Par
Cédric Nithard
Publié le
23 nov. 2025 à 16h40
Si le nom d’Arnaud de Jesus Gonçalves n’évoquera peut-être rien, celui d’Arkane est plus connu par les amateurs d’arts urbains. L’artiste, montpelliérain d’adoption, s’est fait connaître sur les murs de la ville par ses fresques aux touches impressionnistes tranchant avec les autres graffeurs. Mais c’est peut-être parce que derrière le graffeur, il y a davantage un peintre académique dans son qualificatif le plus noble. Véritable acharné de la technique, revendiquant des références classiques sans occulter des influences contemporaines, Arnaud de Jesus Gonçalves s’affirme avec brio dans la première exposition en son nom présentée à la galerie Nicolas-Xavier Callu jusqu’au 6 décembre. Plongez dans les coulisses de la création avec un artiste dont « Ces jours-là » annoncent de beaux lendemains.
Comment s’est fait ton éveil à la peinture ?
Comme beaucoup de personnes qui sont comme moi dans le figuratif, il a commencé très tôt. J’aime le dessin, la peinture, les choses – même si je n’aime pas le mot – bien faites, le côté académique et cet héritage je l’ai depuis tout petit. À 4-5 ans, j’étais un enfant un peu isolé. À l’école, j’avais mon cahier et je dessinais des dinosaures. Je remplissais des carnets entiers mais vraiment très jeune. J’étais vraiment mordu de ça. C’était mon échappatoire, mon petit monde et je n’ai jamais trop lâché ça. Vers 10-12 ans, à force de dessiner, j’avais des notions de volume que je n’étais pas capable d’expliquer mais je comprenais la structure des formes. C’était loin d’être parfait, cela reste des dessins d’enfant mais pour un enfant c’était quand même abouti en terme de structure. Par contre, il y avait un truc que je n’avais pas, et je travaille encore dessus, c’est la couleur et donc la peinture. En gros, jusqu’à 10-12 ans c’était dessin, dessin, dessin comme un enfant têtu qui ne voulait faire que ça. Mais la couleur, cela n’allait pas, il n’y avait pas d’harmonie, pas de cohérence.
Tu avais conscience de ça si tôt ?
Je savais que je n’étais pas bon. C’est le seul truc que je pouvais dire mais je ne savais pas pourquoi. La théorie des couleurs m’était inconnue mais, comme tout, cela s’apprend, se travaille et se pratique. En cultivant ça un peu tous les jours pendant 20 ans depuis que j’ai 12 ans, j’en ai 32 aujourd’hui, je suis passé du dessin à la peinture.
Et est-ce qu’à un moment tu es passé par une formation ?
Déjà je suis passé par le graffiti et notamment l’utilisation de la bombe. Mes parents n’étaient pas du tout dans ce milieu : classe moyenne, travaillant à l’usine et dans le secrétariat donc très loin de tout ça.
Si je vais dans le cliché, ils devaient se poser des questions sur qu’est-ce que mon fils va faire dans une carrière artistique ?
Exactement avec également la question de comment ils allaient pouvoir m’aider. C’était inconnu pour eux et surtout c’est instable. Pour le commun des mortels, tu dis à ton père que tu veux être artiste, c’est hors de question. D’abord tu fais des études, le schémas c’était ça mais ils ont vu que j’étais très volontaire et la chance que j’ai eu c’est qu’ils m’ont toujours soutenu.
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Ils ont dû voir que tu avais du talent.
