Trump deal la moitié de l’Ukraine avec Poutine
Le comportement « punitif » de Donald Trump, devenu complice de Poutine, et son repli de l’aide à l’Ukraine serait-il l’occasion d’accélérer le remodelage de la défense en Europe. L’indigence américaine pousse les états d’Europe à reconnaître qu’ils ne peuvent plus se reposer sur l’aide de l’Oncle Sam. Si le gendarme US cesse de jouer les arbitres et demande aux Européens de payer la dette de l’interventionnisme américain, le moment est sans doute venu d’échapper à sa vassalisation. Surtout depuis qu’il prend cyniquement fait et cause pour Poutine.
Selon le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, face au risque de la soumission à la Maison Blanche et au Kremlin, l’OTAN doit répliquer de façon opportune en agissant avec confiance en soi. Il ne faut pas espérer le bon moment pour se lancer. Il faut se lancer en espérant que ce sera le bon moment. Le message n’est pas encore passé. Que ce soit dans le cadre de l’Union Européenne ou en dehors, une proportion non négligeable de pays de l’UE se dit prête à affirmer leur autonomie et cheminer vers le partage et l’indépendance nucléaire. Pris en étau entre leurs promesses à l’Ukraine et leurs craintes à l’égard de Poutine, les pays membres se sont pendant longtemps montrer hésitants. Ils ont fait ce que les bons démocrates font dans ce genre de situation, tarder à se décider, ne pas oser prendre de risques. Malheureusement, comme cela s’est régulièrement produit depuis le début des hostilités, les arbitrages court-termistes des Européens sont souvent désappointants. Tout le monde est d’accord pour acter le bannissement du gaz russe et geler les énormes avoirs de la Russie. Il faut maintenant passer à l’acte. Autre décision forte serait de virer les états membres pro-russes ( Hongrie et Slovaquie) qui sont des relais de propagande et d’espionnage. Le problème est que l’UE éprouve beaucoup de difficultés à accélérer chaque mesure de dissuasion. Les pays membres se comportent comme ceux de l’aimable « monde sophistiqué des humanistes, avec leurs principes et leurs règles » que décrit Giuiliano Da Empoli dans l’Ere des prédateurs (Gallimard. 2025) : « celui qui n’agit pas peut-être sûr que les changements auront lieu à son désavantage »
Jusqu’à présent, face aux prédateurs du Kremlin, la puissance de l’Union Européenne s’est surtout manifestée par des sanctions financières accrues qui fragilisent l’économie russe mais ne semblent pas intimider Vladimir Poutine outre mesure. Elles n’apportent pas le secours attendu par l’Ukraine. Enfin, après trois ans de guerre, force est de constater que, sur le terrain, l’Ukraine continue de se battre avec des moyens qui ne lui permettent pas de se défendre au mieux. L’acheminement de l’armement reste mal assuré par l’UE.
Une guerre anti-européenne
Un fait nouveau pourrait cependant changer peu à peu la donne : la prise de conscience par l’UE que Poutine mène en réalité une guerre anti-européenne et pas seulement ukrainienne. En témoigne l’augmentation des agressives incursions de drones russes au dessus des points stratégiques, de la Pologne, de l’Estonie, du Danemark et d’autres pays alliés au sein de l’OTAN. C’est bien l’entité européenne qui est en ligne de mire par Moscou. La sécurité de l’Europe, cela signifie donc garantir la protection de l’Ukraine qui se trouve être, par la force des choses, le bouclier de l’UE. Cela suppose plusieurs devoirs ; et accentuer le soutien à Kyiv; ne pas se laisser intimider par la menace nucléaire du Kremlin ; renforcer de façon plus marquée la livraison d’armes de défense antiaériennes. Aussi bien, les chefs d’état de l’UE se mobilisent-ils pour sceller une coopération renforcée, redoubler de vigilance et augmenter les moyens militaires. Plusieurs réunions au sommet ont marqué ce changement de format. Le 20 octobre 2025, un événement majeur marque ces efforts pour consolider la sécurité en Europe et de poser la première pierre d’une défense réellement autonome sans dépendre de Washington: l’EDIP ( programme européen pour l’industrie de la défense). La France ( mais aussi les pays membres de l’UE) doivent « accepter de perdre leurs enfants », a déclaré le chef d’état-major français au Congrès des Maires de France, évoquant, comme son prédécessur à la tête de l’état-major, le général Burckard , »une guerre de haute intensité » à l’horizon 2030. La dissuasion n’est efficace que si on est prêt à se réarmer moralement – et que l’adversaire y croit. Or pour le moment les Européens, manquent encore de crédibilité aux yeux de Vladimir Poutine.
