• La SNCF a annoncé jeudi le lancement d’une liaison TGV Ouigo Lyon-Bordeaux via l’Île-de-France.
  • Le Massif central ne sera donc pas traversé.
  • Cette décision mécontente des voyageurs et des élus d’Auvergne-Rhône-Alpes qui s’estiment mal traités par l’entreprise ferroviaire.

Une ligne de train TGV entre Bordeaux et Lyon qui va passer… par l’Ile-de-France. La SNCF a annoncé jeudi 27 novembre le lancement d’une liaison TGV Ouigo Lyon-Bordeaux via la gare de Massy TGV, dans l’Essonne. « Nous ouvrirons une liaison Lyon-Bordeaux au plus tard mi-2027 avec des arrêts prévus à Massy en Ile-de-France, Saint-Pierre-des-Corps près de Tours, Poitiers et Angoulême », a déclaré à la presse Jérôme Laffon, directeur Ouigo au sein de SNCF Voyageurs.

Cette ligne entre deux des principales métropoles françaises se matérialisera par un aller-retour journalier toute l’année, pour un temps de parcours d’environ cinq heures, a précisé SNCF Voyageurs dans un communiqué (nouvelle fenêtre). La SNCF compte ainsi « répondre à une demande », comme l’a expliqué à l’AFP le nouveau PDG de la SNCF, Jean Castex, en début de semaine.

Sur la future ligne Bordeaux-Lyon, qui empruntera donc des lignes ferroviaires existantes déjà très utilisées par les voyageurs, Jérôme Laffon vise à terme un million de voyageurs par an. La SNCF compte prendre des passagers aussi bien à l’aérien qu’aux bus ou aux voitures, alors que des vols quotidiens entre Bordeaux et Lyon existent, pour un trajet d’un peu plus d’une heure. « On s’engage sur une bataille modale, avec un prix et un temps de parcours compétitifs. Avec le modèle Ouigo, cette ligne a plus de chances de fonctionner qu’il y a dix ans », espère le dirigeant.

Un trajet Bordeaux-Lyon possible jusqu’en 2014

Aujourd’hui, relier Bordeaux et Lyon en train est certes possible techniquement, mais le trajet est extrêmement long et fastidieux : neuf heures de trajet et quatre changements. Pourtant, jusqu’en 2014, les voyageurs pouvaient faire ce trajet grâce à une ligne Intercités. Celle-ci empruntait deux tracés qui traversaient le Massif central. La desserte « nord » desservait Périgueux (Dordogne), Limoges (Haute-Vienne), Guéret (Creuse), Montluçon (Allier), Saint-Germain-des-Fossés (Allier) et Roanne (Loire). Une autre ligne plus au « sud » traversait quant à elle Périgueux puis plusieurs communes de Corrèze comme Brive-la-Gaillarde, Tulle et Ussel ainsi que Clermont-Ferrand. Il fallait compter au mieux sept heures et demie pour relier Bordeaux et Lyon. La liaison quotidienne via Limoges a été supprimée en décembre 2012 à l’occasion de travaux momentanés sur la ligne. La liaison par le sud via la Corrèze a elle été supprimée sine die à la suite de la fermeture de la section Ussel – Laqueuille (Puy-de-Dôme), le 6 juillet 2014.

Capture d'écran TF1Capture d’écran TF1

« Aujourd’hui, ces deux lignes sont à l’abandon : l’une est fermée, l’autre largement sous-utilisée avec à la clé : trains supprimés, dessertes réduites à portion congrue, infrastructures laissées à l’abandon, gares fermées », réagissent plusieurs sections locales de la CGT Cheminots dans un communiqué relayé par La Montagne (nouvelle fenêtre). « Résultat, des territoires entiers sont coupés du reste du pays, les citoyens se retrouvent sans autre alternative que la voiture ou condamnés à l’isolement », regrette la CGT Cheminots, dénonçant une « insulte » aux usagers.

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Voyageurs, représentants de voyageurs et élus de la région Auvergne-Rhône-Alpes s’estiment mal traités par l’entreprise ferroviaire et par l’État. Le maire de Clermont-Ferrand, Olivier Bianchi, a estimé jeudi soir que le « déclassement » de l’Auvergne « n’est plus tolérable » et demandé que l’État « joue à nouveau son rôle de planificateur ». La mauvaise desserte ferroviaire du centre de la France est un sujet de grogne récurrent depuis de nombreuses années. Le PDG du groupe Michelin, Florent Menegaux, dont le siège est à Clermont-Ferrand, s’en est ému début 2025 devant une commission du Sénat, estimant que la ville fait partie du « tiers-monde en matière ferroviaire ». « Il faut améliorer la desserte » ferroviaire « du Massif central », reconnaît pour sa part Jean Castex.