Évidemment mais j’ai des potes qui étaient très doués en musique avec des parents très cons qui les ont enfermés dans une école de commerce et aujourd’hui ils sont très malheureux. Moi j’ai eu la chance d’avoir des parents ouverts même s’ils n’y connaissaient rien et un grand-père, avec qui j’ai beaucoup grandi, qui travaillait le métal. Cela a été une passerelle créative que de se dire que l’on se lève le matin pour faire quelque chose d’intellectuelle mais surtout de manuelle. C’est concret, cela existe, il y a un résultat. J’ai rapidement été accro à ça, à créer un truc. À la même période je découvre le graffiti sur les murs d’Avignon, ces grosses lettres et surtout des décors, des personnages… Rapidement, j’ai vu là aussi une passerelle avec mes petits monstres en dessin et je me suis dis que cela devait être un truc de fou de les peindre sur un mur donc je me suis plongé à fond dans ce truc. À 13-14 ans, je suis allé à Keep Fire, qui était le seul magasin de bombes d’Avignon à l’époque, et j’ai rencontré toute une flopée de jeunes artistes entre 20 et 30 ans qui étaient pour moi des darons. J’ai acheté une bombe, c’était une catastrophe mais je ne me suis pas découragé pas et me suis passionné pour ce milieu. Les années passent, j’arrive au lycée à Avignon vers 15 ans et je squatte là-bas tout le temps. Je vois les graffeurs avec leurs black books et c’est trop ce que j’aime. Donc je me trouve un blaze qui a été Arkane pendant très longtemps. C’était une combinaison de lettres que j’arrivais à bien assembler mais, rapidement, j’ai bien vu que je n’étais pas du tout en phase avec les lettres. Je n’était pas bon. Je n’étais pas bon ni en couleur, ni en lettrage et ce que je savais faire c’est dessiner donc je me suis dit vas-y dessine sur les murs et dessine avec des bombes. J’ai donc entrepris un long apprentissage. Comme ton premier ollie en skate, tu mets deux ans avant de capter le truc et après c’est bon.
D’autant que faire de la fresque murale c’est totalement différent du lettrage.
Complètement mais j’étais un peu en confiance car j’avais un niveau de dessin confirmé. J’étais juste frustré car je n’avais pas la même habilité. L’intention que tu as dans les doigts, tu ne peux pas la traduire avec une bombe. Toutes les personnes qui en ont fait un jour savent à quel point tu pètes un câble au début juste pour faire un trait, pour aller chercher la finesse, le bon geste, la dynamique… C’est un autre métier. Par contre, mon cerveau comprend les formes, je savais ce qui était plus ou moins juste, plus ou moins faux, même si ce n’était pas parfait j’avais une bonne lecture de tout ça. À force d’apprentissage, j’ai fini par capter le truc. J’étais à fond dans la culture graffiti. J’avais 5€ par semaine d’argent de poche et tout partait dans le graffiti soit pour acheter une ou deux bombes soit un magazine. Ce qui est dingue, c’est que les gars avec qui je suis dans la même galerie aujourd’hui comme Mode2, BomK… j’ai grandi avec eux à travers les magazines justement. Je bavais sur eux, j’hallucinais sur leurs peintures en n’y connaissant rien à l’histoire de l’art. J’avais juste une culture visuelle mais je ne connaissais pas les noms, les mouvements… Et tout ça ne m’a jamais quitté.
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Des toiles inspirées par les voyages de Arnaud de Jesus Gonçalvez. (©CN / Métropolitain)
À quel moment vient la bascule vers une forme de professionnalisation ?
À 18 ans se pose la question des études mais moi je voulais peindre, être artiste. Alors mon père me dit que si je veux faire le grand, je n’ai qu’à monter mon entreprise et ramener un salaire. Je l’ai pris au pied de la lettre et j’ai monté mon entreprise de peintre décorateur. J’allais toquer aux portes des restaurants, des hôtels… à Avignon et dans les alentours. Avec le bouche à oreille, j’ai fait des décos, notamment des chambres d’enfant, pendant 3-4 ans. À force de faire des fées clochette, des Cars, des Shrek, des ambiances jungle… cela m’a permis de parfaire ma technique même si ce n’était pas parfait. Et j’ai senti que mon père était très fier de cette initiative mais qu’en même temps il voyait qu’il y avait un vrai manque en moi. On en a beaucoup parlé et mes parents m’ont épaulé en me poussant à reprendre des études. Je suis donc parti à Montpellier où mes parents m’ont payé mon appartement jusqu’à mes 22 ans avec l’objectif d’aller à l’université et de faire mon réseau. J’arrivais à m’en sortir car j’avais toujours mon entreprise qui me permettait de gagner trois sous. D’autant que l’université cela a duré deux mois par contre j’ai fait des rencontres incroyables et, tout d’un coup, tout prenait forme. À Paul-Valéry je fais la connaissance de Primal qui est un artiste et un pote de coeur avec qui on a partagé plein de voyages. On s’est retrouvés à dessiner l’un à côté de l’autre à se demander ce que l’on faisait là. On a finalement intégré une école d’illustration et de communication où au bout de deux ans on se dit que ce que l’on veut faire maintenant, c’est être tout seul. Ces deux ans nous ont permis d’apprendre la Suite Adobe, Illustrator, Photoshop, vectoriser un élément, créer des maquettes, faire des colorisations, comprendre les couleurs… cela nous a fait grandir. Donc avec un peu plus de maturité, de confiance et d’expérience, à 23 ans c’était reparti. Je me suis mis complètement en indépendant, sans vouloir d’autres jobs à côté, et je me suis promis d’y arriver. Et pour ça je travaille comme un dingue.
