Exposition photographique –
«Nous devons parler à la place des animaux, qui ne peuvent pas se défendre»
Le prince Hussain, fils de l’Aga Khan et natif de Genève, fait partie des finalistes du concours Wildlife Photographer of the Year, dont les 100 plus belles photos sont exposées à Bâle jusqu’à fin juin 2026.
Publié: 23.11.2025, 18h28
Cette photo a été sélectionnée pour le Wildlife Photographer of the Year. Le dauphin rose d’Amazonie, pris ici à Manaus au Brésil, est menacé par les filets de pêche et le réchauffement climatique.
HUSSAIN AGA KHAN
En bref:
- Le prince Hussain Aga Khan, né à Genève, est sélectionné pour le concours photographique mondial.
- Sa photo montre un dauphin rose d’Amazonie, espèce menacée par la pêche et le climat.
- Sa fondation consacre jusqu’à 2 millions de dollars à la protection des espèces menacées.
Ce dauphin rose d’Amazonie a l’air heureux. Il pose, danse presque, un sourire en coin. Mais derrière la beauté et l’insouciance de façade se cache une espèce en voie de disparition, piégée par des filets de pêcheurs et asphyxiée par le réchauffement climatique. Cette photo a été sélectionnée parmi 60’000 autres dans le cadre du concours Wildlife Photographer of the Year, le plus important du genre, dont le Musée d’histoire naturelle de Bâle expose les finalistes jusqu’en juin 2026.
C’est un prince né à Genève qui a tiré le portrait de ce dauphin: Hussain Aga Khan, 51 ans. Il n’est autre que le fils du célèbre Aga Khan IV, imam des ismaéliens nizârites – un courant issu de l’islam chiite – décédé en début d’année et milliardaire philanthrope à l’origine de la fondation AKDN. Celle-ci emploie plus de 90’000 personnes dans le monde et opère notamment dans l’éducation et la santé.
Avec son cliché, le prince Hussain fait partie des 100 photographes sélectionnés pour le concours international. «Je suis très reconnaissant, c’est un grand privilège, nous confie-t-il depuis le Pacifique, où il participe à une expédition. Nous ne protégeons pas ce qui ne nous intéresse ou ne nous touche pas. Mes photos visent à montrer l’intelligence et la beauté des animaux, ainsi que l’importance des écosystèmes, pour donner envie de s’engager et de changer de comportement pour les protéger.»
Passionné par les cétacés comme par les tritons
Les seuls flashs qu’il affectionne, lui, sont ceux de son appareil. Le quinquagénaire accorde rarement des interviews, sauf si ça peut servir à mettre en lumière des causes qui lui sont chères, à l’image de l’exposition bâloise. Ses réponses soignées à nos quelques questions préliminaires, rédigées à 2 h du matin sur cinq pages et demie (!), prennent des allures de plaidoyer en faveur du vivant. «Saviez-vous que durant au moins une phase de leur vie, un cinquième de toutes les espèces marines dépendent des récifs coralliens, qui subissent actuellement un dépérissement sans précédent?»

Le prince Hussain prend désormais en majorité des clichés sous-marins.
ELIZABETH HOAG
Sa passion pour la faune commence à l’âge de 4 ans, avec les poissons exotiques. Il grandit en regardant les émissions de David Attenborough et de Cousteau, en écoutant sa mère lui lire les ouvrages du naturaliste Gerald Durrell et de Beatrix Potter. «J’achetais tout ce que je pouvais sur les animaux: livres photo, posters, cartes postales, objets!» Tout l’intéresse, des cétacés aux tritons de la mare de la maison familiale à Chantilly, des requins aux escargots de Bourgogne de son jardin.
«Je n’explique pas cette fascination. C’est inné, mais développé par mon grand-oncle, Prince Sadruddin, dont j’étais très proche et qui m’a inspiré, ainsi que renforcé par mes expériences et lectures. Il était un grand amoureux de la nature et il a travaillé pour son bien durant des décennies, notamment via sa fondation genevoise Bellerive.»
Après une partie de sa scolarité à l’école privée genevoise Florimont – «où j’ai rencontré des amis très proches que je vois encore» –, le prince Hussain poursuit ses études aux États-Unis avec son frère, et obtient un master en affaires internationales à Columbia. C’est en 1996, en Amazonie, «lieu mythique que je rêvais de visiter depuis des années», qu’il commence la photographie. «L’essentiel était de pouvoir immortaliser ces animaux et ces lieux pour pouvoir les revoir à tout moment, ainsi que les partager avec d’autres personnes.»
Le sourire forcé des dauphins
Pour approcher le dauphin rose, un boto, de nature timide, le prince Hussain participe à une expédition organisée à Manaus (Brésil) par Tom Peschak – «l’un des meilleurs photographes au monde, avec lequel j’ai la chance d’être ami».
Sur place, des dauphins sont nourris par l’homme et deviennent une attraction touristique. «C’est désolant et je ne cautionne absolument pas cela. Mais c’était une occasion unique de les photographier afin de les faire connaître au public pour sensibiliser à leur sort.»

