L’Afrique, si proche de l’Europe, représente pour cette dernière une inestimable source d’approvisionnement en matières premières industrielles, stratégiques, et précieuses. Dès lors, toute perturbation, ou insuffisance dans la chaîne logistique les reliant, représente un risque pour la sécurité d’approvisionnement d’un grand nombre d’industries de ce côté-ci de la Méditerranée. Nous devons donc avoir un regard très attentif sur toute perturbation, ou goulet d’étranglement, de la chaîne logistique africaine.

Par Gérard Vespierre (*)

De nombreux pays africains représentent des sources essentielles d’approvisionnement pour les industries européennes, avec pour principaux utilisateurs finaux les secteurs de l’automobile, de l’énergie et de la technologie.

Les matières premières concernées appartiennent à trois grandes familles, les matières premières industrielles, cuivre, fer, bauxite, les matériaux stratégiques, Cobalt, Coltan, lithium, et les matières précieuses, or, platine.  Selon les dernières données disponibles de la Commission Européenne et de l’OCDE, le montant annuel total des importations européennes de minerais africains s’élèverait à 25 milliards d’euros. Les principaux pays producteurs, exportant vers l’Europe se nomment, Afrique du sud, Ghana, Guinée, Zambie, RDC. Les principaux pays industriels européens sont les naturels clients, France, Allemagne, Italie, Espagne, Belgique, Pays-Bas.

Une priorité structurée par L’UE

Cette dépendance a conduit Bruxelles à mettre en place des initiatives comme le Critical Raw Materials Act (CRMA) et des partenariats stratégiques avec des pays africains pour sécuriser l’approvisionnement. Parmi les objectifs du CRMA figure le renforcement de la résilience des chaînes d’approvisionnement, tel est le rôle des partenariats. L’Union européenne a établi ces relations privilégiées avec plusieurs pays africains pour sécuriser ses approvisionnements en minerais critiques, tout en promouvant des standards environnementaux et sociaux. Les principaux pays partenaires sont la République démocratique du Congo (RDC), le Rwanda, la Namibie et la Zambie.

Cette formalisation couvre les aspects de la disponibilité de la production. Se pose alors la question opérationnelle de la logistique, à savoir la mise en place d’infrastructures de transport. On comprend mieux dès lors, l’importance accordée aux infrastructures portuaires et ferroviaires africaines, et à leur bon fonctionnement.

La bataille des ports

La relation maritime de l’Afrique avec la mer est évidente, puisque le continent s’ouvre sur 2 mers et 2 océans. 54 États structurent le continent, et 38, soit un peu plus des deux-tiers, possèdent une façade maritime. Les 16 autres, enclavés, créent donc une pression et une responsabilité sur les 38 ‘maritimes’ pour assurer le transit de leur commerce et ressources.

Le CESA, Centre d’Etudes Stratégiques de l’Afrique, estime que la Chine est impliquée dans 78 ports africains en tant que bailleurs de fonds, constructeurs ou opérateurs, soit 33% de l’ensemble des infrastructures portuaires du continent. La présence chinoise dans le secteur portuaire africain est sans équivalent ailleurs dans le monde.

Les Émirats arabes unis, dans le cadre de leur développement stratégique international, sont aujourd’hui un acteur majeur, avec leur principal opérateur, DP World. Les EAU encouragent également de nouveaux entrants, comme Abu Dhabi Ports, très présent en Afrique de l’Est, leur zone d’influence naturelle, où ils rivalisent avec la Chine.

La France connaît un déclin dans le domaine portuaire et logistique en Afrique, avec la cession des actifs africains du groupe Bolloré, Africa Logistics. Mais notre pays conserve néanmoins des atouts avec le géant mondial du transport maritime, CMA-CGM, très actif au Nigéria ainsi qu’au Cameroun. 

Les principaux ports africains concernés par l’exportation de minerais sont les ports de Richards Bay (Afrique du Sud) Takoradi (Ghana) Lobito (Angola) Dar es Salaam (Tanzanie) et Conakry (Guinée). Ils se répartissent sur les 2 façades océaniques du continent.

Mais depuis les ports, il convient de recevoir et d’expédier dans la profondeur du continent. Le rail constitue donc un autre maillon logistique, essentiel.

Les corridors, et la bataille du rail

Il existe naturellement de nombreux « corridors » ferroviaires pour alimenter les débouchés portuaires stratégiques africains. Il est important de les nommer et présenter parce que ces canaux ne sont ni très connus, ni reconnus pour être importants. De leur disponibilité, et de leur maintien en dehors de tout conflit, dépend la fiabilité de l’approvisionnement des sites industriels européens.

