Du rappeur Ninho à la poétesse Marie de France, des enseignants d’un établissement des Hauts-de-Seine utilisent la musique qu’écoutent leurs élèves pour mieux capter leur attention.

Sean Mitrail prend le micro devant sa classe Ulis, qui accueille des enfants présentant des difficultés d’apprentissage. D’ordinaire timide, il se lance dans un rap : « quand je joue au basket, je deviens un démon/ Je suis martiniquais, je suis guadeloupéen ».

« Si tu es triste ou fâché, parfois heureux, tu le dis en musique, ça te fait du bien », et « ça m’aide à me concentrer », explique le grand garçon de 16 ans en sweatshirt à capuche. Le rap est une musique « qu’ils écoutent tous les jours du coup ils adhèrent beaucoup plus que lorsqu’on leur propose un exercice » classique, comme en conjugaison, explique Aymeric Béranger, enseignant de cette classe du collège Alfred de Vigny à Courbevoie (Hauts-de-Seine).

Si les mots sont différents par rapport au Moyen-Âge, l’objectif est toujours le même : séduire la dame

Un élève du collège, en parlant du rappeur Ninho

Le professeur voit ses élèves, pour la plupart autistes, prendre confiance en eux et mieux réussir à s’exprimer grâce à la musique. Il a été converti au hip-hop en pédagogie par sa collègue Marie-Gaétane Anton. Celle-ci, qui enseigne le français dans le même établissement, est en pleine étude avec une classe de 5e, entre une chanson du rappeur Ninho, Lettre à une femme, et un texte d’amour courtois de Marie de France datant du XIIe siècle, Le Lai de Lanval. « Si on n’avait étudié que l’amour courtois », le cours « ne m’aurait pas intéressée autant », admet Aliyah Abderrezak, interrogée par l’AFP. Son camarade de classe Noé Elghani observe que si « les mots sont différents par rapport au Moyen-Âge, l’objectif est toujours le même : séduire la dame ».

Nekfeu, suivi de Lamartine

Marie-Gaétane Anton a commencé il y a quelques années à introduire un peu de rap dans ses cours. « J’ai mis un texte de Nekfeu , Galatée, que les jeunes écoutaient beaucoup, en parallèle avec Le lac de Lamartine. Ça a été le moment de rupture dans ma pratique, parce que jamais ils n’ont autant travaillé ». Elle a ensuite créé le podcast « Passe ton rap d’abord », pendant lequel ses élèves présentent en audio leurs analyses de textes de chanson de hip-hop.

Le rap « crée des ponts et peut réduire des distances réelles ou symboliques entre les élèves et les professeurs, entre les élèves et la société », juge Ismaël Metis, un auteur et interprète de hip-hop qui intervient beaucoup en milieu scolaire. Parfois, il fait juste travailler les élèves sur un texte, puis quand il dispose d’un peu plus de temps, il les amène à « écrire, créer des morceaux, apprendre à dire, à parler devant le public, etc. Il y a plein de compétences qui vont se développer », raconte-t-il.

Marie-Gaétane Anton a aussi vu la passion pour la musique de certains élèves en quasi-décrochage scolaire les ramener vers l’école. Elle est toutefois consciente qu’il faut « doser ce genre d’enseignement et ne pas faire que du rap ». La pédagogie hip-hop est aussi adoptée par certains enseignants en mathématiques, comme l’a fait Radouane Abassi avec des vidéos de leçons rappées sur le théorème de Pythagore par exemple, ou Antoine Carrier, avec ses vidéos RapéMathiques, ou encore en éducation civique, etc.

Une pédagogie née en Amérique

Émilie Souyri, qui enseigne la culture états-unienne à l’Université Côte d’Azur, s’en sert au début de presque chacun de ses cours. « Ça m’a permis d’aborder énormément de thèmes, de l’hyper-consumérisme à la santé mentale, en passant par le sexisme, le racisme, les violences policières, etc », explique-t-elle à l’AFP.

Cette pédagogie qui se revendique « critique » et « décoloniale », est née dans les années 70 au Brésil puis aux États-Unis. Elle a pour philosophie un enseignement qui se veut plus égalitaire où la culture de l’élève est valorisée, notamment l’histoire et la société « vue par les minorités », et non plus seulement les « savoirs patrimoniaux », détaille Marie-Gaétane Anton.

Si les études hip-hop sont déjà très établies aux États-Unis, elles sont encore en train d’essaimer en France et ailleurs. « Il y a maintenant tout un réseau d’études de hip-hop qui se constitue en Europe », souligne Émilie Souyri, avec pour 2027 un festival de pédagogie hip-hop en préparation à Nice. Marie-Gaétane Anton, travaille pour sa part à l’élaboration d’un manuel scolaire pour aider d’autres enseignants à s’approprier cette pédagogie.