«Ce requin bleu, au Mexique, était mon tout premier et je n’oublierai jamais l’impression qu’il m’a faite», raconte le photographe.
HUSSAIN AGA KHAN
Seule une poignée d’espèces de dauphins d’eau douce survit encore, dans l’Amazone, le Gange, l’Indus ou encore le Mékong. Quant à leur «sourire», le photographe rappelle qu’il s’agit d’une caractéristique physique constante chez le dauphin, et non d’une expression de joie. «Les visiteurs des parcs marins pensent souvent que les dauphins aiment participer à des shows parce qu’«ils sourient». C’est une illusion. La captivité est quelque chose d’horrible et d’injuste. Les dauphins tombent malades, manquent de place, sont privés de leur famille, souffrent de dépression, deviennent fous.»
Porter la «voix» des animaux et des écosystèmes
Dénoncer, mais surtout sensibiliser, inspirer et éduquer, notamment les jeunes: ce sont les missions de sa fondation, Focused On Nature (FON), créée en 2014 et consacrée à la conservation et à la protection des espèces menacées ainsi que de leurs habitats. Ces trois dernières années, son budget oscille entre 1 et 2 millions de dollars.
Les espèces qui en bénéficient en particulier sont les cétacés, les requins, les tortues, les raies, les éléphants africains, les rhinocéros, «les loups en Amérique grâce à ma femme. Mais nos plus grands dons vont à la forêt équatorienne Chocó, menacée alors qu’elle contient une biodiversité et un endémisme inouïs, ainsi qu’à la forêt tropicale de Belize, où nous achetons notamment des terrains afin de les préserver des entreprises forestières et de l’industrie du café.»

Les jaguars font face à des menaces croissantes en Amazonie, en raison de la déforestation, de la perte de leur habitat et du braconnage. «Or, ils sont essentiels au fragile équilibre de l’écosystème amazonien.»
HUSSAIN AGA KHAN
Le philanthrope et son organisation développent également des matériaux éducatifs et des expositions, notamment sur la base du matériel récolté lors des expéditions photographiques. «Nous devons parler à la place des animaux et des écosystèmes, qui ne peuvent pas se défendre eux-mêmes.»
On pourrait lui rétorquer qu’il se fait porte-voix sans vraiment montrer l’exemple puisqu’il voyage en permanence en avion aux quatre coins de la terre… «C’est un dilemme auquel j’accorde beaucoup d’importance. Je ne pourrais pas montrer au public autant de biodiversité sans aller à sa rencontre. Je ne peux qu’espérer faire ma part, faire avancer les choses, sensibiliser le public, tout en agissant à mon échelle, par exemple en conduisant une voiture électrique et en prenant le train aussi souvent que possible.»
Et de citer Jane Goodall, célèbre primatologue et figure mondiale de la protection de l’environnement, à qui il s’était ouvert sur cette préoccupation: «Tu ne devrais absolument pas te sentir coupable de prendre l’avion pour prendre ces superbes photos. Car chacune d’elles touche les gens et les encourage à faire leur part pour sauver la planète.»
Questionnaire animalier
La rencontre qui vous a le plus marqué?
Il y a eu tellement de moments magiques, de rencontres étonnantes, tellement d’animaux touchants, c’est impossible de choisir! Cette tortue qui reste à mes côtés pendant plus de vingt minutes, ces phoques qui me grimpent sur le dos et tirent mes palmes, ces baleines joueuses qui me regardent dans les yeux avant de faire des pirouettes, cette rencontre avec la baleine à bosse Crazy George, qui avait pour habitude de soulever des personnes sur son nez. Ou encore ces deux dauphins qui jouaient avec nous et avec lesquels j’ai passé 2 h 55 en nageant plus de 3 kilomètres! Ce moment fait partie de quelques-unes des plus belles heures de ma vie.
Un animal que vous rêvez de rencontrer?
Les baleines franches en Patagonie (mais l’eau est très froide…). J’aimerais aussi voir le requin pèlerin, le requin des sables et le requin léopard (ou zèbre), ou encore les phoques gris en Angleterre, qui sont très joueurs et curieux.
S’il ne fallait choisir qu’une espèce menacée à protéger?
Mes amis blaguent souvent en disant que je devrais renommer mon association en «UNfocused On Nature» parce qu’elle n’est pas «focalisée», mais engagée dans la protection d’une multitude d’espèces différentes! On me dit aussi qu’elle aurait plus d’impact si on réduisait le nombre de bénéficiaires. Mais je ne peux pas imaginer réduire ou arrêter des dons envers l’un pour donner plus à un autre. Si nous devions rajouter du travail à FON je pense que ce serait la lutte contre le commerce illégal des espèces sauvages, auquel j’aimerais vraiment mettre fin.
Exposition à Bâle
L’exposition «Wildlife Photographer of the Year», qui célèbre cette année sa 61e édition, est organisée par le Musée d’histoire naturelle de Londres et récompense chaque année les plus belles photographies de nature. Les 100 plus belles images, dont celles du prince Hussain Aga Khan et de la Suissesse Leana Kuster, 17 ans, sont à découvrir au Musée d’histoire naturelle de Bâle jusqu’au 28 juin 2026. Des visites guidées et des after-hours sont également proposés.

Leana Kuster, 17 ans, de Männedorf en Suisse, a été sélectionnée pour sa photo d’un flamant rose immortalisé lors d’un voyage en Camargue.
LEANA KUSTER

Cette image a été prise par Wim Van den Heever, le grand gagnant du titre de photographe animalier de l’année. Il a immortalisé une hyène dans une ville fantôme de Namibie, où l’on trouvait autrefois une mine de diamants.
WIM VAN DEN HEEVER

Cette image d’un paresseux a été prise au Costa Rica, après que l’animal a créé un embouteillage en traversant la route. Pour le photographe, elle représente le contraste entre le monde sauvage et domestique.
EMMANUEL TARDY
Aurélie Toninato est journaliste à la rubrique genevoise depuis 2010 et diplômée de l’Académie du journalisme et des médias. Après avoir couvert le domaine de l’Education, elle se charge aujourd’hui essentiellement des questions liées à la Santé.Plus d’infos
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