Relay sans Bolloré

L’Intermédiaire présente dès le début une certaine humilité : sa longue prise introductive évite le plan-séquence clinquant, et lui préfère une mise en tension stratégique, qui suit un personnage entrer dans un diner, dans l’attente d’un rendez-vous.

Ce qui compte ici, c’est la clarté de la topographie, à commencer par cette table au bord d’une vitrine qui permet d’observer le monde extérieur, quitte à être vu. En somme, tout le danger de (trop) voir dans un thriller paranoïaque. David Mackenzie se veut discret mais précis, à l’image de son personnage principal, Tom, un « fixer » qui organise des négociations entre des entreprises corrompues et des lanceurs d’alerte en devenir, qui préfèrent rétropédaler pour protéger leur vie.

C’est le cas de Sarah Grant, une chercheuse qui souhaite rendre un dossier prouvant une tentative de dissimulation venant du géant de la biotech qui l’avait embauchée. Faute d’une aide légale, on l’oriente vers ce système officieux, où la communication se fait intégralement par le Tri-State Relay, un centre relais téléphonique pour sourds et malentendants. Tom s’exprime par un clavier lié à son portable pour ne révéler ni sa voix ni sa position, et ses propos sont lus par l’un des « intermédiaires » du titre.

l'intermédiaire

« Aujourd’hui, tuto pour cacher sa webcam »

Une fois apprivoisées par Sarah, ces circonvolutions et ces filtres de la parole fascinent dans ce qu’ils révèlent ou non des deux interlocuteurs et de ce narrateur externe, qui change à chaque appel. L’Intermédiaire est tout d’abord un film de langage et de silences, dont la froideur du dispositif n’empêche pas totalement les émotions de passer ses multiples barrières. Sa première partie (la plus passionnante) réussit à habiter la méticulosité de Tom et le rythme hypnotique de ses gestes, qui ancrent la répétitivité de son quotidien.

Il y a évidemment du Coppola et du Pakula là-dedans, et Mackenzie impressionne par sa gestion de l’architecture new-yorkaise, qu’il filme les artères de la ville ou la foule étouffante de Times Square. Les appartements de ses deux héros sont approchés pour leurs angles droits marqués, faisant d’abord des murs ces rares forteresses de l’intimité. À moins qu’il ne s’agisse au contraire d’œillères qui bloquent leur regard.

Here We Go AgainAppel d’air

Loin du côté tentaculaire et indéfini des films des années 70, L’Intermédiaire a des menaces concrètes, qui ne se cachent plus d’avoir un visage. De ce point de vue là, le film assoit sa modernité en captant l’air du temps, et cette désillusion collective envers les grands entrepreneurs et les PDG de corporations surpuissantes, dont on ne doute jamais du potentiel machiavélique. Justement, la résistance à ce monde de techno bros et de privatisation à outrance passe d’une part par l’analogique, mais surtout par l’emploi des rares services « publics » encore à disposition des Américains.

Au-delà du Tri-State Relay, Tom fait appel aux services postaux gouvernementaux, dont les règles strictes et le respect de la vie privée protègent sa méthodologie. Cette mise en perspective rend le long-métrage plus malin qu’il n’y paraît, bien qu’il reste au fond un tout petit thriller, qui doit beaucoup à Riz Ahmed et Lily James.

Jake Sully vient passer une tête

Leur alchimie à distance nous fait accepter les évidences du récit sur la profonde solitude de son protagoniste mutique. Malgré quelques parenthèses où le scénario permet de sonder ses failles, l’ensemble reste relativement superficiel.

On reprochera surtout que L’Intermédiaire lâche sa structure volontairement rigide au profit d’un retour sur les bons rails du film à twist assez décevant et grossier. Si la mécanique implacable de Tom ne peut que se gripper, le long-métrage aurait pu explorer ces petites erreurs inévitables avec plus de subtilité.