La ville de Paris lui a donné carte blanche. Thierry Reboul, ancien directeur de la création des JO de Paris 2024, nous a raconté comment il avait préparé la cérémonie de commémoration organisée pour les dix ans des attentats du 13 novembre 2015, qui s’est déroulée ce jeudi, place Saint-Gervais (IVe), au Jardin du souvenir, en hommage aux victimes de l’attaque terroriste, un moment retransmis en direct sur TF1 et France 2.

Comment avez-vous imaginé le déroulé de cette cérémonie ?

THIERRY REBOUL. Je suis convaincu que cet événement est fédérateur et doit porter du sens et un message pour tous, celui des valeurs républicaines. Je suis obsédé par la différence, par le fait de faire des choses uniques, mais il faut les faire au service de quelque chose, sinon c’est gratuit et sans beaucoup d’intérêt. Il y avait la volonté de refaire nation, Dieu sait qu’on en a besoin. Et celle de délivrer un message de la manière la plus forte et la plus ambitieuse possible. On est aux deux opposés émotionnels avec les Jeux olympiques, mais on pouvait tirer ce fil du sens qui peut les relier, celui des valeurs républicaines. Ici, la mission, c’est de rendre hommage, tirer des leçons autour d’éléments qui doivent nous unir pour résister.

«On voulait faire des choses originales, mais au service d’une émotion, d’une mission qu’on m’a donnée, qui était que les Français repartagent ce moment», explique Thierry Reboul, ici en juin 2024. LP/Olivier Arandel«On voulait faire des choses originales, mais au service d’une émotion, d’une mission qu’on m’a donnée, qui était que les Français repartagent ce moment», explique Thierry Reboul, ici en juin 2024. LP/Olivier Arandel

Vous avez préparé cet hommage main dans la main avec les associations de victimes.

Ce sont des gens très sensés et intelligents, qui ont une culture musicale incroyable, pour certains éminemment supérieure à la mienne, c’est pour cela que j’ai emmené Victor Le Masne dans cette aventure (directeur musical de l’hommage et qui a composé un requiem pour cet anniversaire). La culture rock, je peux en parler un peu. Il y a eu des demandes de leur part, mais aussi une grande liberté. On s’est très vite sentis en confiance. On a beaucoup discuté, avec bienveillance, ce qui a permis, je pense, de tirer l’ensemble vers le haut. Il y a eu des propositions saugrenues et on a fait ensemble le tri.

Jesse Hughes, ACDC, Jarvis Cocker… C’était une cérémonie très rock ! Pourquoi ce choix ?

J’étais persuadé dès le début que le fil directeur ne pouvait se trouver que dans les passions de ceux qui nous ont quittés, des victimes en général. Je crois profondément que la musique, un certain type de musique plus précisément, a été leur perte, mais surtout leur passion, et que c’est à ça qu’il fallait rendre hommage. On pense au Bataclan, bien sûr, mais le Stade de France, on y va aussi pour chanter. Et sur les terrasses, dans les bars, on y va pour entendre de la musique. Il y avait une grande cohérence. Il fallait ensuite trouver des artistes et des textes qui disent quelque chose de cet hommage. D’habitude, on pense plutôt au violon ou au chant lyrique. Là, on a opté plutôt pour la guitare électrique. Comme un symbole. C’est un instrument qui a une puissance émotionnelle extrêmement forte.

« Il fallait quelque chose d’ambitieux, mais le principal danger, c’était d’être à côté de la plaque »

Thierry Reboul, organisateur de la cérémonie des dix ans du 13 Novembre

Et il y a cette chorale, le Chœur du 13, née pour cette occasion.

Parmi les idées de départ, les associations ont tout de suite proposé de chanter. Ma première réaction a été négative, ce qui est assez bête. Quand on cherche à faire des choses de la manière la plus professionnelle possible, on se méfie un peu de l’amateurisme. Finalement, je me suis dit, « mais non, avec cette chorale, la valeur émotionnelle et de sens, elle est tellement forte » ! Mais si on y allait, il fallait aller au bout de la logique, les aider, les encadrer avec toute une équipe de chefs de chorale. Ils sont une quarantaine de personnes d’horizons et d’âges divers. Ils ont répété. Ils l’ont fait avec beaucoup de sérieux et d’envie, de passion. Alors à la fin, on s’est dit « non seulement on va les laisser chanter, mais on va les mettre au centre de cette commémoration ». Ils en sont les artistes principaux.

Quelle a été la principale difficulté ?

On voulait faire des choses originales, mais au service d’une émotion, d’une mission qu’on m’a donnée, qui était que les Français repartagent ce moment. Les associations me l’on dit : « On sent que le temps fait son œuvre, que l’oubli guette ». Il fallait quelque chose d’ambitieux, mais le principal danger, c’était d’être à côté de la plaque. Je me suis servi d’Arthur Dénouveaux (rescapé du Bataclan et président de l’association Life for Paris) comme d’un testeur, pour savoir si c’était trop, pas juste, si ça pouvait heurter les sensibilités des familles et des proches. Ça m’a été incroyablement utile. La sortie de route, sur un sujet comme ça, elle arrive vite. C’est ça le plus difficile. Surtout dans les choses que moi, j’essaie de faire. On aurait pu faire juste des discours, un violon. Mais qu’est-ce qu’on aurait rempli comme mission en faisant ça ? Moi, j’aurais eu l’impression de ne pas en faire assez. De ce fait, le risque augmente.

Votre objectif avec une telle cérémonie, c’est de fédérer les Français ?

J’aimerais bien. Il y a peu d’occasions qui nous permettent de faire nation, il faut absolument les saisir, surtout en ce moment, et surtout quand elles sont justes. Qu’elles ont du sens. Je suis obsédé par le fait de dire à quel point ces valeurs républicaines sont importantes, justes et fortes, à quel point elles doivent forcément nous rassembler. Et qu’il y a des moments pour le dire où il y a une chance non négligeable que ça fasse l’unanimité. Je n’imagine pas qu’on ne se retrouve pas tous dans cet hommage et dans la volonté de faire hommage.