Au bout de la conversation, ils se confondent en remerciements, comme si venir les interroger à Paris n’était pas un privilège mais un chemin de croix. On leur glisse qu’on aurait quand même aimé découvrir un deuxième inédit sur leur album. En guise de consolation, Alain Souchon, bientôt rejoint par ses fistons, entonne a cappella Un gai luron des Flandres (qui s’en vint en Wallonie), chanson en canon des scouts belges. Souchon, la délicatesse de père en fils.

Pour La beauté d’Ava Gardner (1988), votre père a inventé l’expression « les regretteurs d’hier ». Elle lui ressemble ?

PIERRE SOUCHON: « Ah oui. Cette économie des mots pour dire la nostalgie… Il a quand même aussi écrit Les regrets (1993). »

Vous regrettez de ne pas être aussi bon musicien que vos fils ?

ALAIN SOUCHON – Je regrette surtout de pas être jeune comme eux.

OURS : « Même s’il a composé de superbes musiques (notamment Foule sentimentale en 1993, – ndlr), mon père se focalisait sur les paroles pendant que Laurent faisait le job côté musique. Sa force, c’est de s’être concentré sur les paroles. »

ALAIN: « J’ai été élevé dans les pensions. On n’avait droit qu’aux livres du cours de français. Interdit d’amener de l’extérieur des « livres d’amusement ». Alors je me suis gavé des anthologies Lagarde et Michard. Leconte de Lisle, Chateaubriand, Lamartine étaient mes échappatoires, le seul truc qui me faisait un peu rêvasser. J’ai adoré le rythme de la poésie romantique, des auteurs du 19e siècle, des choses plus anciennes aussi. Ces rimes qui sonnent… Et puis quand j’étais adolescent, passaient à la radio Georges Brassens, Jacques Brel, Guy Béart, Georges Moustaki, des gens qui ont écrit des choses qui resteront toujours et m’ont donné envie de faire des chansons. »

PIERRE: « Son rythme n’est pas musical, il est dans les mots. »

Alain Souchon réagit à la reprise par Gims de l’un de ses titres emblématiques: « Au départ, on avait plutôt tendance à dire non »

La rencontre avec Laurent Voulzy a changé les musiques mais aussi les textes de vos chansons.

ALAIN: « Oui parce que son exigence était différente. J’avais envie de dire « j’aime Notre-Dame de Paris parce que c’est un merveilleux monument gothique… « Il me montrait un truc (il imite une ligne de basse énervée) et me disait « tu peux pas mettre tout ça ». Il fallait malaxer les paroles. C’est comme ça que j’ai évolué. »

Quand on a le même métier qu’un père que Francis Cabrel a sacré « maître de tous les chanteurs », comment on fait ? On l’envie ? On lui en veut ?

ALAIN: « Je leur fais forcément de l’ombre, mais ils y vont quand même parce qu’ils sont courageux. »

PIERRE: « On n’est pas des victimes parce que tout vient de nous. On aurait pu être élagueur, concessionnaire, routier, mais on a décidé de suivre son sillon. On a choisi quelque chose d’un peu périlleux et en même temps d’assez banal. Il y a des familles d’avocats, de boulangers, de politiques. Petit, j’étais à l’école avec Thomas Dutronc qui a suivi ses parents. Comme Mathieu Chedid, Charlotte Gainsbourg ou les enfants Bouglione. »

OURS: « On place son travail si haut qu’on n’essaie pas d’arriver à ce niveau. Mais on vit en musique. Presque malgré lui, il nous a transmis son amour de la chanson. Raconter des histoires dans les couplets, trouver pour les refrains la bonne formule qui résume le tout. On aime cet artisanat, on en parle ensemble. »

Alain Souchon part en tournée avec ses fils Pierre et Charles, alias Ours : « Elles datent mes chansons »

L’album contient À quoi tu penses ? un inédit qui dit que « faire des chansons console« . Une tradition familiale.

