La neutralité militaire, consubstantielle à l’identité de la république d’Irlande, devient un problème pour toute l’Europe. Privé de marine jusqu’en 1946, le pays ne dispose aujourd’hui que de quatre navires de guerre opérationnels. Par ailleurs, il est dépourvu des infrastructures nécessaires pour recevoir des renseignements classifiés de ses alliés de l’OTAN, dévoile le Financial Times après s’être entretenu avec plusieurs officiers de marine européens.

« L’Irlande abrite des géants de la tech, de l’industrie pharmaceutique et [de la donnée], ce qui fait de nous une cible à haute valeur ajoutée », explique Cathal Berry, ex-député et ancien numéro deux de l’Army Ranger Wing, principale unité des forces spéciales irlandaises. « Nous sommes membres de l’Union européenne, mais pas de l’OTAN… Si l’on voulait faire pression sur l’Union européenne, la frapper sans craindre de représailles de l’OTAN, l’Irlande serait [l’endroit idéal]. »

Chérie, ça va couper

La semaine dernière, le navire-espion russe Yantar a été aperçu au large de l’Écosse, faisant route vers les eaux irlandaises, et s’amusant au passage à éblouir les aviateurs de la Royal Air Force britannique avec des lasers. Le Yantar est opéré par la Direction principale de la recherche en eaux profondes (GUGI), l’une des unités les plus secrètes de la Flotte maritime militaire de Russie. Il est chargé de cartographier, surveiller et espionner les câbles sous-marins.

« Aujourd’hui, les 3/4 des câbles sous-marins de l’hémisphère nord traversent le vaste territoire maritime [de l’Irlande], dont la superficie représente plus de dix fois celle de ses terres émergées, rappelle le Financial Times. Tout dommage causé à ces infrastructures pourrait perturber les marchés financiers en Europe et aux États-Unis et provoquer une panne d’internet massive, affectant les foyers, les hôpitaux, les banques et les entreprises. »

Bérézina en haute mer

Dépourvue de radars, de sonars et de submersibles adaptés, l’armée irlandaise est « [quasiment incapable] » de protéger les câbles sous-marins, alerte l’officier de marine Caoimhín Mac Unfraidh, une trentaine d’années de carrière militaire au compteur. Pour son alimentation en énergie, l’Irlande dépend aussi d’infrastructures sous-marines : oléoducs, gazoducs, câbles électriques. S’ils venaient à être attaqués, le pays serait rapidement plongé dans le noir.

« La capacité de l’Irlande à surveiller les activités russes est compromise par l’absence d’un service de renseignement dédié, ajoute le quotidien britannique. La sécurité est assurée par une branche de la Garda Síochána (police irlandaise) et un service de renseignement militaire au sein des forces de défense. » Le pays est donc dépourvu d’habilitations de sécurité et de communications sécurisées au-delà du niveau « secret », ce qui empêche ses alliés de lui partager du renseignement.

Avec 1,5 milliards d’euros en 2026 (un record), le budget militaire irlandais, qui représente à peine 1% du PIB, est l’un des plus faibles du continent, notamment en raison de la tradition de neutralité militaire du pays. Également sous la menace des intrusions de drones qui se multiplient en Europe, Dublin envisage d’appeler en renfort, lors de sa présidence de l’UE qui démarrera en juillet 2026… une frégate française.