Là tu arrives au moment où il y a une jolie scène street-art à Montpellier avec un petit engouement autour et tu te fais remarquer par tes fresques. Comment cela s’est passé pour toi ?
Cela commençait effectivement à se médiatiser, à être moins mal vu. On sortait aussi vraiment de la lettre avec d’autres propositions avant que cela devienne un effet de mode extrême, il y a eu ce petit moment où les rapports avec les mecs du milieu restaient compliqués car forcément c’est difficile d’être légitime quand tu essayes de commercialiser ton art pendant que eux revendiquent complètement autre chose. C’était dur de trouver sa place, de se faire respecter mais en même temps tu y vas. Tu y vas avec sincérité, tu rencontres les gens et ils se rendent compte que tu n’es pas un mauvais gars et que tu es passionné mais surtout, ce qui m’a donné des points de crédibilité, c’est une session dans le Verdanson. Je m’en rappellerai toujours. J’avais 24 ans, je suis arrivé ce jour-là en ayant oublié mes bombes et j’ai juste dans mon balluchon trois pots de peintures acryliques de couleurs moisies et ma perche. Let’s go ! J’avais un mur de 4-5m, pas immense mais suffisamment grand quand tu n’as pas la connaissance de cette approche. Comme j’avais des notions de dessin et de peinture et que j’avais une culture de l’image plus muséale et académique que mes potes graffeurs qui avaient plus de références en hip-hop et graffiti, je me suis dit que j’allais faire le peintre, que j’allais faire de l’impressionnisme dans le Verdanson. Je commence et j’ai un recul sur ma peinture. Je claque un truc assez rapidement qui n’était pas franchement dingue mais en 2h je vois la surface que j’ai rempli, la justesse du dessin… et je me dis qu’il y quelque chose avec la perche, le rouleau et surtout l’acrylique. Ce jour-là, je ne le savais pas encore, je ne l’allais plus jamais reprendre une bombe de ma vie. Je me suis alors redirigé à fond vers tout ce que l’on voit aujourd’hui à la galerie Nicolas-Xavier. En fait, j’aime la peinture. C’est ça depuis tout petit. J’aime les murs, les fresques, l’art urbain, les graffeurs, le street-art, plein de mouvements picturaux, la photographie… je n’ai aucun problème avec tout ça car cela m’a permis d’ouvrir un monde et me donner plein d’influences sans pour autant jeter un voile sur ce que j’ai toujours aimé. J’essaye de toujours rester très ouvert et de piocher des références dans la photographie que j’ai pratiqué pendant dix ans. C’est quelque chose que je ne médiatise plus et dont je ne parle plus mais je pense que cela se sent dans mon travail. J’avais mon labo photo dans ma salle de bain, je travaillais à la chambre, je me suis passionné pour le collodion, j’avais un bain de nitrate d’argent… Je suis têtu, quand j’aime un truc, j’y vais à fond. J’avais découvert des procédés anciens de cette période très picturale de la photographie et c’est ce que j’aimais.
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On sent effectivement tu as un côté très passionné par la technique.
