Un coup d’épée dans l’eau. Il n’y a pas mieux pour décrire la plus longue paralysie budgétaire des Etats-Unis qui s’est officiellement achevée ce mercredi 12 novembre après un vote au Congrès ratifié par Donald Trump dans la soirée. Un record de 43 jours pour ce shutdown que les démocrates portaient comme un premier grand défi face à l’inarrêtable dérive autoritaire du président républicain. Ils espéraient obtenir, en échange d’un vote sur le budget, l’extension de subventions pour l’Obamacare, l’assurance santé des ménages les plus modestes.
Mais voilà que ce week-end, quelques jours à peine après une série de victoires électorales à New York et dans plusieurs Etats, qui semblaient pouvoir ragaillardir le camp progressiste après un an de morosité, sept sénateurs démocrates et un autre indépendant ont plié. Ils ont accepté de voter avec les républicains du Sénat afin que ceux-ci obtiennent les 60 sur 100 voix nécessaires en vue de financer le gouvernement fédéral. Sans réel engagement sur l’assurance santé. Quelque 650 000 employés fédéraux vont retrouver leur poste après cinq semaines de chômage technique et d’une attente qui se sera révélée vaine.
Cet accord, validé ce mercredi par 222 voix contre 209 à la Chambre des représentants où les républicains sont majoritaires, reporte au 30 janvier la perspective d’une nouvelle paralysie budgétaire. La poignée de sénateurs démocrates a seulement obtenu que soient annulés les 4 000 licenciements d’employés fédéraux début octobre, et qu’aucun autre n’ait lieu d’ici la prochaine échéance budgétaire. Mais aussi que les fonds du SNAP, un programme d’aide alimentaire qui bénéficie à plus de 42 millions d’Américains et qui était interrompu depuis le 1er novembre, soient maintenus jusqu’à septembre 2026.
Sur le sujet principal qui a conduit à la paralysie budgétaire, l’«Affordable Care Act», surnommé Obamacare, ils n’ont obtenu que la promesse d’un vote au Sénat en décembre, ce qui n’engage en rien la majorité républicaine. Sans une prolongation des subventions, plus de 20 millions d’Américains vont voir le prix de leur assurance santé plus que doubler à partir du 1er janvier. Le Bureau du budget du Congrès estime que deux millions d’Américains seront contraints de renoncer à toute assurance l’année prochaine.
«Ces élus démocrates étaient surtout préoccupés par la question de savoir à qui incomberait finalement la responsabilité du shutdown, estime Don Kettl, ancien doyen de la faculté de politique publique de l’université du Maryland. Alors que les retards dans le trafic aérien s’accumulaient et que les inquiétudes concernant l’aide alimentaire augmentaient, ils craignaient que des personnes soient blessées et qu’ils finissent par en porter la responsabilité.»
Une victoire, en somme, pour Donald Trump. Puisque celui-ci, qui voyait les succès démocrates aux élections du 4 novembre comme une conséquence du shutdown, a préféré s’acharner à provoquer le chaos plutôt qu’à engager une discussion avec ses opposants. Son administration a ainsi choisi de bloquer illégalement le versement des aides du SNAP, poussant de nombreux concitoyens à faire la queue dans des distributions alimentaires, et de réduire le nombre de vols pour accroître le chaos du trafic aérien, alors que de nombreux contrôleurs non payés à cause de la paralysie budgétaire ne se présentaient plus dans les aéroports. C’est cette intransigeance, à dix jours de la très populaire de Thanksgiving, qui aura eu raison de l’unité démocrate.
Car cette défection de quelques élus de l’opposition (six représentants ont également voté pour la fin du shutdown à la Chambre mercredi soir) engage une nouvelle crise existentielle au sein du Parti. Lesdits élus sont accusés de toute part d’avoir plombé une dynamique pourtant positive pour les progressistes américains. Les démocrates espéraient profiter du résultat des élections de la semaine passée, principalement lu comme un rejet de la politique de Donald Trump dont la popularité est en baisse, pour faire pression sur les républicains du Sénat. Le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, évoque sur X une «capitulation».