Les exigences établies dès le mois de mars 2025 établissent clairement la nature des efforts à consentir pour financer le réarmement de la défense de l’UE. L’enjeu est de long terme : anticiper les guerres de demain. Les 27 de l’UE donnent ainsi leur feu vert à un plan de financement massif : « Réarmer l’Europe » de 800 Mds d’€ . Priorité à l’augmentation du budget défense des pays membres de l’UE. Il s’agit de faire converger les intérêts des Etats membres de l’UE, d’augmenter les capacités de production d’armes et particulièrement de répondre aux lacunes de l’industrie de défense européenne, notamment en matière de défense antiaérienne. Ce n’est pas gagné. Il y a une importante dépendance européenne en matière d’avions de chasse où beaucoup de pays européens ont fait le choix du F35 américain. De son côté, la France entend produire 4 à 5 Rafales par mois. Longtemps réticent, le gouvernement allemand de Friedrich Merz a ainsi annoncé un vaste plan d’investissement, en matière de défense pour faire face à la « guerre contre l’Europe » menée par la Russie. Pour la première fois depuis sa réunification, l’Allemagne est devenue le principal contributeur militaire d’Europe centrale et occidentale. Elle peut infliger d’énormes pertes à l’économie de guerre russe sans dépenser. Les fonds européens peuvent aider les entreprises à travailler ensemble sur des projets innovants et contribuer à rapprocher leurs besoins.
Une force de stabilisation européenne
Bref, une pédagogie de la guerre manque à l’Union Européenne pour rester militairement efficace : ne pas fâcher « l’ami » américain ; devenir grâce à la coalition des volontés, un pôle attractif ; rester solidaire par « force de traité » à la menace existentielle des pays plus exposés, par exemple : les frontaliers de la Russie. Il s’agit de créer une force de stabilisation européenne pour dissuader la Russie de s’en prendre aux petites républiques de l’UE La mutualisation des moyens est à l’ordre du jour. Les Européens ne sont pas dépourvus d’atouts.Une chose semble absolument claire : la solidarité de l’Union Européenne avec l’Ukraine contre l’agression de la Russie est aujourd’hui plus importante que jamais.
Trois éléments ont paradoxalement favorisé le renforcement de l’espoir et du soutien à l’Ukraine. D’une part, l’intransigeance de Vladimir Poutine qui a paradoxalement incité l’OTAN à intégrer en son sein davantage de pays européens craignant pour leur sécurité, comme la Finlande et la Suède ; d’autre part, le dédain de Donald Trump à l’égard de l’UE. Concrètement, par son désengagement, Trump a « involontairement » facilité la création d’un regroupement des pays membres de l’OTAN et de l’UE, ces derniers ayant compris qu’il ne fallait plus seulement compter sur Washington. Enfin, et c’est le plus important, la tenacité du principal intéressé, le peuple ukrainien. Après trois ans d’affrontement, la nation ukrainienne est devenue en quelque sorte le rempart de l’Otan. L’armée de Kyiv est composée d’une force armée de vétérans aguerris comptant environ 1 million d’hommes. Les armées allemande, française, polonaise comptent chacune environ 200 000 soldats, dont la plupart ne connaissent pas le combat sont ainsi en position d’assistance.
