Budapest Antifascist Solidarity Committee / vendredi 7 novembre 2025
Censure de la poste, procédure disciplinaire, travail à la cantine – Un regard derrière les murs.
Des informations actualisées (au mois de septembre 2025) sur les conditions d’enfermement des antifascistes en détention préventive.
Depuis six à huit mois, les antifascistes qui, en début d’année, se sont rendu.es aux autorités chargées des enquêtes [voir ici ; NdAtt.], après que celles-ci les aient cherché.es en vain pendant près de deux ans, se trouvent en détention préventive. Depuis, des rassemblements solidaires ont régulièrement lieu devant différentes établissements pénitentiaires en Allemagne, des lettres arrivent de partout et, de temps en temps, des fusées multicolores explosent dans la nuit – une courte frayeur pour les fonctionnaires, un grand sourire pour les nôtres. Maintenant, les débuts des procès approchent, aux tribunaux supérieurs de Dresde et de Düsseldorf. Le choix de ce dernier endroit implique le transfert de Paula, Nele, Emmi, Moritz et Clara vers des établissements pénitentiaires de la Ruhr, ce qui, à l’intérieur, arrache les détenu.es à leurs routines, à leurs cellules à peine meublées et à leurs cercles sociaux, et, à l’extérieur, rallonge la durée du trajet pour les familles et les ami.es en visite, jusqu’à huit heures (aller simple !).
Nous avons demandé aux prisonnier.es et à leurs groupes de soutien de décrire leurs conditions actuelles, en détention préventive. La taule fonctionne si bien en tant que système parce qu’elle représente une boîte noire qui, d’une part, isole les personnes détenues de leur monde extérieur et, d’autre part, ne permet pas aux personnes à l’extérieur de savoir exactement ce qui se passe à l’intérieur. Avant tout, malgré toute la merde, l’absurdité, l’impuissance et la violence que les prisonnier.es antifascistes subissent quotidiennement en détention, il faut mentionner le fait qu’un réseau de solidarité si grand et une protection financière si étendue constituent une exception absolue, dans le système carcéral allemand. La plupart des personnes détenues en Allemagne ont beaucoup moins souvent l’occasion de ressentir un tel soutien extérieur, d’être informées de toutes les demandes et astuces possibles en taule, elles sont victimes de plus de racisme et/ou portent avec elles leurs propres expériences de violence, qu’il est impossible de traiter en taule. Afin de rendre cette boîte noire/taule un peu plus transparente, de dessiner une image plus précise de la vie quotidienne en prison – avec toues ses différences selon les personnes, les établissements ou les Länder – nous avons rassemblé ci-dessous des récits des conditions de détention de Nele, Emmi, Morit, Lucas et aussi de Nanuk. Merci aux groupes de soutien des détenu.es, aux avocat.es solidaires, aux familles et aux ami.es pour leur travail inlassable !
Luca
Luca est, depuis fin janvier 2025, en détention préventive à la Maison d’arrêt de Bielefeld-Brackwede. Depuis le printemps, elle travaille dans la cantine du personnel, où elle est responsable des desserts. Cela l’aide beaucoup à organiser sa vie quotidienne et à développer une routine à peu près agréable. Cependant, il y a quelques abus, à la MA.
La gestion des parloirs, du courrier et des journaux est particulièrement pénible pour Luca. Sur ces points, des règles spéciales valent pour Luca, qui ne valent pas pour toutes les autres prisonnières. Dans son cas, toute communication avec le monde extérieur passe par le service de sécurité et le responsable de la sécurité de la prison. Seulement quand celui-ci est présent – ce qui est malheureusement rarement le cas – les dates des parloirs peuvent être fixées ou alors les parloirs ou les rendez-vous pour les appels téléphoniques déjà fixés peuvent être annulés. De même, les lettres, les journaux et les revues ne lui sont transmis que s’ils ont été lus auparavant par le service de sécurité. Le service de sécurité ne manque pas de contrôler le contenu interdit du quotidien Neues Deutschland. Ce qui pourrait y être de dangereux, reste obscur. C’est pourquoi Luca reçoit généralement des lettres une fois par semaine et les journaux aussi de manière totalement irrégulière. La manie de contrôle de la Maison d’arrêt se manifeste donc notamment par le fait que les journaux et toutes les lettres de Luca, qui ont déjà été contrôlés auparavant par le tribunal, sont aussi relus encore une fois à la MA. Les derniers restes de sphère privée dans la prison lui sont ainsi retirés, car le responsable de la sécurité sait tout ce qu’elle écrit et qu’on lui écrit.
