Il reste peu de traces de ce concert et pourtant ceux qui l’ont vécu s’en souviennent parfaitement.
Nous sommes le 13 juin 1998, la France baigne dans l’ambiance de la Coupe du monde de football, compétition qu’elle n’a plus accueillie depuis 1938. La veille, la bande à Aimé Jacquet a remporté son premier match (3-0 contre l’Afrique du Sud au stade Vélodrome) et Saint-Étienne s’apprête à recevoir ses premiers supporters internationaux le lendemain avec Yougoslavie-Iran, la première des six rencontres programmées au stade Geoffroy-Guichard.
« Saint-Étienne l’a rêvé, Jimmy Cliff l’a fait »
C’est dans cette atmosphère d’excitation que le Ricard Live Music Tour s’arrête à la plaine Achille. En guest-stars : Diana King et Jimmy Cliff. La nuit n’est pas encore tombée et sur le parvis du Palais des spectacles, des milliers de Stéphanois attendent le roi du reggae : « 20 h 30, la foule est clairsemée, peut-on lire sur nos archives. Pourtant, tout est réuni pour que la fête soit réussie. Reste l’inconnue météorologique. Depuis quatre jours en effet, c’est le ciel qui fait la pluie et le beau temps pour la Coupe du monde à Saint-Étienne. Les nuages laissaient présager une catastrophe, mais finalement lorsque Diana King démarre son show à 21 heures, tout se passe plutôt bien, la foule continue de venir et le parking se remplit copieusement. »
Pour sa première tournée en France, l’artiste jamaïcaine chante Shy Guy, titre utilisé dans la bande originale du film Bad Boys (de Michael Bay, 1995). Elle reprend même la BO de Titanic (NDLR : sorti en France le 7 janvier 1998) avant que la légende caribéenne n’arrive sur scène. « Le reggae traditionnel de Jimmy Cliff fait toujours recette et dès son entrée sur scène, l’ovation est unanime, décrit notre journaliste. La magie s’est opérée… Ils sont maintenant plus de 20 000 à l’acclamer. De Melody Tempo Harmony à Many Rivers to cross, il enflamme, réchauffe et séduit les Stéphanois présents pour ce grand rendez-vous de la Coupe du monde. Saint-Étienne l’a rêvé, Jimmy Cliff l’a fait. » Le concert (gratuit) marque les esprits : « Jimmy “king” Cliff lance le Mondial » titre notre quotidien.
« Je pense que la Jamaïque peut gagner la Coupe du monde (rires) »
En faisant gagner des CD, des tee-shirts et des casquettes en amont de la représentation, La Tribune-Le Progrès s’est beaucoup impliqué dans la promotion de ce spectacle. Notre confrère David Tapissier avait même pu interviewer l’icône jamaïcaine quelques heures avant le concert. Au cours de l’entretien, Jimmy Cliff avait évoqué sa musique (« j’ai évolué mais je reconnais que le reggae des années 1970 était celui qui captait vraiment l’esprit des gens ») mais surtout le ballon rond et son attachement aux « reggae-boys » (NDLR : surnom donné footballeurs jamaïcains) : « Je trouve que l’équipe est bonne et je pense qu’elle peut gagner la Coupe du monde (rires). Nous sommes un gros outsider et personne ne nous prend au sérieux. » Il avait expliqué à quel point cette compétition avait soudé ses compatriotes : « Les “reggae-boys” ont déjà changé quelque chose puisqu’ils sont parvenus à réunir les gens. Les Jamaïcains sont très branchés politique et maintenant ils se rassemblent grâce au football. Ça, c’est le changement social, mais vous avez également le changement économique : nous encaissons de la pub, nous accueillons des touristes donc c’est bon pour l’économie. »
Troisième de son groupe, la Jamaïque n’a finalement pas passé le premier tour du 16e Mondial organisé par la FIFA. Mais les spectateurs présents à la plaine Achille le 13 juin 1998 n’oublieront jamais la reggae night stéphanoise offerte par la légende de la musique disparue lundi à l’âge de 81 ans.
Bernard Lavilliers : « Il était impressionnant sur scène »
Le 30 mai 1995, les radios diffusaient pour la première fois une chanson qui a traversé le temps : Melody Tempo Harmony. Un titre sur le pouvoir de la musique, l’amitié, l’injustice et la solidarité enregistré par Bernard Lavilliers et Jimmy Cliff. Ce titre figure sur la réédition d’album Champs du possible publié en 1994. Lundi, le chanteur-baroudeur stéphanois s’est confié à France Info sur sa relation avec l’artiste jamaïcain : « C’était une légende vivante […] Il était extrêmement travailleur et répétait beaucoup. »
Bernard Lavilliers considérait Jimmy Cliff comme l’un des « grands auteurs-compositeurs jamaïcains qui ont fait tourner cette musique autour du monde […] Il était impressionnant sur scène et avait une grande connaissance, comme Bob Marley, du reggae et de ses origines ».