Place du nucléaire dans le monde
Quelques données macroéconomiques pour mieux comprendre l’ampleur du thème dans le monde. En 2024 la production d’électricité d’origine nucléaire s’est élevée à 2840 TWh (térawattheure) soit 10% de la production totale. Cette part a été en croissance jusqu’en 1996 (17,5%) du fait de programmes visant à diversifier les sources d’énergie et réduire la dépendance aux énergies fossiles. Elle a ensuite significativement baissé jusqu’en 2023 (9,11%), reflétant des préoccupations croissantes en matière de sécurité suite à Fukushima et également dû à l’essor des énergies renouvelables.
💡 Quid du nombre de réacteurs en construction et en fonctionnement
• En 2024, 60 réacteurs, dont 26 en Chine, étaient en cours de construction pour une capacité additionnelle de 67 GW. Au-delà, 343 réacteurs sont planifiés, dont 41 en Chine et 6 en Pologne.
• Au 20 janvier 2025, 417 réacteurs représentant 377 GW sont en fonctionnement, répartis dans 31 pays, dont trois – les USA, la France et la Chine, représentent 57% de la puissance installée.
• Selon l’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique), la capacité installée pourrait doubler d’ici 2050.
• L’Union européenne prévoit de son côté que la capacité nucléaire installée en Europe devrait passer de 98 GW actuellement à 109 GW pour un investissement d’environ 200 milliards d’euros d’ici 2050.
Notons que malgré cette forte croissance, la part du nucléaire dans l’électricité mondiale n’augmenterait que peu, car les prévisions intègrent une forte croissance de la demande, résultant de l’électrification massive des usages (industries, mobilité, chauffage). Il restera de la place pour l’hydraulique, les renouvelables, et aussi le gaz en tant qu’énergie de transition.
Pourquoi, après avoir été quasiment diabolisé, le nucléaire revient-il au cœur des préoccupations ?
Après plusieurs années de méfiance, voire d’hostilité envers le nucléaire civil, notamment suite à la catastrophe de Fukushima, qui, rappelons-le, n’est pas un accident nucléaire, mais la conséquence d’un séisme sous-marin (un tsunami) le 11 mars 2011, de nombreux acteurs des sphères scientifiques, économiques, et même politiques sont arrivés à la conclusion suivante : le monde ne pourra pas résoudre les défis climatiques et environnementaux sans l’énergie nucléaire.
Même l’Union européenne, longtemps vent debout contre cette énergie, l’a officiellement incluse dans les solutions permettant de décarboner les systèmes énergétiques.
Quelles sont les raisons qui ont conduit à cette évolution ?
Elles sont au nombre de trois.
1 – D’abord, cette énergie est plus décarbonée que toutes les autres sources de production, y compris les renouvelables (12g CO2/kWh contre 48g CO2/MWh pour le solaire).
De plus, elle est pilotable, donc apte dans une certaine mesure à compenser l’intermittence du renouvelable.
Elle est particulièrement adaptée pour des pays comme la Pologne où l’électricité est encore majoritairement basée sur le charbon. En Pologne, l’essor significatif du renouvelable, solaire et éolien a réduit l’appel aux centrales charbon de 78% du mix électrique en 2018 à 57% en 2024. Mais le charbon restera indispensable à la sécurité énergétique du pays jusqu’à la mise en service de la première centrale nucléaire.
2 – Ensuite, elle est un facteur de compétitivité des entreprises. En effet, son coût est stable dans la durée et ne dépend que peu du prix du combustible.
3 – Enfin, elle permet à l’Europe qui dispose de toutes les compétences de regagner en indépendance et souveraineté énergétique.
Entretien : Guillaume Pitron, « La Guerre des métaux rares » pas si rares que ça
Quel rôle pour la France et la Pologne afin de faire émerger ce nouveau paradigme ?
La France a lancé en février 2023 une Alliance européenne du nucléaire qui a permis de regrouper une quinzaine de pays, dont la Pologne et tous les pays de l’Europe centrale et orientale. L’objectif de cette Alliance est de coopérer afin de créer un cadre européen favorable au déploiement de l’énergie nucléaire, notamment en termes de financement.
Ces combats ont permis au nucléaire de retrouver sa place au sein de l’Union européenne, parmi les résultats les plus significatifs, on peut citer :
1 – Le Nucléaire est maintenant inclus dans la taxonomie des investissements verts ce qui lui confère le label d’énergie durable et respectueuse de l’environnement
2 – L’hydrogène issu du nucléaire a été, après une longue bataille, inclus par la Commission dans le bouquet des énergies renouvelables
3 – Des dispositions permettant de protéger le marché européen des entreprises non européennes bénéficiant d’aides de l’état dont elles sont originaires
Décarbonisation, sécurité énergétique de l’Europe et de la Pologne en particulier
Et pourtant, les réticences ou oppositions au nucléaire n’ont pas disparu…
En Europe, quelques pays traditionnellement opposés au nucléaire (Allemagne, Autriche et Luxembourg), des partis écologistes (en France, notamment) et certaines ONG contestent la neutralité maintenant affichée entre nucléaire et renouvelables.
Cependant, cette neutralité dénoncée n’est pas inscrite dans les faits, comme le montrent les constats suivants :
- On peut noter des restrictions ou des oppositions aux financements européens.
