La Belgique n’a pas toujours été la plaque tournante de la drogue en Europe. Mais aujourd’hui, ses ports — Anvers, Zeebrugge et leurs immenses terminaux à conteneurs — voient transiter des millions de tonnes de marchandises, dissimulant des tonnes de cocaïne, d’héroïne et de drogues de synthèse. Son accès en eau profonde, son trafic de conteneurs ininterrompu et les libertés offertes par l’espace Schengen de libre circulation font du pays un paradis pour les trafiquants et un cauchemar pour les forces de l’ordre.

Les chiffres sont éloquents : à Anvers, les saisies sont passées de 91 tonnes en 2021 à près de 110 en 2022, dépassant Rotterdam et plaçant la Belgique au centre du commerce européen de la drogue.

À quarante-cinq kilomètres à l’intérieur des terres, Bruxelles subit de plein fouet l’impact de ce trafic : fusillades, règlements de comptes et affrontements entre gangs se produisent désormais de plus en plus fréquemment dans des quartiers de la capitale comme Anderlecht ou Molenbeek.

Une juge d’instruction anversoise — contrainte de vivre quatre mois dans un lieu sécurisé — a récemment averti que la Belgique risquait de devenir un « narco-État ». Selon elle, les réseaux criminels ne se contentent plus de corrompre les docks : ils tentent d’infiltrer la police et même l’appareil judiciaire, créant les contours d’un pouvoir parallèle.

La Belgique et les Pays-Bas deviennent les principales plaques tournantes de l’importation de cocaïne en Europe occidentale

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Les routes de la contrebande : un système bien huilé

Le trafic de drogue commence loin de l’Europe. Pour la cocaïne (la drogue la plus trafiquée dans les ports de l’UE), les cargaisons en vrac quittent la Colombie, le Pérou ou l’Équateur, dissimulées dans des caisses de fruits, des pièces de machines ou des tuyaux en acier. Certaines traversent directement l’Atlantique, tandis que d’autres zigzaguent entre des points de transbordement en Afrique de l’Ouest, via le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou le Cap-Vert, ou via des ports des Caraïbes afin de brouiller les pistes.

Lorsque les conteneurs arrivent en Europe, les documents d’expédition des cargaisons semblent irréprochables. Certains passent par les îles Canaries ou les Açores, ce qui rend les documents difficiles à tracer. Ils accostent ensuite à Anvers, Zeebrugge ou Rotterdam (Pays-Bas), où des équipes d’« extracteurs », souvent composées d’adolescents, ouvrent les conteneurs, prennent la drogue, les referment et disparaissent avant l’arrivée des inspecteurs.

Face aux contrôles renforcés, les trafiquants ont adapté leurs méthodes : selon les données souanières belges, les cargaisons sont plus petites et plus fréquentes pour échapper aux scanners. Ainsi, les 82 cargaisons de cocaïne interceptées au début de l’année 2025 à Anvers pesaient en moyenne 204 kg chacune, contre 359 kg en 2024.Ainsi, les 82 cargaisons de cocaïne interceptées au début de l’année 2025 à Anvers pesaient en moyenne 204 kg chacune, contre 359 kg en 2024.

Europol note également que les gangs utilisent des navires de ravitaillement et des échanges de conteneurs pendant le transit pour dissimuler les points d’origine et exploiter les contrôles faibles.

Les mêmes schémas s’appliquent à d’autres drogues. L’héroïne transite par exemple par la route des Balkans depuis l’Afghanistan via la Turquie et les Balkans, tandis que la résine de cannabis continue d’affluer du Maroc vers l’Espagne, et que les drogues de synthèse et les précurseurs tels que la méthamphétamine arrivent d’Asie par fret aérien ou même par la poste.

