« L’économie de moyens, et la façon dont l’artiste est capable d’en tirer parti… Pas de couleur, à peine un peu de craie… Et malgré cela, quelle liberté de création et d’invention ! » Ces mots sont ceux du collectionneur privé qui a prêté au musée des Beaux-Arts de Marseille, 114 dessins de sa collection privée qui en compte environ 150 entre Aix et Paris. S’il a choisi de l’ancrer en Provence au fil des acquisitions depuis une vingtaine d’années, c’est en raison de ses origines mais aussi de la production intéressante et originale de dessins dans la région, du XVIIe siècle au début du XIXe siècle.
« À cette époque, la Provence est au cœur d’un carrefour d’influences entre l’Europe du Nord et l’Italie, les artistes empruntant le couloir rhodanien et embarquant à Marseille pour rejoindre la Botte, séjournant souvent à Aix-en-Provence où une riche clientèle leur passait commande », explique Luc Georget, conservateur en chef du musée.
Des artistes nés ou installés dans la région
Cet Esprit du trait propre à la Provence, on le découvre jusqu’au 21 septembre, suivant à notre tour un parcours chronologique et thématique dans une aile du musée du Palais Longchamp. Tous les artistes présentés ici sont nés ou ont séjourné dans la région. Et leurs œuvres n’ont jamais été montrées pour certaines. L’exposition ouvre donc sur l’époque baroque que dominent Jean Daret, dessinateur belge qui s’est installé à Aix où il est décédé en 1668, mais aussi le Marseillais Pierre Puget, sans doute l’artiste le plus célèbre de la collection.
Celle-ci compte un dessin inédit d’un combat naval acquis il y a 3-4 ans par le collectionneur, Pierre Puget étant alors sculpteur à l’arsenal de Toulon pour le roi, mais il cumulait, outre la sculpture, la peinture et l’architecture. Réputé pour ses dessins élégants de scènes de mer, Puget utilise là un matériau luxueux, le vélin, peau de veau, « où toute reprise est impossible », précise Luc Georget, d’où la virtuosité des détails.
Un XVIIIe siècle marqué par Michel-François Dandré-Bardon
La visite se poursuit sur la période à cheval entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, quand la Provence est une terre de « réseaux artistiques ». Si un pan de mur est consacré à la production avignonnaise associée à Nicolas Mignard, dit Mignard d’Avignon, ou encore Étienne Perceval, dit Le Romain, pour ses œuvres religieuses sur fond rose et doré, ce XVIIIe siècle est largement marqué par Michel-François Dandré-Bardon, né à Aix en 1700 et décédé à Paris en 1785. La finesse de ses dessins se contemple dans
« Le sommeil » d’une jeune femme écroulée sur son bras ou encore ce détail d’un tableau de 6 mètres consacré aux Sœurs de Saint-Thomas de Villeneuve, venues à Marseille en 1720 pour porter soins aux malades de la peste. S’il arrête de dessiner en 1753, Dandré-Bardon a une importance capitale en termes de transmission et de pédagogie en fondant l’Académie de peinture de Marseille. Plusieurs dessins de ses élèves, qui ont pour certains rejoint l’Académie royale de peinture (Joseph André Cellony, Michel-Honoré Bounieu et Simon Julien de Toulon), poursuivent la visite. Elle se prolonge par une section consacrée au paysage avec des artistes liés à l’Académie de peinture de Marseille tels que David de Marseille, Jean-Baptiste Giry, Louis Chaix… « avec de grands dessins comme des tableaux d’Arcadie et ruines romaines qui plaisaient à l’époque néoclassique ».
Jean-Antoine Constantin, dit Constantin d’Aix, « maître provençal »
La fin du parcours est consacrée au XIXe siècle dominé par Jean-Antoine Constantin, dit Constantin d’Aix, « maître provençal », qui a formé à son tour François-Marius Granet et Auguste de Forbin. Avec ses grands dessins à l’encre, « il est au XIXe siècle ce que Dandré-Bardon a été au XVIIIe », conclut le conservateur. Une promenade dans le midi avec des dessins de Saint-Rémy-de-Provence par Jean-Joseph Kapeller et des ambiances sur le Vieux-Port de François Roux, avant des portraits au pastel, finissent d’illustrer « cet esprit du trait » aussi délicat qu’enrichissant.
Jusqu’au 21 septembre au Musée des Beaux-Arts, Palais Longchamp (4e) à Marseille. Gratuit. Ouvert du mardi au dimanche de 9h à 18h. 04 91 14 59 35