- La négociation pour obtenir les Aides d’État pour le nucléaire est plus longue que pour les projets renouvelables.
Quels sont les arguments avancés contre le nucléaire ?
Ces arguments portent sur des accidents survenus dans des contextes spécifiques (Tchernobyl et Fukushima) ou des thématiques certes importantes, mais traitées de façon parfois anxiogène (les déchets).
Tchernobyl est la plus grande catastrophe du nucléaire civil qui a conduit à une fusion totale du cœur du réacteur. Il faut tout d’abord rappeler que le modèle de réacteur de Tchernobyl n’était utilisé que dans l’ex-URSS et certains des pays du pacte de Varsovie et ne respectait pas les standards de sûreté en vigueur à l’époque en Europe occidentale ou aux USA, notamment en termes de rétention et confinement. Un tel accident y serait possible, mais avec une probabilité très faible et des conséquences très limitées sur les populations et l’environnement. Dans une logique d’amélioration continue, des leçons en ont cependant été tirées qui ont conduit à faire évoluer la philosophie de la sûreté nucléaire d’où sont nés les réacteurs de « 3e génération » (type EPR). Source : Pourquoi le Nucléaire (Bertrand Barré Éditions De Boeck)
Et les déchets ?
Depuis 1970, des normes internationales établissent, sous le contrôle de l’AIEA, des principes de classification et de gestion des déchets. Ces derniers sont classés en fonction de deux critères : leur « activité » (c’est-à-dire leur radiotoxicité) et leur durée de vie (vie « longue » ou « courte » la radiotoxicité étant décroissante dans le temps).
Chaque pays décline ces principes pour définir sa gestion qui peut différer d’un pays à l’autre. En France, par exemple, on distingue cinq types de déchets :
- haute activité à vie longue,
- moyenne activité à vie longue,
- moyenne et faible activité à vie courte
- et très faible activité à vie courte.
Les déchets HA à vie longue qui résultent de la fission des atomes d’uranium sont les plus critiques. En France ils concentrent 97% de l’activité totale des déchets et donc de la radiotoxicité. Leur durée de vie se compte en milliers d’années.
Un réacteur nucléaire consomme peu d’uranium. 7g d’uranium permettent de produire autant d’énergie qu’une tonne de charbon. Les volumes de déchets relevant de la catégorie HA-VL sont donc faibles.
À titre d’exemple, le stock de ces déchets était en France (pays qui exploite 58 tranches nucléaires et déploie une activité militaire nucléaire) à fin 2023 de 4550 m3, soit un peu plus d’une piscine olympique.
Chaque catégorie fait l’objet d’une gestion et d’un traitement rigoureux garantissant la protection de l’environnement, des populations et des salariés, sous le contrôle des pouvoirs publics et de l’Autorité de Sûreté nucléaire.
Pour les déchets HA, la solution de long terme est un stockage géologique profond situé à Bures (Meuse) à 500 mètres sous terre dans une couche d’argile étanche et géologiquement stable, dans une zone non sismique. Il devrait être mis en service en 2050. Sources : Agence nationale des déchets radioactifs/ Le nucléaire en 100 Questions (Maxence Cordiez- Stéphane Sarrade Editions Taillandier).
Une autre critique majeure porte sur la durée et le coût des projets depuis leur mise en développement jusqu’à la mise en service. Les délais d’obtention des autorisations et les délais initiaux de construction sont en règle générale longs. Ils sont de plus soumis à des risques de dépassement de délai et de coût qui rendent les décisions d’investissement difficiles et risqués politiquement.
Quelles solutions permettent de limiter ces risques et de faciliter les prises de décision ?
Cette question a été abordée au cours du panel de Karpacz 2025 auquel j’ai participé, sur le thème « l’Europe doit-elle revenir au nucléaire ? ».
Interrogé par le modérateur, j’ai pu évoquer les trois raisons qui ont permis le succès du programme nucléaire français des années 70 et 80, où 58 tranches ont été construites en moins de 30 ans.
- D’abord, un pilotage par un État stratège.
- Ensuite, un opérateur et fournisseur unique.
- Enfin, une politique industrielle dirigiste permettant de bénéficier de l’effet de répétition en créant une dynamique d’amélioration et ainsi de sécuriser les réalisations en termes de coût et de délai.
Ces conditions ne sont pas reproductibles dans un cadre devenu européen, voire mondial, mais peuvent être inspirantes et conduire l’Europe à mettre des conditions plus favorables :
- Se doter d’une volonté politique claire et assumée
- Mettre en place une stricte neutralité entre ENR et nucléaire, notamment pour l’accès aux financements et aux aides d’état
- Simplifier les procédures d’autorisation
- Et enfin, créer un écosystème européen permettant de favoriser l’implication des entreprises européennes
Ce dernier point constitue un enjeu clé d’Indépendance et de Souveraineté européenne, car toutes les compétences et technologies nécessaires existent en Europe.
La Pologne et la Tchéquie ont pris des décisions d’engagement d’investissement dans le nucléaire. Leur choix n’a pas été européen, la Pologne ayant choisi les États-Unis et la Tchéquie l’offre coréenne. Pour autant l’implication des entreprises européennes dans ces projets reste possible et doit être encouragée.
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