Ce qui est particulièrement désagréable pour toutes les prisonnières femmes, c’est qu’il y a une différence de traitement avec les prisonniers hommes. Ceux-ci ont beaucoup plus de temps libre et d’offres de formation et peuvent, par exemple, jouer au foot à l’extérieur, dans la cour, et ils ont dehors une table de ping-pong, un panier de basket, un terrain de volley. Jusqu’ici, les détenues se sont vues refuser tout cela, bien qu’elles se soient battues pour l’avoir. Luca et les autres sont autorisées à jouer au football seulement dans une petite salle, une fois par semaine, lors des séances collectives de sport, et elles ont le droit d’utiliser seulement la petite salle de sport.
Sinon, pour tou.tes les prisonnier.es, vaut la règle que l’ouverture de la salle des services a lieu uniquement une fois par semaine et, dans certains cas, elle est même complètement supprimée. Elles peuvent également utiliser une cuisine commune. Si celle-ci n’est pas laissée dans l’état souhaité, une punition collective est infligée à tout le monde et la cuisine est fermée jusqu’à nouvel ordre. De plus, il faut des demandes écrites pour les plus simples des démarches quotidiennes et parfois elles doivent être renouvelées tous les jours, car il n’est jamais clair si une demande a été reçue et quand elle sera traitée. Cela peut durer des semaines, avant qu’une réponse n’arrive, ou parfois elle n’arrive jamais. Cet arbitraire dans le traitement des demandes fait partie du système de domination de la prison.
Nele
Depuis janvier 2025, Nele est incarcérée dans la Maison d’arrêt de Chemnitz. Elle est globalement stable et supporte bien sa détention. Les conditions à la MA de Chemnitz sont relativement bonnes, par rapport à d’autres établissements pénitentiaires. Ainsi, elle peut faire régulièrement du sport, dont de la musculation, des sports d’endurance et de l’aérobic. De plus, toutes les deux semaines elle a une art-thérapie (de la gravure sur linoléum) de deux heures, qu’elle trouve très positive. Elle suit une formation d’un an comme menuisier, qui peut être reconnue en modules, et travaille six à sept heures par jour. De plus, elle a trois à quatre heures de « porte [de la cellule] ouverte » par jour et peut cuisiner et manger avec d’autres prisonnières. En outre, elle a une heure par jour de promenade.
La cellule de Nele est assez sombre, ce qui est très désagréable pour elle, car elle écrit et dessine beaucoup. Elle a une vue qui donne directement sur un mur, au lieu de donner sur un environnement plus éloigné ou sur des arbres, etc. Un déménagement dans une cellule plus lumineuse n’a pas encore été autorisé. Elle a une télévision, une radio et quelques livres ou CD commandés à l’extérieur.
Nele a quatre heures de parloir par mois (avec trois personnes maximum) et quatre appels téléphoniques de trente minutes chacun. Les salles de visite sont agréables, lumineuses et pas trop petites ; un agent du LKA [la PJ de chaque Land allemand, ici de Saxe ; NdAtt.] est présent, mais pas le personnel de la prison. Les câlins ne sont pas un problème.
Les soins de santé fonctionnent seulement en partie. Ils peuvent parfois être lents et ça prend beaucoup de temps pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste ou pour avoir une thérapie appropriée.
Emmi
Entre-temps, Emmi a été transférée sans préavis à la maison d’arrêt de Dinslaken. Vous trouverez ici le texte de son groupe de solidarité. Ci-dessous le récit de la période qu’elle a passé à la prison de Luckau–Duben.
Avant tout : Emmi va toujours très bien, elle est positive malgré les circonstances difficiles, est toujours de bonne humeur lors des parloirs et, surtout, le dernier rassemblement devant la prison lui a fait beaucoup de bien !
