Publié le
21 nov. 2025 à 18h48
Si ça n’avait pas été le rugby, ça aurait probablement été le MMA. Il y a 10 ans, sur le bancs de la fac de STAPS, Joanna Grisez joue avec un ballon ovale pour la première fois. Native de Colombes, elle « en a marre du tennis », sa passion depuis gamine. Alors elle découvre le rugby et son prof lui conseille d’essayer en club. Elle signe à Bobigny. Parallèlement, son kiné lui fait découvrir le MMA. « Je faisais les deux en même temps mais c’était intenable en terme d’emploi du temps », raconte la joueuse du XV de France féminin et du Stade bordelais.
« Je me suis rendue compte que j’avais des facilités avec le rugby alors je me suis : ‘ok, je m’y mets et si ça ne marche pas pour moi, j’essaierai de percer dans le MMA’. Dans ma tête, j’allais vraiment me diriger vers le premier qui allait fonctionner pour moi ».
Le rugby, pas une passion
Vous connaissez la suite… Sélectionnée en équipe de France universitaire dès sa 1ere année de pratique, elle dispute la Coupe du monde universitaire à 7, intègre le pôle France avec l’équipe de France à VII développement puis, en 2018, décroche son premier contrat avec la FFR. Elle a 22 ans. Depuis, l’ailière des Bleues (13 sélections) a disputé 2 Coupes du monde à XV, 1 Coupe du monde à VII et participé aux JO de Paris. Elle a aussi été élue comme meilleure ailière dans le XV mondial de World Rugby à l’issue du Mondial 2025, et reçu l’oscar Midi Olympique de la meilleure joueuse féminine il y a quelques semaines.
De retour du Mondial, elle a repris sa saison au Stade bordelais, où elle s’entraîne chaque jour pour aller chercher un 4e titre de championne de France consécutif à un nouveau poste : celui de trois-quarts centre. Tout ça sans que le rugby soit une passion. Elle ne s’en cache pas : « J’ai toujours dit que le rugby, de base n’était absolument pas une passion. Je ne viens pas du sud ouest où on va voir des matchs tous les week-ends. Je suis juste une compétitrice et je voulais exceller dans ce que je faisais. C’est tout et ça aurait pu être n’importe quel sport. Maintenant, on peut dire que c’est un peu devenu une passion mais c’est surtout l’envie de performer et de gagner qui me motivait ».

Joanna Grisez, ici contre l’Afrique du Sud, compte 13 sélections avec les Bleues. (©Icon Sport)
C’est donc seulement sa « détermination » qui l’a menée au plus haut niveau. Aujourd’hui devenu son quotidien, le rugby a changé toute la vie de Joanna Grisez : « C’est grâce à ça que j’ai trouvé mon équilibre, dans ma vie professionnelle mais aussi en tant que femme. Je me suis réalisée en tant qu’humaine dans ce sport. J’ai beaucoup grandi humainement. J’ai rencontré des gens fantastiques, vu des parcours de femmes hyper inspirantes ».
« Quand on découvre le rugby, notamment à Bobigny, il y a une dimension plus grande que le sport. Il y a un aspect humain, presque politique, qui est hyper intéressant ».
Joanna Grisez
Ailière du XV de France
Votre région, votre actu !
Recevez chaque jour les infos qui comptent pour vous.
Ce rugby créateur de lien social, d’intégration, de valeurs, la façonne : « On a besoin du sport dans notre société, au-delà de l’aspect santé. C’est vraiment un vecteur d’intégration de façon générale et ça réunit réunit des gens qui n’ont rien à voir. On apprend réellement ce qui signifient la solidarité et le vivre ensemble avec des personnes qui n’ont rien à voir avec nous. On apprend à évoluer avec les autres, à les comprendre plus facilement ».
Un immense cadeau sur le plan humain, mais personnel également : « C’est super beau de se dire que tu représentes ton pays. J’ai eu la chance de faire beaucoup de choses, des Olympiades, des Coupes du monde… J’ai quand même une vie qui sort un peu de la normalité et c’est grâce à ce sport. Je dois au rugby beaucoup de choses ».
Elle a envisagé d’arrêter
L’ascension a été fulgurante, mais l’histoire pas toujours facile. » J’ai connu beaucoup de remises en question, surtout quand je faisais VII. L’engagement physique y est tellement grand ! Le VII excessivement exigeant. Je m’entraînais du lundi au vendredi, j’avais 3 entraînements par jour… Et puis c’était un peu géré ‘à l’ancienne’. Tant que tu avais 2 jambes et 2 bras pour te porter, il fallait aller sur le terrain. J’ai connu des grosses phases très, très difficiles. Un matin sur deux, je me levais en me demandant comment j’allais tenir la journée… Le VII m’a un peu bousillée ».