PIERRE: « On a trouvé pour refrain cette question « à quoi tu penses ? », façon de se demander « dans ta vie, où t’en es ? ». Chacun a écrit son couplet qui parle de sa propre histoire. Cela permet de garder une certaine intimité même si on chante à trois. »

OURS: « Mon père se demande si c’est pas bientôt fini ce truc où il est sous la lumière à faire le beau… En même temps, il n’a pas envie que ça se finisse. Pierre parle de ses désillusions. Moi je réfléchis à ma vie de couple. C’est là que je dis que faire des chansons console. Cette phrase, on aurait pu tous la chanter. Les chansons consolent, c’est ce qu’on pense. »

En concert, c’est plus que de la consolation. Il y a des anecdotes, presque des sketches pour faire rire.

ALAIN: « J’aurais aimé faire rire davantage. Peu importe, j’ai fait ce que j’ai fait. Mais j’aime quand on rigole. »

OURS: « Ses chansons sont parfois poignantes, mais toujours avec un second degré… Être rigolo, c’est avoir la pudeur des sentiments. Les concerts sont des montagnes russes d’émotions. C’est sympa de distiller un vent de légèreté et puis d’être incisif et profond. Son répertoire n’est pas forcément drôle, mais lui a toujours été assez rigolo et on a chopé ça de lui. »

Faire un métier de ce que vous aimiez et le partager avec votre famille… Vous vous êtes construit une belle vie.

ALAIN: « Oh oui, c’est merveilleux, merveilleux. Mais on n’a pas construit ça dans l’effort. On s’est laissé aller à nos instincts primitifs (rires), c’est à dire faire de la musiquette. Les chansons, c’est pas du Beethoven et, en même temps, tout ça est charmant. Pierre et Ours autant que moi, on y a trouvé notre content. (Il se délecte de l’expression). »

PIERRE: « Mon père peut être fier de sa vie. Je pense que sa personnalité l’empêche de s’en rendre compte. Et nous, on a eu beaucoup de chance. Tous les soirs sur scène, on se pince en se disant : « C’est dingue de voir notre père de 80 ans danser comme ça. » Entendre ces « Alain on t’aime », c’est extraordinaire. On ne peut pas être blasé de ça. »

ALAIN: « On va chanter tout le temps, jusqu’à 100 ans. »

Il y aura pourtant un dernier concert.

OURS: « Dès qu’on est sorti de scène le premier soir, avec mon frère, on s’est dit qu’à la fin, ça ferait un grand vide. Avec le public, il y a un échange d’être humain à être humain. On ressent une espèce de gentillesse, de douceur, d’acceptation les uns des autres. On vit quelque chose de sentimentalement très fort. Quand ça va s’arrêter, on va être déboussolés. »

ALAIN: « On pourrait en devenir violent. D’un seul coup, tu vois ? »

PIERRE: « On y pense à ce soir qui se rapproche. Mais il nous reste une quarantaine de concerts pour en profiter. La tournée était prévue pour 50 dates maximum. On va en faire 150 ! C’est que l’aventure a été vraiment belle. »

Les 8 et 9/01/2026, Cirque Royal, Bruxelles.

Alain Souchon, le môme éternelL’album de famille

Le disque s’appelle « Studio Saint – Germain » parce qu’il a été enregistré là, dans ce quartier qu’ils habitent, où Alain Souchon a débuté (Chez Georges, rue des Canettes). Tout sur cet album est une histoire de famille. A commencer par les 15 chansons signées Souchon (18 pour la version Collector) dont un inédit écrit en trio (A quoi tu penses ? aussi présent dans une variante sur le dernier album d’Ours). Comme sur scène, cette sélection qui dépasse le best of est jouée à la guitare et au piano par les deux « gamins » avec le renfort ponctuel du paternel. « Avant même de partir en tournée, nous avions le projet de reprendre des chansons de mon père avec sa voix d’aujourd’hui et dans des versions épurées, explique Ours. On adore les arrangements d’époque, mais La ballade de Jim sans le son synthétique de 1985 ou Foule sentimentale sorti des 90’s, ça donne une nouvelle fraîcheur à ces chansons. On redécouvre les paroles, une trouvaille du texte à laquelle on ne faisait plus attention… C’est sincère, dépouillé, un peu fragile aussi. Cela nous ressemble. Il n’aime pas qu’on dise ça, mais des chansons aussi importantes, aussi grandes, elles traversent le temps quel que soit l’éclairage qu’on leur apporte. » « Ah si ! J’aime bien quand tu dis « , s’amuse Alain Souchon. Comme pourrions-nous être d’un autre avis ?