Par
Marie Lamarque
Publié le
16 nov. 2025 à 8h08
« Prochainement : transformation de votre magasin en Carrefour express ». Ces banderoles ont fleuri sur les devantures de nombreuses supérettes passées sous l’enseigne du géant de la grande distribution. À Toulouse, impossible de manquer ces nouveaux points de vente, anciennement Casino Shop, Spar ou encore Vival. En cause, le groupe Puig & Fils qui a mis un terme, en janvier dernier, à son partenariat avec le groupe Casino pour se rapprocher de Carrefour et établir un « contrat de partenariat de 10 ans », informait Benoît Soury, directeur exécutif Carrefour Proximité.
Dans la Ville rose, 30 magasins sont concernés, tous devenus, ou sont en passe de l’être, des Carrefour express. Des transitions qui donnent le sentiment aux Toulousains que l’enseigne verte est partout, et qui engendrent colère et désespoir chez plusieurs gérants de magasins Carrefour déjà ouverts dans le secteur. Actu Toulouse a récolté leurs témoignages.
Deux Carrefour express à 500 mètres
Beaucoup parlent anonymement. Peu à visage découvert, comme Jonathan Potier à la tête du Carrefour express de Saint-Jory, au nord de Toulouse. En décembre 2010, il reprend les rênes du magasin du centre commercial du Clos de l’Hers qui était, à l’époque, « un 8 à Huit, enseigne du groupe Carrefour », se souvient-il. En 2013, il devient propriétaire du magasin et franchisé Carrefour. En 15 ans, « j’ai presque triplé le chiffre d’affaires », dit-il.

Jonathan Potier, franchisé Carrefour à Saint-Jory, au nord de Toulouse. (©Marie Lamarque / Actu Toulouse)
Fin 2024, un Casino Shop ouvre tout près de la gare, à seulement 500 mètres de son magasin, ouvert 7 jours sur 7, comme lui. « Avec Carrefour, nous avions déposé un recours gracieux », explique Jonathan.
Puis en février 2025, le Casino Shop devient Proxi, sous l’égide de la master franchise de Puig & Fils, qui rejoint alors le réseau Carrefour, et mettant fin à son contrat avec Casino. À partir de là, le groupe Carrefour demande à Jonathan de retirer le recours gracieux. « En contrepartie, on m’avait dit que ce magasin resterait sous enseigne Proxi. J’ai fait confiance. »
Mais en juillet dernier, Jonathan explique avoir été informé par des clients que le Proxi allait devenir Carrefour express. De quoi surprendre le professionnel : « qu’un commerce concurrent ouvre, on ne peut pas s’y opposer, mais que notre franchiseur trahisse sa parole envers un franchisé intègre, je ne l’accepte pas ».

Le magasin de Jonathan Potier est à 500 mètres du deuxième Carrefour express. (©Marie Lamarque / Actu Toulouse)
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« Aujourd’hui, il y en a partout »
Contactés par Actu Toulouse, franchisés ou ex-franchisés, locataires-gérants ou ex-locataires-gérants de magasins Carrefour dans la région toulousaine, témoignent aussi de difficultés rencontrées au sein du groupe. Louis*, qui travaillait à Toulouse, a préféré mettre fin à son activité quand il a vu un deuxième magasin s’installer à moins de 700 mètres du sien. « Quelques mois plus tard, un autre Carrefour s’est implanté [à un kilomètre de là, NDLR] », explique-t-il.
Au total, trois magasins dans un même secteur de la Ville rose, ce qui va lourdement impacter le chiffre d’affaires. « J’ai enregistré une baisse de 30% par rapport à mon N-1. Ils vendaient les mêmes produits que moi. Ce sont mes clients qui m’avaient averti, et non le groupe, se souvient-il. Aujourd’hui, il y en a partout. On ne peut pas faire 100 mètres sans en voir ». Parfaite illustration du « cannibalisme Carrefour », selon lui. Expression empruntée au journaliste Olivier Dauvers, spécialisé dans la grande distribution.
« Ça a tué des entreprises »
François*, autre commerçant Carrefour a, lui aussi, vu la situation se dégrader au fil des années. Il avait acheté son commerce il y a 7 ou 8 ans. « À cette époque, il y avait de quoi faire dans ce magasin. Tous les voyants étaient au vert. Avec la chute de Casino, le groupe a vu des opportunités à saisir. J’entends leur logique de vouloir reprendre ces locaux plutôt que de voir s’installer des concurrents. Mais ça a tué des entreprises, provoqué des licenciements », explique-t-il.
Dans son secteur toulousain, lui aussi a vu en quelques mois de nouveaux concurrents s’installer. D’abord, « un nouveau gros Carrefour, de ma taille à peu près, très proche de chez moi. Il m’a fait beaucoup de mal. Puis un deuxième, plus petit, à quelques rues. Puis un autre, un Casino Shop qui devient Carrefour. C’est du jamais vu. Et ce n’est pas un quartier qui a connu un grand changement démographique pour expliquer ces arrivées. C’est juste le gâteau qui se redivise en plus de parts, sans que nos charges à nous ne diminuent ».
Conséquence, il voit son chiffre d’affaires baisser de 30 à 40%. Tout comme Louis*, il veut céder son affaire, se consacrer à un autre projet pour être « débarrassé de ce poids« .
« Une concurrence déloyale, un coup bas »
Même sentiment dans l’agglomération toulousaine où ce franchisé a vu une installation à trois kilomètres de chez lui, dans le village voisin. « Je n’ai pas vu d’impact sur mon chiffre d’affaires pour le moment, mais je suis inquiet. » Il dénonce « une concurrence déloyale, un coup bas » de la part du groupe. « Ils vendent la même chose que moi, ce n’est pas normal ».
Pour consolider sa compétitivité, Jonathan Potier s’est rapproché de l’Association des franchisés Carrefour (AFC) dont il est devenu le représentant pour la région sud-ouest. « Grâce à l’AFC, nous avons pu nouer un partenariat complémentaire avec un autre fournisseur et profiter de tarifs plus compétitifs, dans le respect de notre contrat avec notre franchiseur, mais aussi un soutien juridique et humain. Nous avons pu appliquer une baisse de tous nos prix le 15 octobre 2025« , souligne-t-il.
Et de conclure : « nous nous battrons pour défendre nos droits, l’image de notre enseigne, au bénéfice de tous les clients ».

Jonathan Potier. (©Marie Lamarque / Actu Toulouse)
Contacté par Actu Toulouse, le groupe Carrefour n’a pas souhaité faire de réponse.
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