« Je vais te buter, je vais cramer ta mairie, je vais cramer ta maison. » La violence liée au narcotrafic, le maire PS de Morlaix (29), Jean-Paul Vermot, l’a vécue de façon très personnelle. Nous sommes le samedi 19 juin 2021, vers 17 h. Alerté pour des rondes de scooter, dans un petit quartier HLM proche de son domicile, il se retrouve face à un groupe de jeunes visiblement sous stupéfiants. Parmi eux, un trafiquant extrêmement menaçant. « Un jeune homme immédiatement prêt à passer à l’acte », se souvient l’élu socialiste. L’individu finira par être interpellé, puis condamné, et le point de deal démantelé. Mais l’événement reste marquant pour le maire de Morlaix. « Ce jour-là, j’ai eu la confirmation qu’on était dans une augmentation de la présence du trafic de stupéfiants. Je dis bien confirmation car les signaux sont quand même très anciens », indique-t-il.

« Ce jour-là, j’ai eu la confirmation qu’on était dans une augmentation de la présence du trafic de stupéfiants. Je dis bien confirmation car les signaux sont quand même très anciens », indique le maire PS de Morlaix, Jean-Paul Vermot.« Ce jour-là, j’ai eu la confirmation qu’on était dans une augmentation de la présence du trafic de stupéfiants. Je dis bien confirmation car les signaux sont quand même très anciens », indique le maire PS de Morlaix, Jean-Paul Vermot. (Photo Lionel Le Saux/Le Télégramme)

Déferlante de la cocaïne, homicides dans les communes voisines, tirs en ville… Jean-Paul Vermot a été un des premiers maires de ville moyenne à mettre le sujet sous les projecteurs. Ce qui lui a valu, entre autres, d’être interrogé par le New York Times, l’un des plus célèbres quotidiens américains. « Aujourd’hui, la parole se libère. Comme tout le monde est concerné, il n’y a plus la crainte que sa commune soit stigmatisée », observe-t-il. Selon lui, il était grand temps. « Il a fallu attendre l’an dernier pour qu’on ait un atelier sur le narcotrafic au congrès des maires. C’est assez symptomatique », pointe-t-il.

En 2023, nous avons compris que tentaient d’arriver des éléments extérieurs, des visages inconnus, avec des méthodes plus violentes.

De Marseille à la pointe bretonne, impossible désormais de fermer les yeux. Parfois, un événement dramatique accélère la prise de conscience. À Rennes, la course-poursuite du 26 octobre 2024, au cours de laquelle un enfant de cinq ans, passager de la voiture de son père, a été touché de deux balles à la tête, sur fond de guerre de territoire, est encore dans tous les esprits. En réalité, le glissement a été plus insidieux. « En 2023, nous avons compris que tentaient d’arriver des éléments extérieurs, des visages inconnus avec des méthodes plus violentes », retrace le maire de Lorient, Fabrice Loher (divers centre). Adjoint à la sécurité à Pontivy, Paul Le Guernic (divers droite) ne garde pas non plus en tête un point de bascule précis. Dans sa commune, les choses ont commencé à véritablement changer il y a deux ans.

Comme de nombreux élus, le maire PS de Brest, François Cuillandre, pense que « la crise du covid a joué un rôle important dans cette évolution ».Comme de nombreux élus, le maire PS de Brest, François Cuillandre, pense que « la crise du covid a joué un rôle important dans cette évolution ». (Photo Lionel Le Saux/Le Télégramme)

« Que ce soit lors de nos points sécurité avec la gendarmerie et la police municipale, ou au travers d’échanges avec des Pontivyens, nous nous sommes peu à peu rendu compte que certains sujets de sécurité ou de tranquillité passaient au second plan, tandis que le trafic de stupéfiants devenait plus prégnant », relate-t-il. Comme de nombreux élus, le maire PS de Brest, François Cuillandre, pense que « la crise du covid a joué un rôle important dans cette évolution ».

La lutte contre les trafiquants, souvent violents, est avant tout une mission et la responsabilité de l’État.

Une fois le constat posé, reste une question : qui doit agir ? « La sécurité ne peut être une variable d’ajustement selon les territoires : elle est un droit fondamental, que l’État doit garantir partout, pour tous », disait la maire PS de Quimper, Isabelle Assih, en mai dernier. Un sentiment largement partagé. « Les municipalités n’ont pas de compétence directe pour enquêter sur les réseaux mafieux qui s’attaquent à nos villes, pour démanteler les points de deal, remonter les filières et arrêter les trafiquants », souligne la maire PS de Rennes, Nathalie Appéré. « La lutte contre les trafiquants, souvent violents, est avant tout une mission et la responsabilité de l’État », abonde Paul Le Guernic. Selon lui, « les collectivités jouent surtout un rôle d’alerte et d’information, grâce à leur bonne connaissance du terrain ».

Une nécessaire coopération entre tous les acteurs

Tous les élus insistent sur l’indispensable coopération entre les acteurs. Un des meilleurs exemples de collaboration remonte à la fin des années 2010. À cette époque, la ville de Vannes a un problème avec le quartier de Kercado. Le trafic de drogue y est de grande ampleur : jusqu’à 60 000 euros par jour pour un point de deal. Sous l’égide du procureur, le maire, David Robo (Horizons), porte alors l’installation d’un dispositif peu usité en France, le GLTD (Groupement local de traitement de la délinquance) qui réunit la police, la gendarmerie, le maire, l’office HLM, la protection judiciaire de la jeunesse, le préfet et la police judiciaire de Nantes. « Nous avons travaillé main dans la main », racontait-il récemment au Télégramme. Vannes dispose, aujourd’hui, de 172 caméras de vidéoprotection et d’une police municipale armée comprenant 24 agents « qui, avec la police nationale, interviennent à tour de rôle pour contrer la réinstallation d’embryons de trois points de deal ».

