Une femme atteinte d'un cancer du pancréas pris en charge tardivement.Le cancer du pancréas pourrait devenir la 2ᵉ cause de mortalité par cancer d’ici 2030-2040. © Freepik

Longtemps relégué au rang des cancers discrets, tant ils se manifestaient tard, le cancer du pancréas fait aujourd’hui figure de menace croissante. En France, environ 16 000 nouveaux cas ont été enregistrés en 2023, selon la Ligue contre le cancer, avec une progression annuelle moyenne de +1,6 % chez les hommes et +2,1 % chez les femmes. Une tendance suffisamment marquée pour provoquer l’alerte des oncologues.

Cette hausse s’observe même en tenant compte du vieillissement de la population, comme si quelque chose s’était déplacé dans nos modes de vie, notre environnement, ou notre surveillance médicale. Alors, qu’est-ce qui explique cette augmentation rapide ?

Cancer du pancréas : une maladie en forte progression en France

Si le cancer du pancréas inquiète autant les spécialistes, c’est parce que ses courbes d’incidence grimpent plus vite que celles de nombreux autres cancers. La France a enregistré plus de 11 000 décès en 2018, selon Santé publique France, ce qui en fait déjà l’un des cancers les plus meurtriers. Et les projections ne sont pas rassurantes. Selon plusieurs centres experts, dont le Centre Léon Bérard, il pourrait devenir la 2ᵉ cause de mortalité par cancer d’ici 2030-2040 si la tendance ne s’inverse pas.

Aussi, 90 % des diagnostics sont posés à un stade trop avancé pour qu’une chirurgie soit possible. Et sans chirurgie, le pronostic devient très limité, ce qui alimente mécaniquement la mortalité.

Des facteurs de risque bien connus… mais qui progressent aussi Le tabac, ce vieux compagnon de route que l’on n’arrive pas à quitter

On le sait depuis longtemps mais parmi les facteurs de risque du cancer du pancréas, le tabac règne dans le haut du classement. Selon l’Institut Curie, il serait responsable d’environ 20 à 30 % des cas, une proportion tout sauf négligeable.

Or si la France a réussi quelques progrès, notamment grâce à l’augmentation du prix du paquet et aux campagnes de prévention, nous restons l’un des pays les plus fumeurs d’Europe de l’Ouest. Beaucoup décrochent, oui, mais beaucoup rechutent aussi. Et les jeunes adultes reprennent le flambeau avec des produits “nouvelle génération”, vapotage compris, dont l’impact à long terme sur le pancréas reste encore flou.

Malgré une baisse relative du tabagisme depuis vingt ans, la base de fumeurs reste suffisamment large pour continuer d’alimenter les statistiques du cancer du pancréas.

Obésité, diabète, sédentarité : le trio métabolique qui fait grimper les courbes

Autre explication, l’essor continu des maladies métaboliques. Dans une France où 17 % des adultes sont obèses et où le diabète de type 2 touche plus de 4,5 millions de personnes, le terrain devient fertile pour des maladies inflammatoires chroniques… et pour certains cancers, dont celui du pancréas.

Le mécanisme est parfaitement documenté : excès de graisse abdominale, inflammation persistante, résistance à l’insuline, perturbations hormonales… Un cocktail qui modifie profondément l’environnement du pancréas, au point de favoriser l’apparition de cellules anormales.

En clair, plus nos modes de vie s’éloignent de l’activité physique régulière et de l’alimentation équilibrée, plus la courbe du cancer du pancréas suit la même direction.

Le vieillissement de la population… mais une explication insuffisante

Bien sûr, une part de l’augmentation tient aussi au fait que nous vivons plus vieux. L’âge médian au diagnostic tourne autour de 71 ans pour les hommes et 74 ans pour les femmes, ce qui, mécaniquement, élargit le vivier de personnes susceptibles de développer la maladie.

Mais ce serait trop simple, et surtout scientifiquement inexact, d’en rester là. Lorsque les épidémiologistes “neutralisent” l’effet de l’âge pour analyser les vrais mouvements de fond, une donnée ressort avec ténacité. L’incidence augmente même dans les tranches d’âge plus jeunes, parfois dès 40 ou 50 ans.

Autrement dit, le vieillissement explique une partie, mais pas l’essentiel. La hausse persiste même lorsque la pyramide des âges ne joue plus aucun rôle, ce qui laisse penser que d’autres facteurs (environnement, pollution, habitudes alimentaires, expositions chimiques) sont désormais à l’œuvre.