Depuis qu’elle s’est livrée, en mars 2025, Emmi est détenue à la Maison d’arrêt de Luckau-Duben. Les conditions générales de sa détention n’ont pas changé (voir la première mise à jour, d’avril 2025). Elle ne peut toujours pas commencer de formation et l’établissement pénitentiaire lui a jusqu’à présent refusé de suivre des études. Une petite lueur d’espoir : la MA semble pouvoir autoriser un enseignement à distance, analogique. Il reste à voir si cette promesse sera tenue. En fait, Emmi a une heure et demie de « porte [de la cellule] ouverte » et une heure de promenade dans la cour par jour et, faute de formation, d’études ou de travail, elle doit passer le reste du temps seule dans sa cellule.
Elle reçoit beaucoup de courrier et écrit beaucoup de lettres, ce qui lui a permis de voir que l’attitude et le comportement des employés de la MA à son encontre ont changé. Des lettres avec des prétendus « contenus extrémistes » (le logo antifa, des slogans « Free Emmi », etc.) lui étaient constamment refusés ou retirés. À ce propos, elle a remarqué que d’autres contenus politiques, comme par exemple le tatouage d’une croix gammée d’une codétenue ou des symboles de droite sur les murs de la MA ne semblent plus déranger personne.
Depuis que la responsabilité de la surveillance de son courrier a changé, la MA a aussi reconnu que le blocage des contenus politiques est illégal. Beaucoup de lettres qui lui avaient été retenues lui ont été remises à posteriori.
Emmi a quelques amies à la cour de promenade, avec lesquelles elle aime passer du temps, mais elle parle souvent, aussi, de la forte rotation au sein de la petite section féminine de la Maison d’arrêt.
Actuellement, Emmi a sur le dos une procédure disciplinaire, parce qu’elle voulait se renseigner sur la liste des achats possibles dans une prison du Land Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Pour cela, elle a rédigé une lettre pour une autre détenue (avec des contacts là-bas), qui parle mal l’allemand. Cela a été interprété comme un contournement du contrôle postal. De plus, elle aurait prêté son shampooing à une codétenue. Cette punition signifie pour elle la suppression de toutes les activités sociales (sport, porte ouverte, culte, la promenade avec d’autres, etc.). En outre, le culte et les activités sportives sont supprimés jusqu’à la fin de l’année, à cause du manque de personnel. Malgré cet harcèlement massif, Emmi ne se laisse pas abattre !
Avec le procès à venir, Emmi sera transférée dans une MA en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Il reste à savoir si un transfert améliorera ou détériorera encore plus les conditions de détention d’Emmi.
Moritz
Depuis qu’il s’est livré, en janvier 2025, Moritz est détenu dans l’Établissement pénitentiaire pour mineurs de Regis-Breitingen, en Saxe. Au début, il ne lui était pas possible d’y suivre une formation. Seulement en avril, Moritz a pu commencer sa formation dans le domaine de la logistique.
Il participe à des cours d’art-thérapie et de relaxation et a lancé un club de ping-pong et de volley-ball. Moritz a deux ou trois heures de « porte [de la cellule] ouverte » et une heure de promenade par jour.
Lors des rassemblements de solidarité, sa promenade est reportée par l’EPM. L’ensemble du courrier de Moritz n’arrive pas en original, mais lui est remis par le personnel sous forme de copie – y compris les photos et les timbres. Ceux-ci doivent donc être envoyés seulement sous forme de code QR. Moritz ne reçoit plus ses journaux de la part de l’EPM, au motif qu’il doit les payer lui-même.
Ses heures de parloir sont de quatre fois deux heures par mois et ses heures de téléphone de six fois trente minutes par mois. La possibilité d’effectuer les parloirs comme prévu dépend aussi du LKA de Saxe, dont un agent est présent dans la pièce à chaque parloir et qui écoute chaque appel – en mai, en raison d’un manque de personnel, Moritz a pu faire moins de parloirs et d’appels. L’agent du LKA est quelques fois arrivé avec plus d’une heure de retard ou a déplacé de son initiative le moment les appels.