Sous l’égide du procureur, le maire de Vannes, David Robo (Horizons), a porté, à la fon des années 2010, l’installation d’un dispositif peu usité en France, le GLTD (Groupement local de traitement de la délinquance) qui réunit la police, la gendarmerie, le maire, l’office HLM, la protection judiciaire de la jeunesse, le préfet et la police judiciaire de Nantes.Sous l’égide du procureur, le maire de Vannes, David Robo (Horizons), a porté, à la fon des années 2010, l’installation d’un dispositif peu usité en France, le GLTD (Groupement local de traitement de la délinquance) qui réunit la police, la gendarmerie, le maire, l’office HLM, la protection judiciaire de la jeunesse, le préfet et la police judiciaire de Nantes. (Photo François Destoc/Le Télégramme)

À Lorient, Fabrice Loher ne dit pas autre chose. « Les actions spectaculaires, où on voit des déploiements très importants pendant quelques jours, sont des coups d’épée dans l’eau. Ce qui compte, c’est une intervention régulière et pérenne sur le terrain. Quasiment toutes les semaines, nous avons des opérations conjointes police nationale-police municipale, dans plusieurs quartiers, pour casser le deal », indique-t-il. Pour lui, pas de doute : police municipale et vidéoprotection sont des maillons essentiels, en particulier dans la collecte de preuves.

Le maire de Brest, François Cuillandre, est toujours opposé à la création d’une police municipale. Mais il met en avant d’autres formes de coopération entre le niveau local et national. « La ville de Brest a entièrement financé les nouveaux locaux de la brigade cynophile de la police nationale, dont un chenil pour les chiens renifleurs. Cela nous a coûté 825 000 euros », rappelle-t-il.

L’importance des actions de prévention

De gauche comme de droite, les maires soulignent, par ailleurs, l’importance des actions de prévention. « À Saint-Brieuc, nous avons mis en œuvre le programme national Limits (Limiter l’implication des mineurs dans le trafic de stupéfiants) afin de prévenir l’enrôlement des jeunes par les réseaux criminels. Ce dispositif propose des alternatives au trafic et renforce la protection des plus vulnérables, notamment par un accompagnement des familles et le soutien à la parentalité », explique le maire, Hervé Guihard (Place publique). Ce dispositif est mis en œuvre dans deux autres villes bretonnes (Rennes et Brest).

Il faut à la fois plus de moyens policiers et plus de moyens de lutte contre les addictions. Le deal explose parce que le nombre de consommateurs augmente.

La loi contre le narcotrafic, adoptée par le Parlement en juin dernier, et qui permet, notamment, aux préfets de s’attaquer aux commerces soupçonnés de blanchir l’argent de la drogue, est assez unanimement saluée. Personne ne crie cependant victoire, en raison de la capacité des trafiquants à garder une longueur d’avance. « Aujourd’hui, nous n’avons plus de point de deal à Morlaix. Mais, très clairement, la consommation s’est réorientée vers les réseaux sociaux », relate Jean-Paul Vermot. Commande via une messagerie cryptée et livraison à domicile… De Rennes à Brest, en passant par Lorient, ce qu’on nomme parfois « Uber shit » tourne à plein régime.

Une pieuvre particulièrement dure à combattre

Et le problème de fond reste entier : la puissance financière que dégage le narcotrafic en fait une pieuvre particulièrement dure à combattre. Dès lors, les élus locaux attendent de l’État une réponse globale. Avec un renforcement de la chaîne police-justice. Mais aussi un engagement en termes de santé publique ou de lutte contre le décrochage scolaire. « Il faut à la fois plus de moyens policiers et plus de moyens de lutte contre les addictions. Le deal explose parce que le nombre de consommateurs augmente », insiste Nathalie Appéré.

« Il faut à la fois plus de moyens policiers et plus de moyens de lutte contre les addictions. Le deal explose parce que le nombre de consommateurs augmente », insiste la maire PS de Rennes Nathalie Appéré.« Il faut à la fois plus de moyens policiers et plus de moyens de lutte contre les addictions. Le deal explose parce que le nombre de consommateurs augmente », insiste la maire PS de Rennes Nathalie Appéré. (Photo Clémence Lebouc/Le Télégramme)

Selon Paul Le Guernic, un autre point mérite d’être soulevé. « La répression pénale n’est, à mon avis, pas assez lourde vis-à-vis des criminels violents, ce dont on se rend compte en voyant des multicondamnés toujours en liberté. Le pouvoir législatif de l’État réside au Parlement, et c’est là que les élus locaux attendent une action forte. » Le débat extraordinaire à l’Assemblée nationale consacré à la lutte contre le narcotrafic, promis par le Premier ministre lors du congrès des maires, apportera un premier éclairage sur le niveau de réponse dont le pays est capable. Fabrice Loher se veut optimiste : « Si tous les acteurs se serrent les coudes, la France a les moyens de remporter cette guerre ».