Xi Jinping a appelé Donald Trump pour clarifier sa position sur Taïwan. Décryptage d’un coup de fil où aucun mot n’est laissé au hasard: Pékin ne décolère pas contre le Japon et adresse, au passage, un message de fermeté à l’ensemble de ses partenaires.

L’initiative est chinoise. Xi Jinping a decroché son téléphone lundi soir, il a appelé Donald Trump et a relayé ses propos via les médias d’Etat, dont cette phrase:

« Le retour de Taïwan à la Chine est un élément important de l’ordre international d’après-guerre. »

Le choix des mots est fondamental à décortiquer. Ils sont lourds de sens.

Quand Xi Jinping parle de retour de Taïwan, il ne dit pas qu’il y a un futur à négocier, mais qu’il y a un passé à corriger.

Lorsqu’il lie Taïwan à « l’ordre international d’après-guerre », Xi utilise un narratif habile. Il rappelle qu’en 1943, dans la Déclaration du Caire, Churchill, Roosevelt et Tchang Kaï-chek avaient acté que les territoires saisis par le Japon, dont Formose (Taïwan), seraient « rendus à la République de Chine ». Cette Déclaration du Caire est explicite:

« Tous les territoires que le Japon a volés aux Chinois, tels que la Mandchourie, Formose et l’archipel des Penghu, seront restitués à la République de Chine. »

Pour Xi, contester aujourd’hui la position de Pékin sur Taïwan reviendrait donc à contester sa lecture de l’architecture de 1945, celle qui émerge des conférences de guerre, de la victoire contre le Japon et de la Charte des Nations unies.

Xi enferme ainsi les Occidentaux dans un piège narratif : selon lui, être fidèle à « l’ordre international d’après-guerre », c’est reconnaître que Taïwan doit revenir à la Chine.

L’ambiguïté historique assumée par Pékin

L’ambiguïté est volontaire. Ce que Xi ne rappelle jamais, c’est que la « République de Chine » évoquée dans les textes de l’époque n’est pas l’actuelle République populaire de Chine (communiste), mais bien le régime nationaliste de Tchang Kaï-chek. Ce gouvernement s’est réfugié à Taïwan en 1949, tandis que le continent tombait sous contrôle communiste. Pékin s’approprie pourtant aujourd’hui l’héritage juridique et symbolique de cette « République de Chine » pré-1949 pour légitimer sa revendication.

Les médias d’État chinois citent également Xi affirmant que « la Chine et les États-Unis ont combattu côte à côte contre le fascisme et le militarisme » et qu’il faut « préserver la victoire de la Seconde Guerre mondiale ».

Là encore, le choix des mots ne laisse rien au hasard. Quand Xi parle de « fascisme » et de « militarisme », il ne désigne pas l’Allemagne nazie, il vise le Japon. Il renvoie directement aux invasions de 1937, à l’occupation du nord et de l’est de la Chine, et au massacre de Nankin: près de 300.000 civils chinois tués, des généraux japonais condamnés après-guerre. Un traumatisme encore vif dans la mémoire chinoise.

Les tensions entre Pékin et Tokyo ressurgissent d’ailleurs régulièrement lorsque des responsables japonais se rendent au sanctuaire Yasukuni, près de Tokyo, où sont honorés des criminels de guerre condamnés après 1945. Shinzo Abe s’y était rendu en 2013. Sa successeure politique, la Première ministre Sanae Takaichi, continue d’y envoyer des offrandes rituelles, même si elle évite pour l’instant d’y apparaître publiquement.

Takaichi franchit une ligne rouge

Ce passé ressurgit lorsqu’au 7 novembre, Sanae Takaichi déclare que le Japon serait prêt à envoyer son armée (les forces d’autodéfense) si Pékin envahissait Taïwan. Pour Xi Jinping une ligne rouge a été franchie. Voir le Japon s’inviter ouvertement dans un scénario de guerre réactive tout l’imaginaire du militarisme nippon.

D’où une riposte immédiate: pression économique, campagne médiatique contre Takaichi, mais aussi rappel à l’ordre adressé aux partenaires étrangers. Pékin leur rappelle qu’ils ont tous signé des textes entérinant le principe d’ »une seule Chine ».

C’est dans ce contexte que Xi Jinping appelle Donald Trump. Il joue là encore sur l’ambiguïté historique: il évoque l’alliance de 1943 entre les États-Unis et « la Chine » contre le Japon (en réalité, la Chine nationaliste de Tchang Kaï-chek).

Le sous-entendu est clair: s’opposer Pékin sur Taïwan reviendrait à contester l’héritage de 1945. Pour Xi, si Washington cesse de considérer Taïwan comme faisant partie d’une seule Chine, ce n’est pas seulement Pékin qu’il défie, mais toute l’architecture de l’après-guerre.

Comment se positionne Donald Trump

Une fois n’est pas coutume, Donald Trump avance avec prudence. Lorsque Xi communique sur Taïwan, Trump, lui, parle de soja, de fentanyl et d’achats agricoles. Il évite soigneusement de répéter publiquement la moindre formule qui pourrait être interprétée comme une prise de position sur le statut de Taïwan.

Donald Trump a conscience de la fragilité de l’apaisement en court entre Washington et Pékin, et il a déjà fort à faire sur les terres rares, le déficit commercial et la course effrénée à l’Intelligence Artificielle.

Mais en arrière-plan, la posture américaine ne change pas: Taïwan demeure au cœur de la doctrine stratégique des États-Unis. Le Pentagone se prépare clairement à un potentiel conflit majeur en 2027, centenaire de l’Armée populaire de libération, échéance à laquelle Pékin pourrait être militairement prête à tenter une action contre Taïwan.

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