Le corridor de Lobito, du nom de ce port angolais, offre des débouchés aussi bien à la Zambie qu’à la République Démocratique du Congo.

Le corridor ferroviaire de Beira relie le port de Beira, au Mozambique, à la ville de Bulawayo, au Zimbabwe. Il s’étend sur environ 850 km.

Le Central Corridor relie le port de Dar es Salaam à l’extrême ouest Tanzanien, jusqu’à l’extrémité ouest à Kigoma. Il s’inscrit dans une stratégie régionale visant à connecter la Tanzanie au Burundi, au Rwanda et à la République Démocratique du Congo, facilitant ainsi le commerce et la mobilité dans la région des Grands Lacs.

En projet le corridor Liberty, soutenu par les Etats-Unis, permettra de transporter du minerai de fer de Guinée vers le principal port du Liberia via la ligne ferroviaire Yekepa-Buchanan.

Manque d’entretien et congestion ferroviaire limitent parfois leur efficacité. Plusieurs corridors font l’objet d’investissements pour améliorer la capacité ferroviaire et réduire les coûts logistiques. Les États-Unis, la Chine, l’UE et le Japon investissent dans ces corridors pour sécuriser l’accès aux minerais critiques.

Tous ces éléments d’analyse de la chaîne logistique africaine, ports et rails, permettent de mieux comprendre l’importance de la visite récente du président du Libéria en France.

Une visite stratégique

La visite du président Joseph Nyumah Boakai, fin octobre, a permis d’amorcer un renforcement des liens économiques et commerciaux entre le Liberia et la France. Ce fut l’occasion de signer un accord général de coopération économique, afin de renforcer la coopération dans plusieurs secteurs économiques, énergie renouvelable et activité minière, ainsi que dans l’éducation et la santé. Ce fut également l’occasion d’aborder la création d’une chambre de commerce Franco-Libérienne. 

La récente découverte d’importantes réserves de minerais de fer, d’uranium, et de lithium, pourrait apporter plusieurs milliards d’euros de recettes à l’économie du pays. Mais l’exploitation de ces ressources nécessitera des investissements en infrastructure.

Cette visite fut l’occasion pour le président Boakai de rencontrer les dirigeants du groupe Arcelor Mittal (AML). Le groupe détient les droits d’exploitation exclusifs de la ligne de chemin de fer de 250km reliant le port de Buchanan à la ville minière de Yekepa dans l’est du pays, très proche de la frontière guinéenne. Ces droits concernent également une importante mine de fer, et le port de Buchanan. Cette situation d’exclusivité réduit le potentiel économique des infrastructures : elle empêche leur utilisation par d’autres exploitants, selon les orientations souhaitées par le gouvernement, et bloque le transit des ressources guinéennes. 

Cette situation est donc centrale vis-à-vis de l’impératif de libre circulation logistique des ressources minières africaines, essentielles à l’Union Européenne. Elle impacte aussi l’économie Libérienne. 

Les conséquences pour le Liberia

Le plus récent rapport financier d’Arcelor Mittal mentionne une production, et des exportations record, de minerai de fer à partir du Liberia. Il souligne cette contribution à la croissance du groupe. Cette année l’action d’AML a augmenté de plus de 50%. Malgré ces chiffres, il est à noter également que le groupe ne rend public, ni son chiffre d’affaires local, ni le montant des taxes versées, ou le montant des dividendes transférés à l’Etat Libérien au titre de ses 15% de participation.

Une version, amendée, de l’accord initial MDA (Mineral Development Agreement) de 2005, a été signée en 2021pour permettre l’expansion des activités minières, logistiques et portuaires. Cela indique donc que des négociations sont possibles.

Le MDA est également soumis à l’approbation législative et peut donc être amendé ou renégocié, ce qui limite tout principe de primauté par rapport au droit national.

Cette situation, très évoquée dans les médias, exprime clairement les enjeux et les contraintes auxquels sont confrontées les infrastructures logistiques africaines. Elle illustre aussi l’importance pour les gouvernements nationaux de pouvoir développer leur économie selon leurs propres options.

Le gouvernement français ne peut être qu’attentif à la résolution contractuelle de la gestion de ce corridor logistique, si important pour l’économie du Libéria, et d’un point de vue général, à la circulation équilibrée des flux de matières premières africaines, observée de près par l’Union Européenne. 

(*) Analyste géopolitique, diplômé de l’ISC Paris, Maîtrise de gestion, DEA finances Dauphine PSL, fondateur du Média web www.le-monde-decrypte.com chroniqueur IDFM 98.0