Un homme, en particulier, centralise les critiques : le chef de file de la formation au Sénat, Chuck Schumer. S’il a voté contre la fin du shutdown, il est accusé de n’avoir pas réussi à tenir ses troupes. Déjà au printemps, ce cador démocrate, élu d’une circonscription new-yorkaise, était accusé de ne pas faire suffisamment front face à Donald Trump en refusant d’engager une première paralysie budgétaire. Celle de cet automne devait lui permettre de donner tort à ses détracteurs. L’échec est cuisant.
«D’un point de vue politique, les démocrates doivent recentrer leur attention sur les républicains, aussi furieux soient-ils de la trahison de huit sénateurs, tempère Mark Longabaugh, stratège de la campagne du très progressiste Bernie Sanders à la primaire démocrate de 2016. Il ne faut pas perdre de vue l’enjeu central de la santé et la question de savoir qui est responsable, à savoir les républicains.»
Car malgré les clairons qui sonnent au sein de la majorité – le chef de file des républicains à la Chambre, Mike Johnson, s’est félicité de la fin d’un «long cauchemar national» –, celle-ci pourrait prendre comme un boomerang l’augmentation du prix de l’assurance santé des plus modeste à partir de janvier. «Ils continuent de parler de la réforme de la santé pour mettre fin à l’Obamacare, mais ils n’ont encore proposé aucun plan pour le remplacer», souligne Don Kettl. «Nous voulons un système de santé où l’argent est versé directement aux citoyens plutôt qu’aux compagnies d’assurances», a simplement déclaré lundi Donald Trump depuis le bureau ovale sans plus de précisions.
«Il n’y a que deux issues possibles à ce combat, selon Hakeem Jeffries, chef des représentants démocrates qui s’est exprimé en amont du vote de mercredi soir. Soit les Républicains décident enfin de prolonger les crédits d’impôt de l’Affordable Care Act cette année, soit le peuple américain chassera les Républicains de leurs fonctions l’année prochaine.» Faute d’avoir pu profiter de ce douloureux shutdown, et conscients que le vote de décembre ne devrait aboutir à rien, les démocrates veulent donc faire de l’assurance santé leur cheval de bataille pour les élections de mi-mandat, dans un an, qui verront se renouveler une bonne partie des deux chambres du Congrès. «Ils vont désormais tout faire pour mettre les républicains face à leurs contradictions», anticipe Don Kettl.
Plusieurs élus ont déjà commencé, ce mercredi, en relançant un autre feuilleton politique qui pourrait bien être le principal talon d’Achille de Donald Trump : l’affaire Epstein. Des parlementaires ont ainsi rendu public une série de mails de Jeffrey Epstein, accusé d’avoir dirigé un immense réseau de prostitution de mineurs, dont un de 2019 qui semble impliquer le président américain en assurant qu’il «savait à propos de filles».
La Maison Blanche s’est empressée de réagir en dénonçant une «supercherie». «Les démocrates sont prêts à tout pour détourner l’attention de leur piètre gestion de la paralysie budgétaire», s’est défendu Donald Trump lui-même sur Truth Social alors que le président a longtemps été un proche de Jeffrey Epstein. C’est que l’affaire embarrasse depuis cet été le milliardaire au plus haut point : certains de ses partisans s’indignent qu’il refuse depuis cet été de divulguer les documents détenus par le gouvernement, ce qu’il avait pourtant promis pendant sa campagne.
Ce qui pourrait arriver paradoxalement grâce à la fin du shutdown : le retour des représentants au Congrès a permis la prestation de serment d’Adelita Grijalva. Et cette élue démocrate de l’Arizona a immédiatement apposé la dernière signature nécessaire à une pétition parlementaire qui devrait conduire à un vote, la semaine prochaine, pour divulguer les fameux documents. Le trafic aérien reprend mais les turbulences commencent.