J’aime savoir comment les choses marchent et j’ai besoin de me prouver que je vais y arriver. Moi qui ai grandi avec mon papy, qui a toujours aimé les antiquités… peut-être que cela se ressent dans mon boulot, le climat reste ancien. C’est contemporain bien sûr mais cela reste intemporel. Il n’y aura pas de smartphone sur mes compositions ou un décor trop actuel car cela ne m’inspire pas tout simplement. Cela vient aussi de mon amour pour la photographie ancienne et accessoirement pour la brocante. Quand j’étais petit je trouvais les vieux objets beaux et je voulais les dessiner. C’est comme ça que j’ai acheté un appareil photo à soufflet et que j’ai commencé à les collectionner avec les machines à écrire anciennes. Et tout marche. C’est mon côté borné aussi. Quand j’achète quelque chose je veux ça marche. Vers 17 ans, je bidouillais sans savoir comment créer une passerelle entre la photographie et la peinture mais j’expérimentais beaucoup et je me suis mis en tête de faire marcher mes antiquités donc je me suis formé sur Youtube. C’est comme ça que j’ai fait du cyanotype, du palladium… des techniques anciennes chez moi qui m’ont beaucoup inspiré. Et j’avais envie de pouvoir peindre comme mes photographies. La dynamique, le côté impressionniste, granuleux, imprécis, un peu flou et toutes les interrogations que cela pose sur le lieu, la date… mais je n’arrivais pas à faire ça sur les murs.
Comment vas-tu réussir à évoluer ?
Le travail, le travail, le travail. Je découvre la peinture en l’huile mais en parallèle je fais toujours des décos car pendant tout ce temps il faut payer les loyers, les factures… J’ai travaillé comme un dingue jusqu’à aujourd’hui, et d’ailleurs je travaille toujours comme un dingue. Cela ne me quitte pas. Il faut vraiment être obstiné pour y arriver, s’accrocher, y croire et que cela marche un peu. Petit à petit, tu grandis, tu prends un peu confiance, tu rencontres beaucoup de gens et, mine de rien, tu crées un réseau. Même s’il n’y a pas de grands projets extraordinaires, tu t’en sors entre artisan et artiste. Et il y a eu un élément marquant, c’est le début des voyages en 2018 avec Primal et Nubian. C’est le moment où on se dit qu’il faut sortir de chez nous, qu’il faut aller peindre à l’étranger. Il y a le petit rêve d’enfant aller peindre à Brooklyn donc on est allé à New York et à la fin on a même réussi à trouver des plans payés. Le rêve américain, tu reviens avec 1 000 dollars en espèce, c’est incroyable, tu penses que tu as réussi… L’année d’après, on prend le même billet aller-retour, un Airbnb et cela ne marche pas du tout. La météo est catastrophique, les gens nous refusent les projets, il ne se passe rien. On a finalement peint un mur alors que pendant le premier séjour on en a peint trois ou quatre dont certains y sont encore. Par contre, lors de ce deuxième séjour, un Mexicain voit notre travail et nous rappelle trois jours plus tard pour un projet au Mexique. Puis, avec Primal, on discute avec un mec des pays de l’Est et on part en Serbie, puis dans des festivals à travers l’Europe… À la fin tu te rends compte que tu as eu la chance de peindre dans pas mal de pays. Là, par exemple, je rentre tout juste d’un autre projet au Mexique, à Tulum où j’ai adapté sur un mur circulaire au milieu de la végétation une des toiles de l’exposition. Mais tout ça cela ne tombe pas du ciel, ce sont des graines que l’on a planté en faisant ce que nous appelions des opérations coups de poing. On prenait un billet aller-retour avec le peu d’argent que l’on avait réussi à mettre de côté en faisant des fresques ici et après c’était de la débrouille. Même des trucs dont je ne suis pas fier mais des fois on n’a pas le choix. À New York, j’ai volé de la peinture, c’était trop cher. Avec le recul, jamais je ne serai capable de refaire un truc pareil mais, ce que je raconte, plein de gosses vont s’y retrouver. Au début quand tu n’as pas de sou, tu fais comment ? Les magasins de beaux-arts sont devenus des machines à fric, c’est complètement dingue. C’est quelque chose qui parait tout de suite inaccessible, comment tu veux donner envie ? Aujourd’hui, j’ai la chance de gagner ma vie et c’est trop bien car cela me permet d’aller dans les magasins de proximité comme Graphilux, derrière la gare, et me dire que cela ne me viendrai même pas à l’idée de voler de la peinture. Le coût de la vie a tellement explosé, c’est d’autant plus compliqué quand tu es jeune et que tu veux te lancer. Je ne suis pas du tout en train de dire qu’il faut voler quand on se lance mais il faut adapter ses outils et réfléchir à tout cela. C’est la même chose quand tu chiffres tes devis, c’est un équilibre à trouver. Personnellement, je me suis fait rouler plein de fois avec des gens qui ne m’ont jamais payé ou qui ne m’ont pas respecté mais aujourd’hui, parce que j’ai appris, tu ne me marches pas dessus.

