En Rhénanie-du-Nord–Westphalie, une petite exploitation revendique un troupeau unique au monde : des béliers non reproducteurs, présentés comme homosexuels, dont la laine sert désormais d’argument de vente.
En Rhénanie-du-Nord–Westphalie, une petite ferme attire depuis plusieurs mois l’attention des médias allemands et internationaux. À l’origine de cet intérêt inhabituel : un troupeau de 35 béliers qualifiés d’« homosexuels » par leur propriétaire, l’éleveur Michael Stücke.
Ces animaux, selon lui, auraient été écartés des élevages traditionnels en raison de leur absence d’intérêt pour les brebis qui fait d’eux des animaux « non reproducteurs » et donc peu rentables dans la filière ovine. Réunis dans son exploitation, ils sont désormais au cœur d’un projet baptisé Rainbow Wool, qui transforme leur laine en accessoires et vêtements présentés comme engagés.
Le concept repose sur une idée simple : offrir une seconde vie à des béliers destinés à l’abattoir et utiliser leur laine pour sensibiliser au sort de ces animaux et promouvoir un message inclusif. L’initiative a rapidement circulé sur les réseaux sociaux et a bénéficié du soutien de plusieurs personnalités allemandes. Mais elle a surtout été propulsée sur le devant de la scène lorsque l’application de rencontres LGBT Grindr a proposé d’organiser un défilé à New York, intitulé I Wool Survive, mettant en lumière ces «moutons gays».
Un mouton sur douze serait homosexuel
Cette particularité revendiquée par Rainbow Wool trouve un écho dans des travaux scientifiques menés aux États-Unis depuis plusieurs dizaines d’années. Dans certains troupeaux de l’Oregon ou du Montana, des éleveurs avaient observé qu’une proportion de béliers ne s’accouplait jamais avec les brebis. Pour comprendre ce phénomène, des chercheurs ont donc mis en place un protocole expérimental précis : un bélier placé face à quatre animaux immobilisés, deux mâles et deux femelles, afin d’observer clairement ses préférences.
Selon ces observations, environ 8 % des animaux testés étaient exclusivement attirés par les mâles. «Ils n’étaient donc pas asexuels mais bien homosexuels», résume auprès du Figaro le professeur Jacques Balthazart, biologiste belge et spécialiste du comportement animal. Ces études ont également mis en évidence des différences cérébrales : la partie du cerveau impliquée dans la différenciation sexuelle, plus volumineuse chez les mâles hétérosexuels, apparaît chez eux nettement plus petite, proche de celui des femelles. «On peut donc le constater biologiquement», avance le professeur Balthazart. Ces données suggèrent un rôle possible des hormones prénatales dans la formation de l’orientation sexuelle, un mécanisme déjà décrit chez d’autres mammifères.
Mais ces résultats, souvent cités, reposent en réalité sur un nombre très limité de troupeaux et n’ont jamais été reproduits à grande échelle. « À ma connaissance, ces moutons ’’homosexuels’’ n’ont jamais été identifiés en Europe», indique le Professeur Balthazart, «non pas en raison d’une impossibilité biologique, mais parce que ces protocoles n’y ont pas été appliqués». Les conclusions doivent donc être interprétées avec prudence, même si elles constituent aujourd’hui la seule base scientifique disponible.
«Ils ont une place ici »
Dans la ferme allemande, aucune de ces méthodes de test n’est utilisée. Les béliers sont d’abord repérés pour leur absence de comportement reproducteur, un critère courant dans les élevages intensifs. Michael Stücke, dit vouloir offrir un refuge à ces animaux. «Ils ne servent peut-être pas à la reproduction, mais ils ont une place ici», expliquait-il récemment au Washington Post . La marque qu’il a créée n’a d’ailleurs pas vocation à être rentable : les produits en laine sont vendus en petites quantités et les revenus proviennent surtout des parrainages d’internautes qui financent nourriture et soins.
Si l’initiative bénéficie d’une forte visibilité, la laine issue de ces béliers n’a aucune caractéristique propre et le concept repose largement sur son récit, plus que sur une innovation textile.