Les soins de santé ne fonctionnent pas non plus, à Regis-Breitingen, et les prises en charge médicales sont souvent insuffisantes. Ainsi, Moritz a été accusé d’avoir pris des drogues, alors qu’il avait une forte fièvre et qu’ils n’ont pas pris au sérieux le fait qu’il soit malade. Moritz s’est également plaint de conditions d’hygiène parfois insuffisantes – notamment de la présence d’insectes dans la nourriture.
Moritz sera transféré avant le début du procès à Düsseldorf, en 2026. Il sera transféré dans le seul Établissement pénitentiaire pour mineurs de la région – à Hainsberg. Pour s’y rendre depuis Leipzig, sa famille et ses proches ont besoin de huit heures et demie de train.
Nanuk
Le 21 octobre 2024, Nanuk a été arrêté à Berlin par des enquêteurs du LKA de Saxe [voir ici ; NdAtt.].
Les premières vingt-quatre heures après son arrestation, Nanuk a dû les passer avec menottes et chaînes aux pieds. Jusqu’au début de décembre, il a été soumis à des mesures de sécurité élevées, qui ont progressivement été assouplies. Dans la procédure de l’établissement pénitentiaire, cela s’exprime par un système de points stigmatisants affichés sur la porte des cellules, ainsi il a entre autres un point vert, pour « potentiellement violent ». Pour que même le dernier des matons comprenne, la porte de la cellule a été en outre munie des avis « ouvrir à deux » et « remettre de main en main ». Les conséquences de ces nombreux points et panneaux sont considérables. Très concrètement, cela signifiait vingt-deux heures d’enfermement par jour, deux heures de promenade en commun, mais pas de « porte [de la cellule] ouverte ».
Nanuk a le droit de faire deux parloirs par mois, avec trois personnes au maximum, pendant une heure. Les visites sont surveillées par le LKA et par le personnel de la Maison d’arrêt. Un appel téléphonique hebdomadaire régulier avec la famille est aussi surveillé par le LKA.
Depuis fin septembre, Nanuk est autorisé à travailler dans l’atelier de reliure de livres de la MA de Moabit. C’était le souhait de Nanuk, d’avoir un travail pendant sa détention, mais le service de sécurité de la MA l’a longtemps empêché.
Pour Nanuk, le travail a d’abord signifié le transfert vers une autre section et, après presque un an de détention préventive, aussi ce qui est parfois la chose la plus importante : le régime « porte [de la cellule] ouverte ». Après onze mois enfermé en cellule vingt-deux heures par jour, cela représente pour lui une amélioration de sa situation de détention. Pendant les mois d’été, beaucoup d’activités de temps libre ont été supprimées à cause des vacances et du manque de personnel et les séances de sport dans la cour ont eu lieu de manière très irrégulière.
Nanuk continue de faire des récits très positifs de sa détention à Moabit. La solidarité entre les détenus est très grande, le temps de la promenade est utilisé pour s’entraider avec les demandes et les absurdités bureaucratiques. Ce qui se passe depuis le début de sa détention est que chaque demande doit être faite plusieurs fois, parce que la plupart sont « perdues » ou ignorées et seulement un insistance constante permet qu’elles soient traitées. Les lettres de Nanuk parlent beaucoup de l’harcèlement quotidien auquel les prisonniers sont soumis, il raconte aussi d’automutilations ou de tentatives de suicide et d’incendies dans l’établissement pénitentiaire. Les moments passés ensemble [lors des parloirs] sont utilisés pour échanger et se soutenir mutuellement. Depuis que le tribunal supérieur de Dresde a assumé la compétence de cette affaire, les choses vont beaucoup mieux avec le courrier. Le contrôle du courrier dure environ deux semaines.
Cela n’est pas encore confirmé, mais il est très probable que Nanuk soit transféré en Saxe peu avant le procès ; des déplacements journaliers depuis et vers Berlin au moins une fois par semaine ont été jugés impraticables. Le transfert, dont la date n’est pas encore connue, représente pour Nanuk une situation de détention complètement nouvelle. Une nouvelle taule veut dire de nouvelles opportunités et de nouveaux amis, mais pour la famille et les autres visiteur.es, cela signifie beaucoup d’efforts pour le voir.
Cependant, il se réjouit que le procès commence enfin et que quelque chose soit fait, après un an d’attente.
Source: Attaque.noblogs.org