Il espère arriver en France dès ce week-end. Mais Boualem Sansal devra patienter encore quelques jours en Allemagne, où il est arrivé mercredi soir après avoir été gracié par le président algérien Abdelmadjid Tebboune à la demande de son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier.
Il était devenu une « icône de la lutte contre le régime algérien », comme le résume le directeur de recherches au Ceri Sciences Po Paris, Luis Martinez. Pris en étau dans une relation terriblement dégradée entre Paris et Alger, l’écrivain franco-algérien doit sa libération à l’intervention de Berlin. L’initiative allemande met en lumière les liens que cultive l’Algérie avec d’autres pays européens que la France.
Si l’Italie a la première place des pays européens concernant les échanges commerciaux avec l’Algérie (près de 14 milliards d’euros, contre 11,1 milliards d’euros avec la France), Rome n’avait pas vraiment intérêt à se mouiller dans le dossier Boualem Sansal. Contrairement à l’Allemagne.
Une bonne entente, surtout pragmatique
Berlin miroite en effet sur l’Afrique, et donc sur l’Algérie, pour en faire un partenaire énergétique et culturel de choix, selon les explications de Luis Martinez. Le rapprochement entre les deux chefs d’Etat s’est opéré pendant la crise du Covid-19, quand Abdelmadjid Tebboune a été soigné en Allemagne. Puis le partenariat pragmatique, notamment sur les questions énergétiques depuis que Berlin ne puise plus son gaz en Russie, a solidifié cette bonne entente.
Et au passage, les deux puissances « profitent de cette stratégie commune pour montrer à la France qu’elle n’est pas indispensable ». Une alliance « qu’il ne faut pas exagérer non plus », nuance Paul Maurice, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes à l’Ifri. Et d’ajouter : « Ils entretiennent des relations plutôt bonnes, oui, mais ce n’est pas une alliance ad vitam. »
Une stratégie tout bénef pour Berlin
Cette lettre écrite par le président allemand invoquant des « motifs humanitaires » ne lui coûte pas très cher au regard du halo diplomatique qu’elle lui rapporte. Grâce à cette intervention sur un sujet brûlant depuis un an, l’Allemagne « redore son blason sur la scène internationale et se positionne comme l’honnête courtier, celui qui permet aux différentes puissances de renouer le dialogue et aboutir à une solution diplomatique, ça lui donne une stature », analyse Paul Maurice.
Le cas Boualem Sansal était par ailleurs aussi important côté allemand. L’auteur du Village de l’Allemand était membre de l’Académie franco-allemande de Paris. L’ancien ministre Matthias Fekl et le diplomate Maurice Gourdault-Montagne, aussi membres de cette académie, ont joué un rôle pour le défendre auprès de l’Allemagne. A la lumière de cette victoire, Berlin profite également d’une « stature culturelle de rayonnement avec un intellectuel de renom qui s’intéresse à l’Allemagne », poursuit le chercheur.
Vers un dégel franco-algérien, sans retour à l’avant crise
Cette libération profite aussi à l’Algérie, lui permettant de sortie de la crise diplomatique « la tête haute ». Au point de réchauffer les relations franco-algériennes ? « Nous entrons dans une nouvelle phase qui a commencé déjà il y a plusieurs semaines », estime pour sa part Stéphane Romatet, l’ambassadeur de France en Algérie.
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Le ministre de l’Intérieur, Laurent Nunez, se rendra d’ailleurs « très probablement » dans le pays, nouveau signe d’un dénouement des tensions. Car pour Luis Martinez, le départ de Bruno Retailleau du gouvernement a forcément joué car « il n’y a plus de discours public insultant vis-à-vis de l’Algérie », estime le directeur de recherche. La reprise des discussions est une lueur d’espoir pour une libération du journaliste français Christophe Gleizes, dont le procès en appel pour « apologie du terrorisme » est prévu le 3 décembre.
Et si la France se rend compte qu’elle n’est plus l’interlocuteur de choix de l’Algérie en Europe, ses liens avec Alger restent indéfectibles. Même si la relation a été sérieusement abîmée par cette grave crise diplomatique, leur relation « ne disparaîtra jamais rien que pour la diaspora algérienne présente en France », souligne Paul Maurice.