Par

Théo Zuili

Publié le

18 nov. 2025 à 17h57

À Lyon, le Bus Paradise se présente comme un strip-club « à la française ». Danseuse indépendante au sein de cet établissement qui a fêté ses 10 ans cet automne, Cléa, 24 ans, raconte sans honte sa vie de stripteaseuse. Elle dit tout à actu Lyon et espère démystifier un métier qui la rend fière, souvent mal-compris entre art, séduction et commerce. « J’assume, il n’y a rien à cacher. »

Elle découvre le strip-tease sur TikTok

Originaire de la Loire, Cléa, 24 ans, confie avoir découvert le strip-tease par hasard sur TikTok. « Une Américaine expliquait vraiment le métier. Je ne connaissais pas ce monde, on n’en parle jamais. Et je me suis dit : c’est incroyable, ça me permettrait de financer plus rapidement mon projet d’école de danse tout en faisant ce que j’aime. »

Je suis danseuse professionnelle à côté. Deux métiers qui se ressemblent beaucoup, mais l’un habillée et l’autre nue.

Cléa

« Les clients ne sont pas toujours tendres »

Professionnelle du swing, elle a laissé tomber la restauration pour s’installer à Lyon et rejoindre le Bus Paradise, « cabaret sexy » du 6ᵉ arrondissement mêlant spectacles, salons privés et ambiance lounge.

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« Je pensais que ce serait une histoire de seulement quelques mois. » Mais un an et demi plus tard, elle y travaille toujours à raison de trois à quatre nuits par semaine, dit-elle sans regret.

Elle décrit le strip-tease comme une expérience qui « forge le caractère, aide à prendre confiance en soi, à se sentir belle » : « J’ai pris en maturité. On se confronte à soi-même, à des situations parfois délicates. Les clients ne sont pas toujours tendres, essaient de tester nos limites avec des réflexions qui peuvent être déplacées ou des remarques sur le physique… il faut de la patience et une bonne maîtrise de soi. »

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Un théâtre de la séduction

« À côté, j’ai une vie normale » : le jour, Cléa s’entraîne pour ses spectacles de swing, fait du shopping, prend le métro et porte des joggings. La nuit, elle se prête à une autre forme d’art : la séduction. « On m’a dit de me créer un personnage, mais ce qui marche pour moi, c’est la douceur, le naturel. »

Cléa, 24 ans, explique être fière de son métier de strip-teaseuse sans nier qu'il peut être difficile.
Cléa, 24 ans, explique être fière de son métier de strip-teaseuse sans nier : il peut être difficile. (©Théo Zuili / actu Lyon)

Le videur, Laurent, filtre les clients selon leur tenue, état de sobriété et manière de parler. L’entrée coûte une vingtaine d’euros, les verres autour de trente, et les shows privés dix fois plus. À l’intérieur, chaque danseuse aborde les clients avec tact sous les lumières tamisées et les effets stroboscopiques. Canapés en velours, barre de pole-dance et DJ : « On vend une parenthèse dans la vie », dit Mary, la directrice.

Ma première scène, j’étais très stressée. On est en sous-vêtements, on se compare aux autres filles… Ce n’était pas comme je l’imaginais. Dans les films, on voit les billets partout, les clubs immenses, alors qu’ici, c’est plus intimiste. Mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas payant.

Cléa

Les danseuses (en robe longue jusqu’à minuit, en lingerie ensuite) se partagent la scène selon un roulement. « Quand je monte sur scène, je suis contente. Ils regardent avec admiration. Je me sens libre. Parfois, quand ça ne va pas dehors, ici, je m’évade. »

Un art et un commerce

Indépendantes, les danseuses sont payées à la semaine selon un cachet fixe additionné au nombre de danses privées vendues chaque soir, de 22h à 5h du matin. « On ne sait jamais à l’avance combien on va toucher, ça dépend des clients », confie Cléa. Une « bonne soirée » peut lui rapporter jusqu’à 300 €.

