Lors de son discours au congrès des maires de France ce mardi 18 novembre, le chef d’état-major des armées françaises, le général Fabien Mandon a alerté sur la menace russe au-delà de la guerre en Ukraine. « La Russie se prépare à une confrontation à l’horizon 2030 avec nos pays ». Comment comprendre une telle déclaration?

Un conflit direct avec la Russie d’ici à 2030. Telle est la crainte exprimée ce mardi 18 novembre par le général Fabien Mandon, chef d’état-major des armées devant le congrès de l’association des maires de France.

Le haut-gradé a marqué les esprits en rappelant que la force de dissuasion militaire du pays doit s’adosser à une implication sans faille de toute la société.

« Si notre pays flanche parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants, parce qu’il faut dire les choses, de souffrir économiquement parce que les priorités iront à de la production défense, alors on est en risque », a-t-il indiqué face aux élus.

La polémique soulevée par les paroles du général occulte d’autres passages de son discours plus alarmants. C’est notamment le cas lorsqu’il évoque la menace d’une agression russe.

« Malheureusement, la Russie aujourd’hui, je le sais par les éléments auxquels j’ai accès, se prépare à une confrontation, à l’horizon 2030 avec nos pays. Elle s’organise pour ça, elle se prépare à ça et elle est convaincue que son ennemi existentiel, c’est l’Otan, c’est nos pays », a-t-il déclaré.

Reconstitution de ses capacités militaires

Les observateurs et experts s’inquiètent notamment de l’économie de guerre russe qui continue de fonctionner à plein régime, et fait plus que compenser les pertes matérielles occasionnées par le conflit sur le sol ukrainien.

D’après un récent rapport publié par l’Institut français des relations internationales (Ifri), qui passe en revue les rapports de force entre l’Europe et la Russie, la part du PIB consacrée aux dépenses militaires a quasiment doublé entre 2021 et 2025, passant de 3,5% à 6,6%, représentant plus d’un tiers du budget total de l’État. Si bien que « la machine militaire de la Russie reste puissante et compétente ».

Même si les pays de l’Otan se réarment, les crédits de dépenses sont incomparables à ceux de la Russie. « On est à des années-lumière et on ne peut pas fermer les yeux et se dire que ce n’est pas grave. Il y a une puissance impériale qui consacre des moyens colossaux pour mettre à genoux l’Ukraine -ce n’est pas sûr qu’elle y arrive. En régénérant ainsi son armée, elle constituera objectivement une menace très importante à nos frontières », nous explique le général Olivier De Bavinchove, ancien chef d’état-major de la force internationale de l’Otan.

Une modernisation en marche

Pour l’Institut américain de la guerre, l’armée russe va tenter « très probablement de reconstituer une force capable de manœuvres mécanisées en reconstruisant de grandes formations mécanisées. »

Elle devrait également se doter de capacités de lutte contre les drones, « en investissant dans des capacités de frappe de précision importantes sur le plan opérationnel et en intégrant certaines de ses adaptations en Ukraine dans ses capacités futures. »

Le général Jérôme Pellistrandi, consultant Défense à BFMTV donne quelques exemples. « La Russie produit plus de chars qu’elle n’en perd en Ukraine. Elle investit également beaucoup dans la production de sous-marins et d’avions. Certes, elle n’arrive pas à obtenir la victoire décisive en Ukraine mais elle poursuit dans sa logique de réaffirmation de sa puissance militaire. »

Il poursuit: « Selon les services de renseignements militaires occidentaux qui s’intéressent à cette question à l’horizon 2028-2030, la Russie aura reconstitué ses capacités militaires et les aura modernisées. »

De possibles opérations plus vite que prévu

Selon l’Institute américain de la guerre « l’armée russe ne peut menacer l’Otan d’une offensive significative alors qu’elle est engagée dans des opérations majeures en Ukraine. » En revanche, elle pourrait ne pas attendre sa reconstitution à l’horizon 2030 pour récidiver.

« Les forces russes existantes pourraient très probablement mener une offensive limitée contre un État membre de l’Otan. La capacité de l’OTAN à combattre l’armée russe actuelle, et pas seulement une armée russe reconstituée dans cinq ans ou plus, mérite donc d’être étudiée », précisent ces universitaires.

Des effectifs militaires renouvelés

Parallèlement à l’armement se pose la question des troupes. En décembre 2023, Vladimir Poutine avait signé un décret fixant un objectif d’augmentation des effectifs de l’armée de 15%. En mai dernier, l’armée a lancé un nouvel appel aux volontaires pour appeler 160.000 hommes à s’engager.

Ces recrutements sont faibles par rapport aux pertes estimées sur les champs de bataille. « Plus d’un million d’hommes sont hors de combat, soit parce qu’ils sont morts, parce qu’ils ont été blessés ou qu’ils ont disparu », précise le général Jérôme Pellistrandi, sur la base des chiffres compilés par les services de renseignement militaire.

« Ils parviendront à reconstituer ces ressources humaines soit par la contrainte, soit en offrant des soldes conséquentes ou grâce à la militarisation constante de la société dès le plus jeune âge », reconnaît-il, tout en précisant que l’on a assisté pendant ce conflit en Ukraine à « une mutation de la guerre », qui se mène désormais « moins avec des combattants », qu’avec des drones.

« Un conflit idéologique »

Pour autant, les avis divergent sur la volonté de la Russie de passer à l’acte. « Nous ne sommes ni en guerre, ni en paix avec la Russie. On n’est pas dans une marche à la guerre avec un horizon inéluctable. Il faut un véritable affrontement de volontés pour que des peuples entrent en guerre. Ce n’est pas le scénario le plus probable », observe le général Olivier De Bavinchove qui croit plutôt dans des formes d’affrontements hybrides « sous le seuil de la guerre ».

L’ancien chef d’état-major de la force internationale de l’Otan estime que les actions agressives de destabilisation destinées à faire monter les tensions vont se multiplier.

« Nous assistons à l’affirmation de puissance d’un certain nombre d’empires qui ont des vues de plus en plus antagonistes. Les positions exacerbées des uns et des autres anéantissent les efforts diplomatiques de trouver des compromis », déplore-t-il.

Le général Jérôme Pellistrandi se montre plus pessimiste encore. « Tant que Poutine est au pouvoir, son objectif, son obsession, parce que c’est une guerre idéologique, c’est de soumettre l’Ukraine et ensuite, tout ce qui a un jour été russe, comme les pays baltes », illustre-t-il.

Ce mercredi, les États-Unis ont proposé un nouvel accord de paix actant la cession de terres ukrainiennes au profit de la Russie, la « reconnaissance de (l’annexion de) la Crimée », la diminution de moitié de son armée ainsi que le renoncement à utiliser des missiles de longue portée. « C’est l’équivalent d’une capitulation », dénonce notre consultant défense. « Ils tentent d’imposer un rapport de force alors même que les Américains se désengagent. On est dans une période critique pour la paix en Europe. »