Armin Papperger, son PDG, ne cache plus ses ambitions. «Nous voulons créer un champion européen capable de rivaliser avec les Américains», déclarait-il cet été à la presse allemande. Son objectif ? Multiplier le chiffre d’affaires par cinq d’ici à 2030, pour atteindre 40 à 50 milliards d’euros, contre 9,8 milliards aujourd’hui. Avec à la clé, d’abord, une transformation industrielle. Sur son fief historique d’Unterlüß, en Basse-Saxe, sa nouvelle usine robotisée produit 25000 obus de 155 mm par an et va grimper à 350000 unités d’ici à 2030. Entre la pose de la première pierre du site, qui équivaut à cinq terrains de football, et son entrée en production, il s’est écoulé quinze mois seulement.


De l’automobile aux équipements militaires


Cette croissance fulgurante, le conglomérat la doit surtout à un contexte exceptionnel. Après s’être placée durant des décennies sous la protection du parapluie américain, l’Allemagne a décidé d’augmenter fortement son budget dans la défense, pour contrer une menace russe et parer aux incertitudes de la politique militaire de Donald Trump. Rheinmetall aurait déjà capté 40 milliards d’euros d’investissements, dont un contrat d’artillerie de 8,5 milliards d’euros en 2024, un record. Son carnet de commandes explose, passant de 24,5 milliards d’euros en 2022 à 80 milliards d’ici à la fin de l’année.


Il y a dix ans, cet industriel, fondé en 1889 à Düsseldorf, réalisait encore la moitié de son activité dans l’automobile. Un secteur qui, aujourd’hui, n’en représente plus que 20% et pour lequel il sonde des repreneurs afin de financer son recentrage sur la défense. Il mène en parallèle une politique d’acquisitions ciblées afin d’accélérer sa diversification. Mi-septembre, il annonçait la reprise de la division navale du constructeur Lürssen, dont les 2100 salariés fabriquent, à Brème, des frégates, corvettes et patrouilleurs militaires.


Rheinmetall lorgne aussi ThyssenKrupp Marine Systems, fabricant de sous-marins, navires de surface et d’électronique maritime. Le groupe a par ailleurs des visées transatlantiques. Sa filiale American Rheinmetall Vehicles, implantée aux États-Unis, a noué un partenariat stratégique avec Lockheed Martin, avec qui il collabore sur les missiles et le chasseur F-35. Un autre accord a été signé avec la société Anduril [lire page 110], spécialiste des drones et des systèmes autonomes. Enfin, après l’usine de munitions d’Unterlüß, une deuxième serait déjà en projet dans un pays de l’Otan en Europe de l’Est.


Reconversion d’usines


Pour autant, cette croissance spectaculaire soulève des questions. La fièvre de commandes publiques, dont Rheinmetall bénéficie, va-t-elle se poursuivre ? Ce militarisme va-t-il perdurer avec les alternances politiques ? «Ce dont nous avons besoin, ce sont des contrats fermes sur le long terme, pour planifier et investir durablement», explique un cadre du site d’Unterlüß.


À cela s’ajoute un autre défi, celui de suivre les évolutions technologiques rapides du secteur (automatisation, IA, systèmes intégrés), qui nécessite des moyens financiers importants. Boris Pistorius, le ministre de la Défense, conscient de cette fragilité, assurait début septembre : «Nous voulons votre succès, car votre succès signifie la sécurité de notre pays.» «Il y a un vrai danger de surchauffe, alerte pourtant Christian Mölling, le directeur du programme Le futur de l’Europe à la Fondation Bertelsmann. Le groupe pourrait ne pas suivre le rythme de ses propres commandes, faute de capacités industrielles ou de main-d’œuvre qualifiée.» Sur ce dernier point, Rheinmetall indique avoir reçu 200 000 candidatures en 2024, dont de nombreux salariés de secteurs en difficulté, comme l’automobile. À Unterlüß, d’anciens employés de Continental ont ainsi retrouvé un emploi. Pour combler ses besoins, Rheinmetall projette même de reconvertir deux de ses usines automobiles, à Berlin et à Neuss, près de Düsseldorf, en sites hybrides produisant pièces automobiles et équipements de défense.


Pas si simple, rappelle Hans Christoph Atzpodien, le directeur du BDSV, le lobby des industriels de défense. «Pour les ingénieurs, qui ont accès à des données sensibles sur le fonctionnement du matériel militaire, une habilitation de sécurité est nécessaire. Celle-ci doit être demandée auprès du ministère de l’Économie, puis traitée par les offices régionaux de protection de la Constitution.» La procédure peut prendre jusqu’à un an. «Un changement d’emploi rapide est donc impossible», regrette-t-il.


Cela n’empêche pas Armin Papperger de viser encore plus haut. Convaincu que «le prochain champ de bataille sera au-dessus de nos têtes», il a annoncé la création d’une division spatiale dans le cadre d’une coentreprise dans la production de satellites militaires d’observation avec le finlandais Iceye. De fabricant de chars à géant technologique intégré, plus rien ne semble arrêter Rheinmetall.


Un budget bazooka pour son armée


En 2026, la Bundeswehr bénéficiera d’un budget record de 108,2 milliards d’euros, composé de 82,7 milliards d’euros de crédits classiques (en hausse de 20 milliards d’euros par rapport à 2025) et d’un « fonds spécial pour le réarmement » de 25,5 milliards d’euros. Cet effort, rendu possible grâce à la levée du frein à l’endettement en mars, permettra de prendre le relais du fonds spécial pour la Bundeswehr qui avait été attribué en février 2022 par le gouvernement d’Olaf Scholz (SPD) et, depuis, affecté en quasi-totalité. Les dépenses militaires devraient représenter environ 2,8 % du produit intérieur brut (PIB) en 2026 et pourraient monter à 3,5 % en 2029. L’Allemagne est désormais le pays européen investissant le plus massivement dans ses capacités militaires, loin devant la France. 


 


Une 3748Vous lisez un article du numéro 3748 de L’Usine Nouvelle – Novembre 2025

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