Il ne faut pas oublier le Massif central

Fédération nationale des associations d’usagers des Transports d’Auvergne-Rhône-Alpes

« Il ne faut pas oublier le Massif central », alerte la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) d’Auvergne-Rhône-Alpes dans un communiqué. Si celle-ci se dit « favorable » à la liaison TGV entre Bordeaux et Lyon, « en revanche, les territoires situés entre ces métropoles doivent être desservis, à la fois vers ces deux métropoles et entre les villes intermédiaires ». « Ces relations sont devenues très difficiles voire impossibles depuis la suppression, en 2014, de la liaison ferroviaire Intercités », déplore la Fnaut.

« Ce que nous voulons, c’est l’installation d’un train Intercités (non TGV) qui passe par les voies existantes entre Lyon et Bordeaux, et permettrait d’irriguer beaucoup d’autres villes » délaissées du Massif central, abonde auprès de l’AFP Marc Gouttebroze, président du collectif Aurail qui regroupe une vingtaine d’associations de défense du ferroviaire de la région Auvergne-Rhône-Alpes. « Il n’y a même plus de liaison régulière entre Clermont-Ferrand et Saint-Etienne, et aucune desserte non plus entre Saint-Etienne et Limoges », critique le même. « Je ne comprends pas l’obsession de contourner le Massif central », protestait également début novembre sur X, le maire de Vichy (Allier) et vice-président chargé des Transports au conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes, Frédéric Aguilera.

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« On ne demande bien sûr pas une ligne de TGV mais une ligne Intercités qui devrait être suffisamment attractive pour que les usagers ne perdent pas leur journée dans les transports, par exemple avec une bonne connexion Wifi comme dans le TGV », estime lui aussi Gérald Petitgand auprès de TF1info. Pour le président de la Fnaut en Auvergne-Rhône-Alpes, cette ligne aurait pour avantage de renforcer « l’attractivité des entreprises » situées à proximité, ce qui « irriguerait les territoires limitrophes ». 

L’échec de Railcoop

La SNCF avait-elle pour autant d’autres options ? Impossible de créer ex nihilo une ligne de TGV entre Bordeaux et Lyon : le coût financier serait extrêmement élevé et les dégâts causés à l’environnement trop importants. « Il y en aurait pour plusieurs milliards, il faudrait couper des montagnes, raser des forêts… Il faudrait donc complètement modifier la physionomie du territoire », évacue auprès de TF1info Patricia Perennes. Cette économiste spécialisée dans le domaine du transport ferroviaire au sein du cabinet Trans-Missions soutient le choix de la SNCF d’opter pour un TGV. « On tape sur la mauvaise personne en s’en prenant à la SNCF », estime-t-elle, rappelant que la compagnie ferroviaire gagne surtout de l’argent sur ses liaisons depuis Paris.

Une ligne Intercités entre Lyon et Bordeaux ferait perdre de l’argent à la SNCF, assure aussi cette experte. Cela pourrait toutefois être « un choix politique guidé par la volonté d’aménagement du territoire ». En tout cas, « ce n’est pas à la SNCF de faire l’aménagement du territoire, c’est à l’État et aux régions de le faire », insiste-t-elle. La compagnie ferroviaire refile la patate chaude à l’État. Pour recréer une liaison transversale Lyon-Bordeaux sous forme d’un train dit « d’équilibre du territoire » (TET ou Intercités), « il faut poser la question à l’autorité organisatrice qui est l’État », a répondu Jean Castex à l’AFP. « Si l’État dit ‘faites-le’, nous le faisons tout de suite. »

Patricia Perennes rappelle que la ligne Bordeaux-Lyon a été abandonnée en 2014 pour des raisons financières, par manque de rentabilité. Un rapport (nouvelle fenêtre) sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire, publié en mai 2015 par Philippe Duron, alors député socialiste et président de la Commission TET d’Avenir, évoquait une « ligne à faible trafic ». « Peu de voyageurs empruntaient l’une ou l’autre branche de bout en bout, en raison de temps de parcours dissuasifs dus à la configuration et à l’état des voies », peut-on lire. Selon ce document, la ligne entre Bordeaux et Lyon est celle qui bénéficiait – et de loin – du plus de subventionnement public par les contribuables, avec un peu plus de 275 euros par voyageur, contre un peu plus de 110 euros par exemple pour un trajet Lyon-Nantes.

La situation a-t-elle changé ? C’est ce que croit Gérald Petitgand. « Ce rapport avait peut-être raison il y a dix ans mais les choses ont évolué : le trafic du TER a explosé ces dernières années, notamment en raison de la hausse du prix de l’essence, de la mise au vert des gens après le Covid-19, du télétravail… Le train est plus attractif et plus confortable. Cette tendance va se poursuivre », estime-t-il. 

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Suffisant pour inciter une autre compagnie ferroviaire à lancer des liaisons entre Bordeaux et Lyon ? En 2019, la coopérative ferroviaire Railcoop avait fait part de son projet de relancer cette ligne, mais a dû y renoncer. La coopérative, mise en liquidation judiciaire en avril 2024, avait rallié nombre de sociétaires et de collectivités sur son projet avec ce mot d’ordre : « réintroduire le train dans les territoires délaissés ». Mais elle avait dû faire face à une « impasse de trésorerie » insurmontable. 

Julien CHABROUT