• Berlin se prépare à une possible guerre avec Moscou.
  • Le « Wall Street Journal » révèle une partie d’un plan élaboré pour ce cas de figure.
  • Ce document de 1.200 pages détaille notamment le transport, vers l’est du pays, de près de 800.000 soldats allemands, américains et d’autres pays de l’Otan.

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Réarmement : l’Europe mise au défi

Depuis des mois, les sabotages d’infrastructures et vols de drones (nouvelle fenêtre) imputés à la Russie se multiplient en Allemagne comme ailleurs en Europe. Des faits qui nourrissent la peur d’une confrontation militaire directe avec Moscou. Dans un contexte de réarmement européen dont il veut être le fer de lance, Berlin se prépare même à une possible guerre avec la Russie. Le Wall Street Journal (WSJ) (nouvelle fenêtre) a révélé mercredi 26 novembre une partie du contenu d’un document classifié de 1.200 pages. 

Ce plan, connu dans les milieux militaires sous le nom d’OPLAN DEU, a été élaboré par une douzaine d’officiers supérieurs allemands il y a deux ans et demi dans un complexe militaire de Berlin, la caserne Julius Leber. Il révèle notamment comment jusqu’à 800.000 soldats allemands, américains et d’autres pays de l’Otan dont la France seraient acheminés vers l’est du pays, en direction de la ligne de front, dans l’optique d’un conflit avec la nation de Vladimir Poutine. Il cartographie les ports, les fleuves, les voies ferrées et les routes qu’ils emprunteraient, et indique comment ils seraient approvisionnés et protégés en cours de route.

« Les menaces sont réelles », alerte le chancelier

Les responsables allemands ont déclaré s’attendre à ce que la Russie soit prête à attaquer l’Otan en 2029. Cependant, la série d’incidents récents, dont beaucoup sont attribués à Moscou par les services de renseignement occidentaux, laisse penser qu’elle pourrait se préparer à une attaque plus tôt. « Le but est de prévenir la guerre en faisant clairement comprendre à nos ennemis que s’ils nous attaquent, ils n’y parviendront pas », a déclaré au Wall Street Journal un officier supérieur, l’un des auteurs de ce document toujours d’actualité. « Les menaces sont réelles », a prévenu le chancelier allemand, Friedrich Merz, face aux chefs d’entreprise, en septembre dernier. « Nous ne sommes pas en guerre, mais nous ne vivons plus en temps de paix. »

« Si l’Allemagne est appelée à devenir la plaque tournante de l’Otan, alors, en tant qu’ennemi, je la ciblerais : bloquer les ports, couper l’électricité, perturber le trafic ferroviaire », a déclaré au WSJ Paul Strobel, responsable des affaires publiques de Quantum Systems, une entreprise de drones de surveillance.

Des exercices de préparation

Les efforts déployés pendant des années pour remettre l’Allemagne en état de combattre ont commencé quelques jours après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022, lorsque le chancelier allemand de l’époque, Olaf Scholz, a dévoilé un fonds de réarmement de 100 milliards d’euros. Plus tard dans l’année, la Bundeswehr créa un commandement territorial chargé de diriger toutes les opérations sur le territoire national et confia à son commandant, le lieutenant-général André Bodemann, vétéran du Kosovo et d’Afghanistan, la rédaction du plan d’opérations.

Plusieurs chantiers ont déjà été lancés dans cette optique de préparation à un éventuel conflit. Cet automne, l’entreprise de défense Rheinmetall a ainsi installé un camp de campagne provisoire dans l’est du pays, pouvant accueillir 500 soldats pour une nuit, comprenant dortoirs, stations-service, système de surveillance par drones et gardes armés afin de détecter toute influence russe ou chinoise. Il a été monté en quatorze jours et démonté en sept. En outre, Rheinmetall a récemment signé un contrat de 260 millions d’euros pour le ravitaillement des troupes allemandes et de l’Otan, dans le cadre des efforts déployés par l’armée pour intégrer davantage le secteur privé à ce plan.

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Fin septembre dernier, un exercice militaire baptisé Red Storm Bravo s’est en outre déroulé à Hambourg, dans le nord du pays, afin de tester la coopération entre la Bundeswehr et les services de police, de pompiers et de protection civile. Le scénario était une simulation d’opération : 500 soldats de l’Otan devaient débarquer au port pour former un convoi de 65 véhicules se dirigeant vers l’est à travers la ville. Ils devraient repousser les tentatives de blocage du port, les attaques de drones et les manifestations.

Un changement radical des mentalités

Au cours de ces diverses opérations de préparation, Berlin a identifié plusieurs obstacles. Parmi eux figurent des lois contraignantes sur la protection des données ou encore une législation obsolète, héritée d’une époque plus pacifique. Par exemple, le fait que les drones vendus à l’armée allemande ne peuvent pas survoler les zones urbanisées, relate le WSJ.

Par ailleurs, les infrastructures allemandes sont parfois datées, héritées de la guerre froide et pas toujours utilisables. Ainsi, Berlin estime que 20% des autoroutes et plus d’un quart des ponts autoroutiers nécessitent des réparations en raison d’un sous-investissement chronique. Les ports allemands de la mer du Nord et de la mer Baltique, eux, nécessitent des travaux d’une valeur de 15 milliards d’euros. À long terme, Berlin prévoit d’investir 166 milliards d’euros d’ici 2029 dans les infrastructures, dont plus de 100 milliards pour le réseau ferroviaire, longtemps négligé, et de privilégier les infrastructures à double usage.

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La mise en œuvre de ce plan exige aussi un changement radical des mentalités, impliquant l’abandon de près d’une génération d’habitudes. « Nous devons réapprendre ce que nous avons désappris », a indiqué au WSJ Nils Schmid, vice-ministre de la Défense. « Il nous faut faire appel à des retraités pour qu’ils nous expliquent comment nous procédions autrefois. » 

Julien CHABROUT