Tous les chemins mènent à la Belgique

La géographie a fait de la Belgique une porte d’entrée, mais la mondialisation en a fait une mine d’or. La position stratégique d’Anvers, reliée par route et par rail à tous les grands marchés d’Europe occidentale, signifie qu’une grande partie de la cocaïne qui y arrive est acheminée par camion vers d’autres destinations, où elle est coupée, reconditionnée et revendue à un prix plusieurs fois supérieur.

L’ampleur du phénomène est stupéfiante. Le marché européen de la cocaïne est estimé à 11,6 milliards d’euros, tandis que celui du cannabis ajoute 12,1 milliards d’euros supplémentaires. Avec de telles sommes transitant par des chaînes d’approvisionnement légitimes, les ports belges sont devenus idéaux non seulement pour la contrebande, mais aussi pour le blanchiment d’argent.

En 2024, la région d’Anvers a enregistré à elle seule 128 arrestations liées à la drogue, dont 16 concernaient des mineurs.

Mais ce qui commence sur les quais y reste rarement. Bruxelles est désormais en première ligne des retombées de la drogue. Lors d’une conférence de presse en juillet 2025, les procureurs ont fait état de 57 fusillades, dont 20 au cours de l’été, souvent liées à des guerres de territoire entre gangs rivaux, selon le procureur du Roi de Bruxelles, Julien Moinil.

En février, une fusillade devant la station de métro Clémenceau, à Anderlecht, a fait un mort. En septembre, une vaste opération policière a permis de contrôler 708 personnes et 621 véhicules dans toute la ville. Pourtant, la violence ne cesse jamais. Bruxelles enregistre désormais un taux d’homicides de 3,19 pour 100 000 habitants, l’un des plus élevés des grandes agglomérations de l’UE. Les quartiers de Molenbeek et d’Anderlecht sont les plus touchés.

Drogue : la ville d’Anvers touchée par une violente explosion

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Un combat qui ne fait que commencer

Dans toute l’UE, les saisies de drogue ont globalement augmenté au cours de la dernière décennie, les quantités d’amphétamines, de méthamphétamines et d’ecstasy fluctuant d’une année à l’autre.

Chaque saisie rappelle ce qui passe encore entre les mailles du filet. Les douanes belges estiment qu’elles n’interceptent que 10 à 40 % de la cocaïne qui arrive dans ses ports. Le reste inonde l’Europe.

Un kilo acheté pour quelques milliers d’euros en Amérique latine peut atteindre près de 30 000 euros sur les marchés de l’UE, souligne l’Agence de l’UE sur les drogues (EUDA).

Cet argent est ensuite blanchi par des sociétés commerciales, immobilières et logistiques qui servent de façade opérant en Belgique. Même avec 16,7 tonnes de cocaïne saisies à Anvers au cours du premier semestre 2025, les trafiquants devancent les forces de l’ordre : ils cachent leurs cargaisons derrière des réseaux cryptés, des dockers corrompus et des sociétés écrans.

L’UE cherche à rattraper son retard. La nouvelle feuille de route de l’UE contre le trafic de drogue cible les précurseurs chimiques, élargissant les contrôles pour couvrir les dérivés en rapide évolution. L’EUDA soutient désormais la Commission dans le domaine de la surveillance et de l’évaluation des menaces. Plus tôt cette année, elle a achevé les toutes premières évaluations des risques liés aux précurseurs.

En Belgique, des pistes sont sur la table : fusionner les six zones de police bruxelloises ou encore intensifier les opérations surprises.

Mais comme le rappelle le procureur bruxellois Julien Moinil : « Dix ou vingt ans de laxisme ne peuvent être corrigés du jour au lendemain ».

Pour l’heure, la Belgique reste la porte d’entrée de la drogue en Europe, et si les saisies font les gros titres, le trafic, lui, ne s’arrête jamais véritablement.

Note : Vous ne voyez pas les visuels ? Essayez un autre moteur de recherche (Google, Bing, Ecosia…).

Les drogues de synthèse, une « menace émergente » en Europe, alerte l’agence européenne des drogues

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