Réchauffement climatique, pollution, dégradation des sols, déforestation ou encore érosion de la biodiversité: autant de conséquences des activités humaines qui bouleversent notre planète depuis plusieurs décennies. En 1992, le scientifique néerlandais Paul Crutzen ancrait ces chamboulements en élaborant le concept d’«Anthropocène», une nouvelle époque géologique succédant à l’Holocène, débutant au moment où l’influence de l’homme sur la Terre se faisait plus significative.
Certains chercheurs sont depuis allés plus loin. Les Américaines Donna Haraway et Anna Tsing parlent, elles, de «Plantacionocène», une période marquée par l’exploitation intensive et massive de la biosphère. Le géographe suédois Andréas Malm évoque quant à lui le concept de «Capitalocène», arguant que c’est le système capitaliste qui est responsable des dérèglements environnementaux actuels.
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Alors que l’industrialisation et l’essor technologique continuent à puiser des ressources et à fragiliser notre écosystème, un nombre croissant de recherches révèle que la biologie humaine pâtit de ces mutations profondes. Qu’il s’agisse de problèmes de santé chroniques, liés au stress, ou de santé publique imputables à la pollution ambiante, notre environnement artificialisé semble désormais nous mettre en danger.
Selon une nouvelle étude relayée par New Atlas, l’homme n’est pas conçu pour vivre au rythme effréné de nos sociétés industrialisées et les changements environnementaux de l‘Anthropocène ont un impact sur la santé générale des Homo sapiens. Des chercheurs de l’Université de Zurich (Suisse) ont synthétisé des données concernant l’industrialisation, l’urbanisation et la santé. Pour eux, il n’y a aucun doute: l’homme moderne n’a pas eu le temps de s’adapter aux transformations de ces dernières décennies. Baisse des taux de fertilité, hausse des maladies inflammatoires chroniques, autres phénomènes de santé chroniques, voilà autant de signes que nous peinons de plus en plus à vivre sur Terre depuis la Révolution industrielle.
Le stress des temps modernes tue
Le passage des sociétés de chasseurs-cueilleurs –habituées à des stress ponctuels mais naturels– à des villes saturées de stimuli a profondément altéré nos réponses corporelles. Bruit incessant, pollution, microplastiques, pesticides, lumière artificielle ou encore aliments ultra-transformés: des facteurs auxquels Homo sapiens n’est pas adapté.
De nombreuses études montrent que le niveau de stress chronique de nos sociétés perturbe les systèmes endocriniens, aggrave l’anxiété, favorise les maladies chroniques et réduit l’espérance de vie. Le paradoxe est cruel: si nous avons généré confort, progrès médical et abondance, certains de ces acquis détériorent en fait nos fonctions immunitaires, cognitives, physiques et reproductives.
Une prise de conscience trop limitée
Les scientifiques avancent que les progrès en génomique montrent que nous nous adaptons pourtant rapidement, révélant l’extraordinaire plasticité du génome humain. « Nous avons colonisé des environnements extrêmes et les avons transformés en habitats. Nous sommes extrêmement adaptables», rassure Karin Broberg de l’Institut Karolinska de Stockholm (Suède).
Une adaptation biologique qui reste malgré tout trop lente. Pour atteindre les changements génétiques nécessaires, il nous faudrait des dizaines, voire des centaines de milliers d’années, expliquent les chercheurs. Pour atténuer l’impact de notre environnement sur la santé, il est désormais nécessaire de repenser notre relation à la nature, en construisant des environnements plus écologiquement durables. Un rythme qui semble malheureusement incompatible avec l’emballement de nos sociétés industrialisées.
À une époque où la pression sur les ressources naturelles est en constante augmentation, alimentée par des logiques économiques de maximisation des profits, difficile en effet d’imaginer un changement total de paradigme. La récente conférence de la COP30, à Belém (Brésil), est peu rassurante et l’accord trouvé bien insuffisant.
Pourtant, Colin Shaw, co-auteur de l’étude, garde espoir: il est encore temps selon lui de sauver notre planète et, ainsi, de nous sauver. Pour cela, il faudra opérer une transformation à la fois culturelle et environnementale. «Nous devons reconsidérer la nature comme un facteur de santé essentiel, protéger des espaces proches de ceux où ont évolué nos ancêtres, et transmettre ces connaissances aux décideurs», alerte-t-il.
Selon lui, il faudra concevoir des villes plus durables et des espaces naturels vivables, tout en encourageant les populations à passer davantage de temps dans la nature.