Entre flirt et commerce, le strip-tease repose sur une ambiguïté assumée. « On est un peu des psychologues sexys, on répare les petits cœurs en dansant et en parlant », sourit-elle. Si les mouvements sensuels et les poitrines découvertes attirent le regard, c’est souvent la parole qui retient le client. « C’est comme un date Tinder : il faut s’intéresser à la personne. Certains commerciaux nous disent qu’ils aimeraient nous avoir dans leur équipe ! »

Les clients, Cléa les connaît bien. « Il y a ceux qui viennent fêter quelque chose, les curieux qui sortent du casino, et ceux qui découvrent juste. » Beaucoup veulent voir en vrai ce qu’ils ont fantasmé dans les films ou sur GTA. Les plus réguliers cherchent davantage la compagnie que le spectacle.

Cléa est danseuse de strip-tease depuis un an et demi : à côté, elle est danseuse professionnelle de swing.
Cléa est danseuse de strip-tease depuis un an et demi : à côté, elle est danseuse professionnelle de swing. (©Théo Zuili / actu Lyon)

La séduction passe par une transaction : les shows privés, en nudité intégrale, peuvent durer de quelques minutes à plusieurs heures selon le tarif. « Beaucoup pensent qu’on couche avec les clients, ou qu’on les voit en dehors. La phrase typique, c’est : ‘Alors, tu proposes plus ?’ On répond toujours calmement, en expliquant comment ça marche. »

L’amalgame avec la prostitution, une activité illégale en France, revient souvent. « Ça reste de la danse, c’est érotique et festif, mais ça ne va pas plus loin », explique Cléa. « Pour certains clients, séduire devient un challenge », complète Mary.

Une vigilance solidaire

Ici, les personnalités sont « démultipliées », dit Cléa, « mais la plupart des clients ne sont pas malveillants. C’est un beau métier, les gens sont émerveillés ». Il arrive que l’ambiance chauffe un peu « entre copains avec l’effet de groupe et l’alcool », mais les débordements restent rares. « Je n’ai presque jamais vu le videur intervenir », assure la danseuse.

La sécurité est une priorité : « On dit bien que les photos et vidéos sont interdites, il y a des caméras partout, et entre filles on est vigilantes. » L’équipe veille les unes sur les autres ; « ce n’est pas le cas partout », insiste Mary. « Entre danseuses, c’est relativement sain, on se tire vers le haut », continue Cléa, qui encense une direction « bienveillante ».

Mes proches me connaissent et me font confiance. Tout ce qu’ils veulent, c’est que je sois en sécurité.

Cléa

Et le décor change quand le club est vide. « On rigole, on fait des twisters, des karaokés… Je suis la meilleure au blind test ! », sourit Cléa. « L’ambiance est bienveillante, cocooning et on attire ce qui nous ressemble. »

« Un jour, j’arrêterai »

« On reçoit énormément de candidatures », raconte Mary. « Beaucoup de filles veulent essayer, mais certaines se rendent compte très vite que ce n’est pas fait pour elles : le travail de nuit, le bruit, la nudité, la fatigue… » Cléa confirme : « Il faut être accrochée, connaître ses limites, avoir une stabilité émotionnelle. » Le club veille à la sélection : « Il faut être française, avoir ses papiers, un minimum athlétique et surtout, son petit truc à soi. »

« Je gagne bien ma vie ici, entre 2 500 et 5 000 euros par mois », confie Cléa. Mais comme tous les métiers, celui de strip-teaseuse a aussi des revers. « C’est épuisant. Parfois, j’ai envie d’arrêter une semaine ou deux. Mais ça manque vite, les copines, les clients, l’ambiance. »

« Un jour, j’arrêterai. L’âge me fera revenir à la raison. Par esthétisme, par énergie aussi. » D’ici là, Cléa économise pour ouvrir sa propre école de swing. « J’aimerais inspirer d’autres filles. Leur montrer qu’on peut avoir confiance en soi. » Quant à « ceux qui jugent », elle les invite simplement, eux aussi, à « venir voir par eux-mêmes ».

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