La mutualisation des moyens européens est grandissante. Grâce à la coalition des volontés et à l’unité stratégique, l’UE est susceptible de faire poids. Les pays d’Europe sont impliqués par « force de traité » à la menace existentielle si des pays voisins de la Russie sont menacés. L’idée proposée par la France d’une force multinationale pour l’Ukraine composée d’une coalition de pays volontaires européens, bâtie sur une clause de sécurité collective avec l’armée ukrainienne, permettrait aux Ukrainiens de mieux se protéger. Cette initiative fait réagir Poutine qui parle de « bellicisme » et de « militarisme ». Une inversion accusatoire typique de Poutine dont on sait bien qu’elle consiste à accuser l’autre de ce qu’on est soi-même.
La dénaturation du terme de paix oblige les Européens à réinvestir le vocabulaire de la Paix. Une mauvaise Paix prépare la guerre de demain. Aussi bien est-il question de remplacer les USA dans l’Otan même si cette hypothèse effraye les états qui sont militairement liés à Washington. Mais l’UE s’y prépare . Il s’agirait de mettre en place une coalition de pays volontaires pour forcer Poutine à la paix. La bonne chose dans ce tumulte incertain, c’est d’une part : l’émancipation de l’Europe d’une tutelle américaine encombrante et dictant sa loi, d’autre part de se mettre en ordre de résister aux menaces russes.
La résistance ukrainienne, meilleure alliée de l’Europe
La détermination de Kyiv encourage l’Europe à plus d’optimisme. La Russie n’arrive pas à vaincre l’Ukraine Depuis 4 ans, l’Ukraine montre qu’elle est capable, même dans la douleur, de supporter la pression massive de l’armée russe sur la ligne de front.
L’intelligence du gouvernement Zélenskyi et sa combattivité ont su forcer le respect de l’opinion et fait douter le commandement russe. Alors que la brutalité russe est le fantasme d’un empire nourrissant un retour au passé stalinien, le combat des Ukrainiens pour l’intégrité existentielle de leur nation est existentiel. Cette lutte héroïque fait figure de modèle pour l’Union Européenne. L’Ukraine est l’avant-garde du combat de la démocratie contre les empires autoritaires. Les citoyens européens ont pris conscience de cet enjeu. Face à la difficulté que connait l’Ukraine à protéger seul son espace aérien, une initiative citoyenne privée « Sky Shield » s’est mise en place. Cette initiative fédère des acteurs issus de la société civile, unissant leurs forces pour réagir face à une urgence humanitaire et sécuritaire. Elle traduit une volonté claire : rassembler des moyens aériens et logistiques pour protéger le ciel ukrainien et sauver des vies civiles.
La tragédie ukrainienne oblige à l’évidence à un sursaut des alliés: reprendre souffle, ne pas rater le redémarrage à terme d’une paix à laquelle la guerre aura redonné son sens politique, savoir contrer les cyberattaques russes qui n’ont jamais cessé de déstabiliser l’Occident. Affirmer la puissance européenne, c’est être capable de s’armer contre les manœuvres insidieuses et juguler les nombreuses ingérences étrangères et les réseaux constitués de portails d’information numériques diffusant des contenus pro-russes ( de type « Portal Kombat »). Telles sont les conditions nécessaires pour faire taire l’esprit belliqueux des pays à la reconquête de leur grandeur passée. Cette approche des alliés conclut que la guerre est une donnée à laquelle les démocraties doivent se préparer pour gagner la paix. Poutine est entré dans une économie de guerre sans s’en apercevoir, et maintenant, il est très difficile pour lui de faire marche arrière.
Le réalisme actif des chefs d’état européens est une première. Unis, ils agissent avec une fermeté de langage relativement inédite, capable de soutenir la menace de la dissuasion nucléaire. Reste à l’OTAN la volonté de transformer cette fermeté en actes. C’est ce que réclame le président Zelenskyi avec insistance. La résistance de l’Ukraine insuffle la dynamique de la victoire. Il ne faut pas lâcher et plus que jamais continuer à soutenir le peuple ukrainien.