Au point d’envisager d’arrêter, durant les moments les plus durs : « . Je sais pas si j’aurais été prête à le faire parce que pour moi, ça aurait été abandonner. Donc je ne me l’autorisais pas. Mais j’y pensais parce que je n’étais pas heureuse et je subissais le rugby plus qu’autre chose ».
« Je ne prenais plus de plaisir. Je me levais le matin et tout ce qui me
motivait, c’était « résultat, médaille, médaille ». Mais c’est devenu mécanique ».Joanna Grisez
Ailière du XV de France
La réconciliation est venue du XV, désormais sous les couleurs du Stade bordelais avec qui elle a remporté son 1er titre de championne de France en juin dernier, pour sa 1ere année à XV : « J’ai réappris à aimer mon quotidien, à aimer m’entraîner, à prendre du plaisir sur le terrain. Et ça, c’est totalement grâce au XV. Aujourd’hui, je trouve un équilibre, je suis bien dans mon corps. J’accepte beaucoup plus les douleurs, c’est gérable désormais ».
![]()
A 29 ans, Joanna Grisez est la nouvelle star du rugby féminin français. (©Icon Sport)
Des douleurs qui l’ont privée, notamment, de la demi-finale de Coupe du monde contre l’Angleterre en septembre dernier en raison d’une blessure à une cuisse : « Je commence à accepter que c’est mon corps qui a le dernier mot et que même si ma tête a envie, ça ne sert à rien de forcer ». La pilule, toutefois, a été dure à passer : « C’est le match que j’attendais le plus de la compétition. Si j’avais dû en choisir un seul, ça aurait été celui-là… J’ai ressenti beaucoup de colère au début puis de la tristesse. Mais l’équipe n’avait pas besoin d’avoir une nana qui tire la gueule parce qu’elle ne peut pas jouer et l’énergie dans un groupe, c’est hyper important, alors j’ai essayé de rester positive ».
Elle reviendra finalement pour disputer une petite finale « frustrante » contre les All Blacks, avec une 4e place finale ‘ »décevante ». Alors, à 29 ans, elle nourrit encore beaucoup d’ambitions : « En toute objectivité, je ne me suis jamais trouvée aussi forte que maintenant, alors je me verrais bien tirer encore un peu. Idéalement, si c’était moi qui choisissais, j’aimerais bien faire les JO de Los Angeles puis la Coupe du monde à XV en Australie. J’aimerais bien avoir gagné un titre important. Je pense que c’est ce qui manque à mon appétit de compétitrice ».
Un avenir à la télé ?
Diplômée en entraînement sportif et management du sport, mais aussi en architecture et en décoration intérieure, Joanna Grisez ne tire pas de plans sur la comète. Quand on lui demande où elle se voit d’ici 10 ans, elle ouvre de grands yeux et un large sourire : « Voyons, j’aurai 39 ans… D’ici là, j’aimerais avoir une famille et surtout m’être accomplie professionnellement. Ça serait chouette de pouvoir continuer dans le rugby mais pas comme entraîneur. Ce ne serait un cadeau pour personne », se marre-t-elle. « Je me verrais bien rester dans le milieu mais côté télé, sur les bords de terrain par exemple ».
Avec son mètre 73, ses longs cheveux blonds et ses yeux clairs, Joanna Grisez est le nouveau visage du XV de France. Et son profil colle parfaitement pour, peut-être, commenter les matchs à l’avenir. En attendant, elle prête sa notoriété grandissante à la promotion de ce sport qui « a de très jolies valeurs. Malheureusement, le rugby féminin n’a pas beaucoup de médiatisation. Son développement passe aussi par les filles qui, comme moi, sont plus mises en avant et peuvent avoir un peu de voix pour essayer de pousser ».
« Au-delà de dire ce que je pense en étant honnête avec les instances au plus haut niveau, en affirmant que ce qui est mis en place n’est pas encore suffisant et qu’on ne peut pas s’en contenter car on a besoin de plus, j’essaie de montrer une belle image. Pas fausse, juste ce qu’elle est. Pour rendre un peu au rugby tout ce qu’il m’apporte aujourd’hui ».
Joanna Grisez
Ailière du XV de France
Et tant pis, alors, pour la carrière dans le MMA. « Il y a très peu de filles et je m’entraînais uniquement avec des garçons alors je ne sais pas si j’aurais percé. Mais je suis contente d’avoir réussi dans le rugby. Ça me va bien, j’aurais juste gagné beaucoup plus d’argent si ça avait été le cas dans le MMA », conclut-elle dans un sourire. Pas une passion, peut-être, mais une vraie détermination. Presque de la dévotion pour le rugby, ce sport qui a fait de Joanna Grisez ce qu’elle est aujourd’hui.
Personnalisez votre actualité en ajoutant vos villes et médias en favori avec Mon Actu.