L’environnement : une piste qui n’est plus taboue Les pesticides, invités encombrants du débat sanitaire

Pendant longtemps, évoquer un lien entre pesticides et cancer relevait presque du non-dit. Mais les lignes bougent, et la recherche française commence à pointer du doigt une réalité moins confortable. Fin 2024, une corrélation entre l’intensité d’usage des pesticides (en kg par hectare) et l’incidence du cancer du pancréas a été nettement mise en lumière.

Les données, analysées territoire par territoire, montrent que les zones à forte activité agricole (celles où les traitements phytosanitaires sont pulvérisés massivement) enregistrent une progression des cas jusqu’à trois fois plus rapide que dans les régions faiblement exposées.

Bien sûr, il ne s’agit pas d’une preuve formelle. Les scientifiques restent prudents, rappelant qu’une corrélation n’est pas une causalité. Mais ce rapprochement statistique donne à penser que l’environnement professionnel et résidentiel pourrait être un acteur beaucoup plus important qu’on ne l’admettait auparavant.

Les perturbateurs endocriniens et l’alimentation ultra-transformée : l’hypothèse inflammatoire

Autre piste, plus insidieuse mais tout aussi préoccupante, celle des perturbateurs endocriniens. Plastiques chauffés, solvants, bisphénols, phtalates, résidus alimentaires… Ces substances capables de mimer l’action de nos hormones se retrouvent partout dans notre quotidien. 

Selon plusieurs équipes citées par la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM), l’exposition chronique à ces molécules pourrait favoriser un état d’inflammation bas-grade, ce fameux “feu qui couve” dans l’organisme et qui, à long terme, modifie profondément nos tissus.

Le pancréas n’y échappe pas. Certains chercheurs soupçonnent même que ces perturbations hormonales répétées puissent rendre le tissu pancréatique plus vulnérable à l’apparition de cellules anormales.

À cela s’ajoute un mode d’alimentation de plus en plus dominé par les produits ultra-transformés, dont les additifs (émulsifiants, stabilisants, édulcorants) nourrissent déjà le débat scientifique sur le risque inflammatoire et métabolique. 

Un meilleur diagnostic… mais toujours trop tardif

On pourrait croire que le progrès technologique, les scanners de dernière génération et l’imagerie hyper-précise auraient permis de devancer ce cancer. Et, dans une certaine mesure, c’est vrai. Les médecins détectent aujourd’hui davantage de tumeurs pancréatiques qu’il y a vingt ans. Mais ce progrès a un revers cruel. Car si l’on trouve plus de cancers, on les trouve aussi presque toujours trop tard.

Le pancréas est un organe caché, difficile à explorer, et surtout peu bavard. Les premiers signes (douleur dans le dos, amaigrissement, diabète soudain) sont tellement banals qu’ils passent souvent inaperçus. Alors, quand les symptômes deviennent vraiment visibles, la tumeur est déjà avancée, parfois inopérable.

Aussi, il n’existe aucun dépistage de masse. Pas de test simple, pas de dosage sanguin fiable, pas d’imagerie recommandée en prévention. Contrairement au cancer du sein ou du côlon, on ne dispose d’aucun outil pour repérer la maladie avant qu’elle ne s’installe.

La recherche explore toutefois des pistes prometteuses, comme la biopsie liquide, qui consiste à analyser l’ADN tumoral circulant dans le sang. Une technologie pleine d’espoir, mais encore en phase de développement et loin de pouvoir être utilisée en routine.

Alors, pourquoi en parle-t-on tant aujourd’hui ?

Parce que ce cancer cumule toutes les caractéristiques pour devenir un véritable problème de santé publique :

  • une incidence en hausse ;
  • des facteurs de risque toujours plus présents ;
  • un environnement suspecté ;
  • un dépistage encore embryonnaire ;
  • et un pronostic sombre quand il est diagnostiqué tard.

C’est aussi un cancer qui touche particulièrement les territoires fortement agricoles, les populations exposées à des produits chimiques, ou celles confrontées au diabète et à l’obésité. Alors, si rien ne change, il pourrait bel et bien devenir le 2ᵉ cancer le plus meurtrier, comme le rappellent les experts français cités dans la presse nationale.

À SAVOIR

Une part non négligeable de l’augmentation de l’incidence du cancer du pancréas se retrouve dans les jeunes générations : entre 1982 et 2012 en France, le « risque cumulatif » de développer ce cancer avant 75 ans est passé de 0,62 % à 1,17 % chez les hommes nés vers 1920 puis vers 1950, et de 0,31 % à 0,86 % chez les femmes.

Inscrivez-vous à notre newsletter
Ma Santé