Dans un laboratoire de l’Université du Massachusetts, des chercheurs viennent de franchir une étape que beaucoup considéraient encore comme de la science-fiction. Des souris exposées à trois des cancers les plus redoutables – mélanome, cancer du pancréas et cancer du sein triple négatif – ont non seulement survécu, mais sont restées totalement exemptes de tumeurs pendant des mois. Le secret ? Des particules invisibles à l’œil nu qui réapprennent au système immunitaire à faire ce qu’il aurait toujours dû savoir faire : reconnaître et éliminer le cancer avant même qu’il ne s’installe.

Un super adjuvant qui réveille les défenses naturelles

Le terme « vaccin anticancéreux » évoque depuis des décennies un espoir lointain, presque utopique. Pourtant, l’équipe dirigée par Prabhani Atukorale, professeure d’ingénierie biomédicale, a mis au point une approche radicalement différente des tentatives précédentes. Leur arme secrète repose sur des nanoparticules conçues comme un « super adjuvant », capable d’orchestrer une symphonie immunitaire complexe.

Contrairement aux adjuvants classiques qui se contentent de donner un coup de fouet général au système immunitaire, cette formulation active simultanément plusieurs voies de défense. Elle administre de manière stable deux types distincts d’antigènes – ces signaux moléculaires qui permettent au corps d’identifier l’ennemi. En combinant cette activation multi-voies avec des marqueurs spécifiques du cancer, les chercheurs ont réussi à bloquer la croissance tumorale avec une efficacité stupéfiante.

Des résultats qui défient les statistiques habituelles

Les chiffres parlent d’eux-mêmes et bouleversent les attentes. Lors du premier essai portant sur le mélanome, 80 % des souris vaccinées avec ces nanoparticules sont restées en parfaite santé pendant 250 jours après avoir été exposées aux cellules cancéreuses. Dans le groupe témoin – comprenant les souris vaccinées avec des formulations traditionnelles ou non vaccinées – le taux de survie était de zéro. Aucune n’a dépassé 35 jours.

Cette disparité brutale illustre le gouffre qui sépare cette nouvelle approche des méthodes conventionnelles. Mais ce n’est pas tout. Les souris protégées par les nanoparticules ont également échappé aux métastases pulmonaires, ce fléau qui constitue la véritable épée de Damoclès suspendue au-dessus des patients atteints de cancer.

souris cancerCrédit : ViktorCap/istock

Cibler le véritable tueur : les métastases

Griffin Kane, co-auteur de l’étude, ne mâche pas ses mots : « Les métastases constituent le principal obstacle au cancer, quel que soit le domaine d’étude. » Cette affirmation reflète une réalité clinique implacable. La grande majorité des décès liés au cancer ne provient pas de la tumeur originelle, mais de sa capacité à essaimer dans d’autres organes vitaux.

Cette dissémination rend particulièrement redoutables des cancers comme le mélanome ou l’adénocarcinome pancréatique, qui peuvent rapidement coloniser des zones difficiles d’accès. Or, le vaccin à nanoparticules a démontré une capacité remarquable à empêcher complètement cette propagation chez les souris traitées. C’est précisément ce verrou qui pourrait transformer radicalement le pronostic de maladies aujourd’hui considérées comme parmi les plus meurtrières.

Une formulation adaptable à différents cancers

L’équipe a d’abord testé son système avec des antigènes peptidiques correspondant précisément au mélanome. Si cette approche ciblée a fonctionné, elle présente un inconvénient majeur : développer des antigènes sur mesure pour chaque type de cancer exige un séquençage génomique complet et des analyses bioinformatiques extrêmement complexes.

Les chercheurs ont donc exploré une alternative ingénieuse : utiliser des lysats tumoraux, c’est-à-dire des cellules cancéreuses inactivées prélevées directement sur la masse tumorale. Cette stratégie simplifie considérablement le processus tout en conservant l’efficacité. Les résultats des tests ultérieurs le confirment : 88 % de protection contre le cancer du pancréas, 75 % contre le cancer du sein triple négatif, et 69 % contre le mélanome.

Ces trois pathologies représentent des défis médicaux de premier plan. Le mélanome devrait toucher environ 105 000 nouveaux patients aux États-Unis cette année seulement. L’adénocarcinome canalaire pancréatique reste l’une des formes de cancer les plus agressives. Quant au cancer du sein triple négatif, il se distingue par sa résistance aux thérapies hormonales classiques et son évolution souvent rapide.

Le mécanisme cellulaire derrière le succès

Le secret de cette efficacité réside dans l’activation intense des cellules immunitaires innées. La formulation provoque chez ces sentinelles de première ligne une réaction en chaîne : elles présentent les antigènes tumoraux et activent massivement les lymphocytes T spécifiques. Ces soldats d’élite du système immunitaire acquièrent alors la capacité de reconnaître et d’éliminer les cellules cancéreuses avec une précision chirurgicale.

Cette reprogrammation immunitaire génère des réponses durables et spécifiques à chaque tumeur, expliquant les taux de survie exceptionnels observés. Le corps apprend véritablement à se défendre lui-même contre le cancer, transformant le système immunitaire en garde du corps permanent.

De la prévention au traitement : les prochaines étapes

Ces résultats préventifs s’inscrivent dans la continuité de travaux antérieurs qui avaient déjà montré la capacité de ces nanoparticules à réduire, voire éliminer des tumeurs existantes chez la souris. L’équipe prévoit désormais d’étendre cette technologie vers un vaccin thérapeutique, capable non seulement de prévenir mais aussi de traiter des cancers déjà déclarés.

Bien entendu, le chemin vers l’application humaine reste long. Des études complémentaires seront indispensables pour évaluer si ces résultats spectaculaires chez la souris se confirment chez l’homme. Mais pour la première fois depuis longtemps, l’idée d’un vaccin qui apprendrait au corps à rejeter le cancer avant même qu’il ne devienne menaçant ne relève plus du fantasme scientifique.