ON connaît les réserves de pêche, zones naturelles d’intérêt écologique et sites Natura 2.000. Dans les Alpes-Maritimes, alors que se prépare le sommet de l’océan (Unoc) en juin, le projet d’aire marine protégée dans la partie niçoise de la baie des Anges est plus que jamais sur la table.

Une volonté à la dimension politique indéniable. « Le contexte international était déjà très présent en 2020, quand j’ai commencé à coordonner le projet, nuance Aurore Asso. On ne parlait pas de l’Unoc à Nice, mais des ODD, objectifs de développement durable pour le milieu marin! » La conseillère municipale niçoise, et ex-championne d’apnée française, défend l’idée d’une « vie commune entre les Hommes et la mer », en admettant que la difficulté est « décuplée pour une ville de 350.000 habitants, comme Nice ».

Alors, que reste-t-il à protéger là où les espèces naturelles, comme les milieux, n’ont cessé de régresser sous la pression des activités humaines?

La nuit, les poissons de fond


Le laboratoire Ecoseas de l’Université Côte d’Azur a conduit des inventaires de biodiversité dans la partie niçoise de la baie des Anges. Images Sylvain Roblet et Gilles Gambini, Laboratoire Ecoseas Universite Côte d’Azur Photo Sylvain Roblet, Laboratoire Ecoseas Universite Côte d’Azur.

Le chercheur Benoît Dérijard connaît bien ces eaux. « Cette zone n’est pas dénuée d’intérêt, défend l’écologue au laboratoire Ecoseas à l’Université Côte d’Azur. Nous en avons fait l’inventaire de biodiversité, depuis l’embouchure du Var, jusqu’à la limite de Villefranche-sur-Mer. » Poulpes, seiches, raies, mollusques et gastéropodes peuplent ces eaux.

« La nuit, vous y voyez plein de poissons de fond qui viennent chasser. » Avec de vastes étendues sableuses, le secteur n’est pas des plus riches, mais « il y a un intéressant herbier de cymodocées », ces plantes à fleurs qui servent d’habitat aux jeunes poissons et stockent le carbone.

« Les plus jolis », aux yeux du scientifique, sont les secteurs rocheux comme Rauba Capeu, « des refuges où les juvéniles de toutes les espèces se régalent et peuvent se planquer dans les anfractuosités, à l’abri des prédateurs ». Leur protection est une priorité.

Plus à l’ouest par contre, les fonds se résument à un plateau artificiel de plusieurs kilomètres, gagné sur la mer, pour construire les pistes de l’aéroport de Nice. Est-ce un contresens d’y localiser une aire marine protégée? « Les gravats ont été colonisés, c’est assez poissonneux, nuance le chercheur. C’est d’ailleurs la zone la plus pêchée. » « Oui, le paradoxe, c’est qu’il y a de la vie », enchaîne Aurore Asso.

Autre site étonnant, « des tombants de coralligène « , décrit l’élue. « En plein cœur de ville, devant le boulevard de la Promenade des Anglais, c’est incroyable, d’avoir cette richesse. » Ils font partie des écosystèmes les plus riches.

Comment juxtaposer dans une même aire marine protégée des sites de valeur écologique si disparates? « Faut-il faire des aires marines protégées dans des sites sanctuaires que l’Homme n’a jamais touchés? réagit Aurore Asso. Ou bien dans des sites anthropisés? Les deux, il faut faire les deux. Nous n’avons pas d’autre choix. Mais bien sûr, ce ne seront pas les mêmes gestions. « 

Protection variable


Image Gilles Gambini Laboratoire Ecoseas Universite Côte d’Azur.

D’ores et déjà, le principe d’une protection à des degrés variables semble acté. « Ces périmètres [en train d’être définis] pourront être effectivement divisés en sous-périmètres à niveaux différents de protection », expose la préfecture maritime en Méditerranée. Et donc ne produiront pas les mêmes effets.

Dans son ambition de protéger 30% de ses espaces maritimes, dont 10% en protection forte d’ici 2030, la France est très en retard. Sur le papier, un quart des eaux de la façade méditerranéenne est couvert par une aire protégée, d’un type ou d’un autre (1). Mais les zones de protection forte ne sont qu’une goutte d’eau, avec 0,22% de cet espace maritime.

« Si vous choisissez une zone propice, et que vous la protégez, en quatre ou cinq ans, vous allez multiplier la biomasse des poissons par cinq, voire par sept, souligne Benoît Dérijard. Et des zones riches, sur tout le littoral il y en a plein. » Au bénéfice d’une biodiversité qui peut ensuite prospérer, bien au-delà.

1. Rapport de l’UICN, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature, 2022, chiffre hors Pelagos.