« Oui, j’avais le trac ! » A 10 ans, Bouchra a découvert ce curieux animal qui se loge dans les tripes en dansant la carmagnole et se saisit de notre gosier jusqu’à l’écraser sans pitié. Le trac d’avant-scène. « En plus je suis timide. » Et ça, le trac s’en repaît…
D’autant que l’écolière se retrouvait en terre inconnue : dans un théâtre. Un vrai ! Pas l’auditorium de la MJC de son quartier, mais un CDN, centre dramatique national. Pour une semaine entière.
Bouchra et ses 21 camarades de CM2 ont quitté en effet les murs de l’école pour entrer en immersion au théâtre de la Manufacture.
Après les classes de neige, les classes vertes ou de mer, s’ajoute cette nouvelle possibilité qu’est la classe inversée dans un théâtre. Sur un principe comparable : on va faire cours ailleurs, et on en profite pour découvrir de nouvelles activités.
In situ, ils explorent. Visitent. Questionnent. Chaque jour, ils passent un représentant des métiers du théâtre sur le gril. Un régisseur, une metteuse en scène (et accessoirement directrice des lieux en la personne de Julia Vidit), une chargée de communication, et pour finir un comédien.
Autant de rencontres et interviews qui contribueront au journal de bord en cours de réalisation. Au déjeuner ? Pique-nique au foyer. Classe immersive jusqu’au bout du casse-croûte.
« La classe inversée, c’est un dispositif soutenu par la Ville dans le cadre du Label 100 % EAC, éducation artistique et culturelle », annonce Aurélie Amar, chargée des relations avec le public. Autrement dit tous les élèves de la ville doivent pouvoir bénéficier d’un projet artistique, « reposant sur trois piliers : découvrir, rencontrer, pratiquer ».
Libérez les moutons !
La Manu a levé le doigt. Et a été retenue. Et en face s’est porté candidate l’école Moselly, sise au plateau du Haut Du Lièvre, dont les habitants sont souvent tenus éloignés de ces grands centres de culture. Cette même école qui avait déjà testé le dispositif avec succès au sein de l’Opéra l’an dernier.
Les élèves de Moselly ont donc pu : 1 – découvrir tous les méandres du lieu et même assister à un spectacle ( Dissolution ) ; 2 – rencontrer les « gens de théâtre » ; et 3 – pratiquer à leur tour.
Un atelier quotidien leur a été ouvert en effet, au cours duquel ils ont endossé le rôle… d’acteurs. Bouger, se poser, prendre la parole, écouter son partenaire de jeu, partager les énergies et les faire rebondir, autant de petits défis à relever. Incluant même une représentation in fine.
Les jeunes gens y sont confrontés à des monstres tout juste sortis de l’œuf. « Et pour les faire fuir, on doit raconter un de nos souvenirs, détaille la jeune Bouchra. Un souvenir extraordinaire. » Des bribes de mémoire qu’ils exposent courageusement sur les planches
« Quand j’étais petite, j’ai libéré des moutons », raconte ainsi la jeune fille. Quant à ouvrir la cage aux oiseaux, pourquoi pas poursuivre avec les portes de la bergerie… Pas du goût de l’éleveur toutefois. « Oui, bien sûr, je me suis fait disputer. » Aujourd’hui elle en sourit volontiers. Et sur scène, elle a su elle aussi se libérer. « Je suis quand même moins timide maintenant ! »
Prendre la confiance
« On a vu des enfants vraiment s’ouvrir, confirme Aurélie Cartillone, l’enseignante des petits explorateurs de coulisses. Une élève en particulier, complètement pétrifiée au début, qui a finalement réussi à monter sur scène. Ce n’était pourtant pas gagné. »
« Mon but, ce n’est pas de révéler de nouveaux comédiens, ni même chercher de nouveaux publics, précise au passage Chad Colson, le comédien encadrant l’atelier. Mais si ça peut servir à prendre un peu la confiance ou même à jouer la confiance, dans la vie, ça ne pourra que les aider ! »
Jouer son propre rôle n’est pas le moindre des défis dans l’existence…