« Quand sonne les cloches » et « Le Mirage ». (©CN / Métropolitain)
Surtout que tu as commencé jeune au final.
J’ai commencé très jeune donc forcément certains ont essayé d’en profiter et, à l’inverse, d’autres ont été géniaux. Je n’ai pas trouvé de mécène incroyable mais des personnes m’ont acheté beaucoup de toiles quand j’étais plus jeune. À Villeneuve-les-Avignon, le propriétaire du restaurant la Maison Bronzini, sans le savoir, il a joué le mécène. Quand tu as 19 ans, que tu fais une première exposition dans la tour de la ville avec une douzaine de toiles et qu’il t’en achète la moitié pour 2 000€, tu dis ça à tes parents. Ils te demandent si tu ne vends pas de la drogue (rires). Non, je vends mon art ! C’est énorme ! Et surtout cela me met en tête que je ne suis pas obligé de travailler l’été. J’allais consacrer mon temps à faire des toiles et démarcher des gens pour faire des murs. Comme mes potes se faisait trois sous dans des skateshops, moi aussi je voulais vendre mon art pour pouvoir acheter du matériel. C’est toujours la quête pour en faire ma vie et ne pas aller à l’école ou faire un autre métier, cela me rendrait trop triste. Je ne voyais pas ma vie autrement.
Cette exposition qui est bien sûr une étape dans ta carrière, tu la vois comme une première concrétisation ?
Franchement oui mais oui à 200%. Même si officiellement on dit première exposition, ce n’est pas du tout ma première exposition car j’en ai déjà fait un paquet, mais concrètement une exposition en mon nom c’est la première fois. Car il y a une balance. Il y a trois ans en parlant avec Nico (Nicolas-Xavier Callu) et d’autres potes artistes, ils ont vu mon nom de famille à trois particules et m’ont dit que j’étais un malade de signer Arkane. Ils avaient complètement raison, cela a été une prise de conscience. En plus ma famille n’est pas du tout dans ce réseau donc c’était complètement légitime. Depuis, je signe même mes fresques de mon nom de famille. Il y a donc eu une petite bascule ce jour-là qui m’a donné envie de passer en mode carriériste et de travailler mon identité. Cela voulait aussi dire moins de commande donc moins d’argent et essayer d’orienter mon plan de carrière car j’avais envie d’évoluer dans mon travail. Cette exposition c’est beaucoup d’émotions car ce n’est pas trois ans de travail, en réalité c’est quinze ans pour arriver techniquement à ce stade. C’est loin d’être parfait mais c’est solide, je connais mon sujet et j’ai encore des kilomètres à faire quand je vois le nombre d’artistes qui me passionnent.
Au-delà des quinze ans que tu évoques, tu as fourni un gros travail spécifiquement pour cette exposition.
Au total, j’ai passé six mois de travail quotidien. Il y a eu un mois et demi pendant lequel je n’ai pas posé un coup de pinceau. C’était du temps passé à mentaliser des idées, faire des croquis, des photomontages et au bout j’avais mes vingt-cinq maquettes. Mais c’est une période qui est à la fois géniale et horrible car c’est très dur de se faire confiance. C’est un moment où je suis en panique complet durant lequel je doute énormément. En même temps, il y avait un enjeu, c’est ma première exposition. Et c’est une production complètement exclusive. Il n’y a pas de doublon, de toile recyclée. Je ne me sentirai pas légitime de présenter une pièce de 2022. Je veux que du neuf. Et, même si je ne veux pas lui faire trop de compliments mais il le sait (rires), il y a ma rencontre avec Nico. Quand on a commencé à travailler ensemble, j’étais enfermé dans le portrait, ce qui m’a aussi permis d’exister. Sans me le dire comme ça, il m’a suggéré de remettre en question ça et d’aller voir autre chose. Je n’étais pas forcément d’accord donc pendant trois ans cela a été tout un chemin de réflexion pour arriver à comment amener le portrait mais différemment. À force de gamberger, au bout de toutes ces heures et mois de réflexion, de nouveaux cadrages sortent, une narration différente arrive, les influences de tous les pays que j’ai pu visiter se regroupent aussi.
