Par
Antoine Blanchet
Publié le
20 nov. 2025 à 19h06
« T’es la plus grosse des m… », « Espèce de baltringue »… Ce jeudi 20 novembre 2025, la présidente de la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris lance d’une voix sans émotion les flots d’insultes couchés sur le papier. « C’est pas du Shakespeare », avait averti la magistrate avant de se lancer dans la lecture de ces écoutes téléphoniques. Dans son box, Rayan M. garde une certaine nonchalance face à ces propos dont il était pourtant le destinataire.
De l’autre côté du combiné, D, alias « Loubardpassage ». Cet adolescent de 17 ans a lancé avec un copain du même âge dans un trafic de drogues dont le centre névralgique était le 13ᵉ arrondissement. Si les deux dealers en culottes courtes ont déjà été condamnés, c’est au tour de Rayan M., l’un de leurs livreurs, de passer à la caisse judiciaire.
Un trafic à deux pas des Olympiades
Dans cette importante affaire où s’entassent poudre blanche, pilules roses et billets verts, tout commence par des rugissements sur l’asphalte. En décembre 2024, un adolescent en véhicule refuse d’obtempérer aux injonctions de la police. Vite rattrapé, son téléphone va servir de tremplin pour un dossier bien plus volumineux. Des jeunes de 17 ans auraient lancé un narcobusiness dans le sud de Paris.
Les policiers du 13e se lancent alors dans leurs investigations. Les indices les dirigent vers la rue Jean-Colly, une petite artère à quelques encablures des Olympiades. Des riverains signalent des allers-retours incessants dans un immeuble, qui servirait de lieu de stockage. La surveillance permet d’identifier le binôme de lycéens entrepreneurs. L’un des deux est par ailleurs interpellé en possession de bonbonnes de gaz hilarant.
Insultes et micromanagement
Les téléphones du duo sont mis sur écoute par les agents. Ils révèlent un trafic basé sur la livraison à domicile. On y fournit de la cocaïne, du cannabis, de la 3-MMC et de l’ecstasy. Plusieurs centaines d’euros circulent chaque jour. Les agents découvrent aussi que les petits businessmen de la dope sont aussi des adeptes du micromanagement toxique. Chaque jour, les livreurs rendent compte de leurs activités et sont insultés s’ils sont trop explicites sur leurs activités. Parmi les boucs émissaires, Rayan M., pourtant de trois ans leur aîné. Ses deux cadets vont jusqu’à le surnommer « trou du c.. » sur leur boucle Snapchat.
L’aventure entrepreneuriale et délictuelle prend fin en septembre. Les deux jeunes sont interpellés. En garde à vue, les mineurs sont loin d’être impressionnés par la machine policière. Le premier reconnaît avec désinvolture avoir fait quelques livraisons pour éponger une dette. Le second garde le silence, mais ne peut s’empêcher de s’esclaffer lorsqu’on lui fait écouter les écoutes téléphoniques.
Quant à Rayan M., il est aussi pincé. On retrouve chez lui des pochons de cocaïne et plusieurs centaines d’euros en talbins. Ses justifications tiennent de la fantaisie. Fumeur de cannabis, un dealer se serait trompé et lui aurait amené de la cocaïne. Une erreur à plus de 1 000 euros qui laisse les enquêteurs sceptiques.
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« Vous acceptez qu’il vous parle comme ça ? »
Ce jeudi, le jeune homme au collier de barbe fourni se veut plus franc. « Je livrais juste un petit peu. Et c’est tout », lâche le prévenu d’un ton calme, qui explique se faire de l’argent pour aider sa mère gravement malade. L’euphémisme ne passe pas pour la présidente : « Il a été établi que vous passiez tous les jours dans l’immeuble où la drogue était stockée.
La magistrate tente alors de secouer les puces du prévenu en agitant les tas d’injures qu’il recevait de ses patrons.
« Il vous parle comme un chien alors qu’il a trois ans de moins que vous ! Il vous met des pressions ? Qu’est-ce qu’il faut comprendre ?”, lui demande la juge.
L’intéressé esquive.
« N.. ta mère », « fils de p.. », « enc.. », cite la juge pour étayer son propos.
« Madame la présidente… », tente de l’interrompre l’avocat de Rayan M..
« C’est pour comprendre. Vous acceptez qu’il vous parle comme ça ? », s’impatiente la magistrate.
« J’accepte rien du tout. Moi aussi je l’insulte », lâche pour toute réponse le prévenu, qui a toutefois perdu de sa nonchalance, peut être à cause des quelques ricanements qui fusent dans la salle.
« Vous ne nous aidez pas »
Côté casier, le livreur ubershit n’en est pas à sa première condamnation. Déjà cinq au compteur. Pour du stup. Une peine de prison avec sursis est d’ailleurs au-dessus de sa tête. Pour ce qui est des garanties de réinsertion, elles sont faibles. Rayan M. évoque de manière sibylline une offre d’emploi dans le bâtiment. Sa mère, chez qui il vit, n’est pas là. « “C’est malheureux d’envoyer un gamin de 19 ans en détention, mais vous ne nous aidez pas”, se désole la présidente.
Pour le procureur, si le prévenu est imperméable à la sanction, il faut frapper plus fort. Il demande un an de prison avec maintien en détention et 1500 euros d’amende. Une interdiction d’entrer en contact avec ses deux anciens managers et de paraître dans le 13e est aussi requise. La dernière mesure fait briller une lueur d’inquiétude dans le regard de l’intéressé, car cela l’éloignerait de sa mère dont il doit s’occuper.
Dix mois ferme
« Celui que nous avons dans le box est un livreur. Une petite main. Moi ça me dérange de lui faire porter une plus grande responsabilité que les autres », dénonce l’avocat de la défense. Jugés quelques semaines auparavant par le tribunal pour enfants, les deux mineurs ont été condamnés à quatre et six mois de prison. Mettant en avant la détresse de son client, le pénaliste demande une peine plus clémente.
Finalement, le tribunal condamne Rayan M. à dix mois de prison avec maintien en détention, ainsi qu’à 1 000 euros d’amende. Il ne pourra plus entrer en contact avec ses comparses, mais pourra revenir chez sa mère. « Nous avons pris en compte votre jeunesse, mais ça ne peut pas durer éternellement », ironise la présidente dans son délibéré.
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