuser le gel des pensions et l’année blanche et nous nous opposerons au doublement des franchises », ajoute-t-il, évoquant les « prétextes fallacieux » avancés par LFI.

La veille, le gouvernement avait étendu par amendement le périmètre de la suspension pour inclure notamment les carrières longues. De quoi faire basculer, aussi, le vote des écologistes en faveur de la mesure. « 500 000 travailleurs vont en profiter, partir trois ou six mois plus tôt. Nous prenons. Nous prenons comme toujours ! », assure aussi François Ruffin, l’élu apparenté écologiste. « Mais nous ne faisons pas passer ces miettes pour un festin. Nous grattons ce que nous pouvons. Et au printemps 2027, les Français trancheront. »

En fin d’après-midi, la « suspension » de la réforme Borne a finalement été approuvée par 255 voix contre 146, avec le soutien du PS, des Écologistes, du RN et de Liot et l’abstention d’une majorité de députés Renaissance et du MoDem. Lorsque la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, annonce les résultats, les députés socialistes sont les seuls debout à applaudir.