Qu’est ce que tu as voulu exprimer dans cette exposition et pourquoi ce titre « Ces jours-là » ?
L’exposition est un peu un récit romancé de mes voyages et des choses qui m’ont touché à travers la féminité, que j’ai toujours mis sur un piédestal énorme, mais en sortant du portrait, en élargissant le cadre et, techniquement, en mettant en application ce que j’ai appris en travaillant tous les jours depuis longtemps. Il y a donc un côté hyper challengeant et, pour moi, nouveau : une architecture, un éléphant de cérémonie… J’ai essayé de raconter une petite histoire que je trouve « magnifique », c’est à dire hors du commun, à chaque cadrage. On s’arrête devant une image et on se demande ce qu’il s’est passé ce jour-là. D’où le titre de l’exposition. Sur chaque toile, j’ai eu envie de célébrer un jour important pour le sujet. Certains peintres n’aiment pas ce terme mais moi j’appelle ça de la scène de genre. Il ne se passe pas grand chose, ce sont des instants de vie. Ce n’est pas une scène de chasse, une scène historique, une scène politique ou une scène religieuse… Alors c’est beaucoup plus romancé mais c’est aussi pour essayer de revisiter la scène de genre et proposer des moments figés où concrètement il ne se passe rien mais en même temps il se passe tout. Ce sont des moments suspendus et, comme un photographe, je fige cette seconde, ce moment où il y a un état de grâce qui se produit dans un sujet, un regard, un oiseau qui passe… Il y a une toile d’ailleurs où j’ai passé une semaine à essayer de faire des oiseaux flous contre un sujet net et essayer de générer cette sensation de vitesse alors que l’on ne peut pas faire plus statique qu’une toile en terme de composition. C’est très frontal, c’est très brutal, c’est très Vogue comme approche et en même temps, il y a ce spectre flou qui passe. Mais c’est très compliqué à faire. Sur cette exposition, ce travail du flou et du net est un exemple de technique que j’ai essayé d’approcher. C’est le cas également de la mariée sur La Promesse où j’ai essayé d’être moins scolaire dans mon approche. J’ai toujours été très précis et plus les années passent, plus je le suis de moins en moins mais je trouve que ma peinture gagne en puissance grâce à ça.

« La Promesse » superbement mise en scène. (©CN / Métropolitain)
Cette exposition est une affirmation de ta technique et de tes références en pensant aux peintres préraphaélites. C’est pleinement conscient ?
Complètement. Cela fait partie des mouvements que j’adore. Un de mes coups de coeur artistique, et si quelqu’un est bien un père pour moi, c’est John Singer Sargent. Le plus Français des peintres américains qui était un grand portraitiste et dont il y a une grande rétrospective au musée d’Orsay à Paris en ce moment. Quand j’analyse sa peinture, je me dis qu’il a tout compris dans sa gestion des informations. C’est détaillé mais pas trop, ce n’est pas chiant, c’est juste ce qu’il faut pour que l’oeil soit séduit et, en même temps, il y a ce côté virtuose du lâcher prise. Quand on est devant une de ses toiles, on dirait une photo. Ça m’impressionne ! Malheureusement, il n’est plus là pour donner des cours (rires). C’est dur de s’approcher des grands maîtres. Comme en sciences, il faut procéder par empirisme. Tu avances, tu te trompes, tu recommences… pendant six mois tu as l’impression de reculer et d’un seul coup quelque chose se débloque. Et sur cette exposition, même s’il y a plein de choses sur lesquelles j’aurai à redire, je suis quand même très content de moi car j’ai la sensation qu’il y a un avant et un après. C’est pour ça aussi que cette exposition est importante pour moi car techniquement j’ai réussi, à ma petite échelle, à aligner mes intentions. Ce n’est pas encore parfait mais je suis content de moi. Et c’est rare que je le dise. Mais là, sans prétention, je n’ai pas peur de le dire. J’ai travaillé et j’ai réussi à obtenir un résultat qui me va.
Quand tu dis travailler, c’est le terme. Il y a un gros travail qui se voit que ce soit sur la préparation, la réalisation et la technique sur chaque toile. On sent que tu as dû bien te prendre la tête en atelier.
Cette exposition regroupe vingt-cinq pièces. Trois dessins et vingt-deux huiles peintes dont sept sont « académiques » où j’applique la recette d’il y a cinq-six siècles, couche par couche. C’est tout un monde et c’est mon côté un peu fétichiste de la technique quand je faisais de la photographie. J’aime bien me prendre la tête. Et c’est marrant car je suis à la fois dans le respect de l’académisme mais en même je ne respecte pas du tout certaines choses comme les dosages par exemple pour créer certains effets. Pour cela il faut comprendre toute la structure de base pour mieux la démolir. Et je me trouve encore très scolaire. Mais je découvre un monde et j’ai déjà hâte de me demander comment je vais me projeter sur la suite. Est-ce que je vais y arriver mieux ? Est-ce que je vais aller sur quelque chose de complètement différent ? Je n’en sais rien du tout mais la suite logique n’est pas de rester statique, d’être en mouvement, influencé par les rencontres, un film, un jeu vidéo, un instant de grâce dans la rue… J’aurai peut-être envie de peindre des feuilles d’automne (rires). J’ai la chance d’être autant stimulé année après année, d’habiter dans cette ville, de partager l’atelier avec des copains artistes Camille Adra et Loraine Motti… j’ai beaucoup de chance après cela a été un sacrifice et ça l’est toujours. Humainement je le vois, je suis peu disponible pour mes amis. Non pas que je n’ai pas envie mais, qu’on le veuille ou non, des choix sont faits, cela prend du temps, il ne faut pas compter les heures, les week-ends non plus, mais il y a la passion.
Tu imagines, comme tu le fais pour les fresques murales, passer à une toile d’un très grand format ?
Faire une peinture classique grand format ? Complètement ! C’est quelque chose que j’ai envie de faire à terme. Et je vois que, petit à petit, je suis en train de le faire sur mes toiles en développant des scènes plus complexes. J’ai commencé à le faire il y a un ou deux ans sur les murs avec des fresques où j’amène de la narration. J’ai d’ailleurs reproduit en tableau pour l’exposition, la première fresque, Yma la errante avec son lama, une femme en blanc qui fait 15 m de haut, où je suis sorti du cadrage buste portrait en amenant un décor. C’est une fresque que j’aime beaucoup et qui a d’ailleurs séduit sur Instagram avec 7M de vues et m’a apporté 40 000 followers.
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Et quand tu passes par le quartier Méditerranée, tu penses quoi de ta fresque en la revoyant ?
C’est dommage il y a un gros tag dessus mais c’est le jeu. Elle fait partie des fresques réalisées avant 2020 que j’aime toujours. Avant, il manquait plein de choses et, celle-là, en 2018, le côté lâcher-prise dont je parlais, de n’avoir travaillé qu’avec un petit escabeau et une perche, j’en suis très fier. C’est d’ailleurs ma première fresque à la perche et je trouve qu’elle a toujours cette émotion, ce truc dans le regard malgré les couleurs qui vieillissent. Comme cette exposition, symboliquement cette fresque est un marqueur dans mon travail de peintre. C’est la première fresque où je me suis dit que j’étais légitime pour en faire à la perche. Même si dans le fond ce n’est pas chiadé, peut-être qu’il y a plus d’émotions que dans quelque chose où je vais aller chercher la perfection pour au final s’ennuyer.
C’est quoi la suite immédiate pour toi ?
Je passe la semaine à Pornic pour un projet avec Line Up. La Ville a commandé un portrait de l’horloger Émile Macé qui est officiellement l’inventeur de l’horloge à double cadran. En décembre, avec Nicolas, je fais une fresque pour la Ville de Montpellier, et je suis très content car cela fait longtemps, sur un grand mur de 20x5m d’un bâtiment de la Régie des Eaux. Ce sera riche, un peu comme une gravure ancienne. Techniquement, j’ai trop hâte.
Exposition « Ces jours-là » de Arnaud De Jesus Gonçalves. Jusqu’au 6 décembre à la Galerie Nicolas Xavier, 2 bis rue Glaize – Place des Musées, Montpellier. Horaires d’ouverture : du mardi au vendredi de 10h à 12h30 et de 14h à 18h, le samedi de 14h à 19h. Entrée libre. Plus d’informations sur galerienicolasxavier.com et arkane-art.com.
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